vendredi 26 février 2021

La mémoire endormie

 



Arthur Louis, escorté par l’infirmier Rémi de La Trémoille et l’aspirant Hardouin de Labastide, ne reconnut ni sa maison natale ni Lisa-Marie à qui il adressa de vifs remerciements pour son hospitalité.

Le choc émotionnel n’ayant pas eu lieu, chacun se contenta de suivre à la lettre le protocole préconisé par le colonel.

Il devait suivre un régime alimentaire précis afin de ne pas aggraver son état en prenant du poids.

De plus, un horaire strict devait être respecté pour que l’ordre militaire imprègne sa convalescence en reprenant ses droits.

L’aspirant et l’infirmier se chargèrent de cuisiner des plats à la fois énergétiques et diététiques, se faisant discrets pour laisser à Rose l’empire de sa cuisine.

Au bout de quelques jours, Lisa-Marie s’accoutuma à la présence de ces trois hommes qui se comportaient avec discrétion et courtoisie.

Arthur Louis sembla prendre du plaisir à converser avec Rose.

On se demanda s’il l’avait reconnue ou si il était tout simplement attiré par sa beauté mais Rose assura qu’elle ne connaissait pas ce militaire, d’ailleurs fort avenant et qu’elle ne songeait nullement au marivaudage.

Du reste, le lieutenant dut se rendre à des cours d’escrime et suivre parallèlement un traitement physique approprié dispensé par un kinésithérapeute, ce qui le coupa de ses rencontres familières avec Rose.

Un jour, cependant, il étonna tout le monde en demandant où était son piano.

Déconcertée, Lisa-Marie ne sut que répondre car, à sa connaissance, il n’y avait aucun instrument de musique dans la demeure.

Elle informa le colonel de cet incident et ce dernier fit livrer un magnifique piano, espérant qu’un peu de mémoire luirait dans l’esprit de ce militaire compétent et précieux.

Arthur caressa les touches et se mit à jouer. Ce fut un enchantement car le militaire cachait en lui un véritable virtuose.

Lorsqu’il termina la valse, il précisa en souriant qu’il s’agissait de la valse numéro sept en ut dièse mineur de Frédéric Chopin.

Ce détail stupéfia et ravit tout le monde car la mémoire d’Arthur venait de s’enrichir d’un élément précieux.

Il y eut quelques conciliabules entre l’infirmier et l’aspirant car il n’avait été noté nulle part qu’Arthur était un pianiste accompli.

Cependant l’infirmier fut d’avis qu’il fallait le laisser suivre ce cheminement artistique puisque les faits s’imposaient d’eux-mêmes.

Si Arthur n’était pas maladroit en salle d’escrime, il ne montrait aucun enthousiasme alors qu’il passait pour un bretteur de renom.

Il était bien étrange tout de même de le voir si heureux et à l’aise au piano.

Mis au courant de cet exploit à contre-courant, le colonel émit l’hypothèse que l’officier, en suivant les méandres de sa mémoire engourdie, était parvenu dans une zone inconnue de tous, qui s’inscrivait peut-être dans une période située en hors-champ, en deçà de sa carrière d’officier.

Il fallait s’en remettre au temps et au destin et laisser l’officier emprunter les routes du souvenir car, pensait-il, il finirait bien par retrouver la zone des combats dont il était devenu le familier.

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