dimanche 28 février 2021

Le portrait d'un inconnu

 



Le tuteur du militaire amnésique, en l’occurrence le colonel Axel des Tournelles, tint à voir l’atelier de Florian et il fut sensible à la beauté des toiles de l’artiste. Il donna donc son assentiment, pensant comme les membres du groupe chargé de veiller au bien-être d’Arthur, que les séances de pose leur permettraient d’y voir plus clair.

Un beau portrait serait non seulement esthétique mais utile car il mettrait sans doute en lumière un aspect de la personnalité du jeune homme qui était devenu une énigme pour tous, à commencer par lui-même.

Par contre, le colonel trouva qu’exposer Arthur au flash d’un photographe, fût-il génial, pourrait aggraver le déséquilibre de sa personne.

C’est pourquoi il refusa le concours de Victor, pourtant photographe d’art.

Les séances de pose commencèrent en présence de l’infirmier Rémi de La Trémouille et de l’aspirant Hardouin de Labastide.

Un jour, un rouge-gorge entra dans l’atelier en passant par une lucarne entrouverte et il se posa sur l’épaule du jeune homme.

Heureux de cet appoint inattendu et poétique, Florian décida de l’inclure dans le tableau, ce qui conféra au portrait une ouverture vers un univers féerique qui rappelait celui de Raphael.

« Cet oiseau apporte une part de mystère dit le jeune homme en contemplant le tableau. C’est un peu comme le Fifre du soldat peint par Manet ou la perle de La jeune fille à la perle d’un maître hollandais, Vermeer de Delft. Ou encore l’énigme représentée par un chardonneret qui devient le thème principal d’une intrigue brossée par Donna Tartt, dans un livre où l’amitié entre deux êtres différents joue un grand rôle ».

Puis il se tut et chacun ne put s’empêcher de noter que dans l’esprit de cet homme, victime d’un attentat lors d’une mission, la guerre n’était pas un sujet fondamental.

«  Pour ajouter au réalisme du tableau, je pourrais peut-être peindre en miniature la représentation d’un véhicule blindé circulant dans le désert ajouta Florian, histoire de crever l’abcès.

Certainement pas, protesta le jeune homme. Vous détruiriez l’harmonie de ce tableau et sa beauté fondamentale qui consiste en la quête d’un idéal et d’un absolu à travers le regard d’une personne énigmatique.

Si vous voulez représenter le désert qui, je vous le concède, occupe une place déterminante dans la vie de cet homme étranger à mon être-profond mais qui, de par sa blessure mentale, est un avatar de celui qui se cache au fond de moi et que nous cherchons, vous pourriez peut-être peindre en tout petit, environnée de chèvres, une tente où se blottirait une jeune fille, Djamila de mes amours ».

Puis, sombrant dans une sorte de catalepsie, le modèle du personnage en quête d’identité se tut.

On servit du thé et des cannelés, des tranches de pain d’épices et chacun respecta le silence douloureux de celui qui venait peut-être de livrer, sous l’effet du choc émotionnel provoqué par le rappel de la guerre, une petite partie de l’iceberg englouti de sa mémoire.

 

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