jeudi 11 février 2021

La poupée aux yeux d'or

 



Pour relancer son enquête qui semblait s’enliser dans les marais de l’illusion, Max fit installer un ordinateur dans son bureau et se lança dans de multiples recherches.

Il se concentra d’abord sur les poupées car il songeait bien à faire parler cet objet que Florian associait au souvenir d’Elisabeth.

Il finit par trouver une poupée semblable à celle que Florian avait sortie de son coffre. Il collationna tous les indices qui étaient la marque de la petite merveille : nom du créateur, boutiques heureusement concentrées et restreintes où on vendait ce genre d’objet.

La maison La boite à secrets fut la seule qui répondit à son attente.

Il commanda une poupée et se la fit livrer à son adresse de Fleur-Lez-Lys.

Lorsqu’elle arriva, dans son emballage de soie, il sentit son cœur battre la chamade.

Elle était si belle, avec ses yeux d’or et son teint de rose qu’il eut l’impression, en la sortant de sa boite, de rendre la vie à l’adorable Elisabeth.

Il commanda également pour la poupée qu’il nomma Bella, un petit secrétaire et un fauteuil de rotin avec des coussins en soie.

Bella semblait se plaire dans son environnement et elle apportait du réconfort à son compagnon.

Max demanda à un collègue parisien de se rendre à La Boîte à secrets et de s’informer, tout en s’intéressant aux poupées jusqu’à en acheter une s’il le fallait pour faire parler la vendeuse.

Il serait intéressant, notifia-t-il, de savoir qui avait acheté la poupée dont il fournissait le modèle, à dater de son entrée dans la boutique.

Ensuite, Max se lança dans une recherche concernant les poignards car il n’oubliait pas la remarque de Florian.

Sur ces entrefaites, il reçut une réponse du ministère concernant son dossier.

On ne pouvait pas rouvrir l’enquête, les éléments nouveaux paraissant peu crédibles au vu du droit pénal.

Que diraient-ils si je leur parlais d’une poupée ? se dit Max et il ne put s’empêcher de sourire, en dépit de la gravité de la situation.

Il ne se découragea pas et pensa que tous ses efforts finiraient par produire leur effet.

Sa patience fut récompensée car il finit par trouver un criss malais sur la toile qui semblait être le jumeau du poignard meurtrier.

Un revendeur en proposait un prix raisonnable et Max n’hésita pas une seconde : il se fit livrer l’objet à son domicile devenu le QG de l’enquête personnelle qu’il menait avec célérité.

Selon ses investigations, le poignard avait connu de nombreux propriétaires successifs mais Romuald, son ancien second, déjà chargé d’en savoir plus sur la poupée, finit par faire coup double.

Un nom se détacha : Justin Delieu. Il avait acheté une poupée et un poignard l’année du meurtre !

Cet homme était un habitant du village et en l’occurrence il ne s’agissait pas des jumeaux. C’était le bedeau de l’église Saint Michel.

Max se souvenait de cet homme retors et autoritaire qui semblait avoir une idée toute personnelle de la discipline.

Durant toute la période de la retraite qui conduisait aux cérémonies solennelles de la communion, il s’était ingénié à séparer les filles des garçons et surgissait au moment où l’on ne s’y attendait pas.

Il aura eu toute la latitude d’observer Elisabeth et de connaître les détails des séances de pose chez le photographe, de jeter la suspicion sur cet homme en glissant sa photo dans le missel de la future communiante à qui il avait fait subir des sévices sexuels sous prétexte d’une initiation aux tentations du démon.

La pauvre petite n’avait pu se confier à personne et lorsqu’elle avait décidé de mettre un terme à ces pratiques révoltantes, menaçant de faire des révélations puisqu’à présent elle appartenait à Dieu, le bedeau lui avait enjoint de se rendre près de la « mer » pour lui remettre la médaille de Saint Michel, bénie par le prêtre, en guise de dédommagement et de repentir.

C’est ainsi que loin de tous, il avait poignardé l’enfant, la laissant agonisante dans l’herbe fraîche sans l’ombre d’un remords.

Romuald, son second, lui faisait savoir, par e-mail, que cet homme exécrable était décédé quelques années après le martyre de la fillette d’une maladie incurable.

Soulagé d’avoir conduit l’enquête à son terme, un peu meurtri et repentant d’avoir soupçonné deux hommes pour la seule raison qu’ils n’étaient pas nés dans le village et que leur situation d’artiste laissait supposer des mœurs légères, Max tapota les joues fraîches de la poupée et lui dit :

«  Bella, la petite fille que tu consolais est enfin vengée puisque nous connaissons le nom de son meurtrier ».

Cette nuit-là, Max dormit avec apaisement et il rêva que la magnifique Elisabeth, en robe immaculée, avec des ailes d’ange, venait le remercier pour l’avoir délivrée.

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