samedi 27 février 2021

Les Inséparables

 



«  Au Prytanée, on les appelait les mainates car ils se faisaient souvent passer l’un pour l’autre tant leur langage était synchronisé. Qui entendait l’un entendait l’autre et leur mimétisme vocal s’élargissait à une ressemblance hallucinante de leurs personnes…

Ces mainates, cher Max, n’étaient autres qu’Arthur Louis, un amoureux des armes et du combat et Aurélien de Malestroit, issu d’une longue lignée de militaires mais profondément amoureux de la musique. Ce dernier n’avait accepté de venir au Prytanée de La Flèche qu’à la condition de poursuivre des études musicales poussées ».

Ainsi commençait le long message de Romuald qui avait si bien investigué sur le séjour d’Arthur Louis au Prytanée qu’il en avait extrait ces éléments : cet homme sans histoire, militaire jusqu’au bout des ongles avait une sorte de frère jumeau, un adolescent épris de musique, songeant avoir une vie similaire à celle de Frédéric Chopin et faisant peu de cas d’exploits militaires.

D’aucuns considéraient Napoléon comme un génie et se délectaient de la technique mise en place pour vaincre à Austerlitz mais Aurélien, quant à lui, rêvait plutôt de devenir l’élève d’Olivier Messiaen qui faisait du chant d’oiseau le modèle musical absolu.

Au sortir du Prytanée, les deux inséparables prirent des routes différentes.

Pour Arthur, tout était simple : la voie royale passait par l’armée et il fut rapidement apprécié pour ses connaissances techniques, son sang-froid, sa bravoure et son esprit de corps. Il se fondit dans le moule, gagnant rapidement des galons et l’estime de ses supérieurs.

Pour Aurélien, par contre, rien n’était simple. Malgré son aisance dans le maniement des armes, des connaissances techniques pointues, aussi précises que celles d’Arthur, il voulait se défaire de cette emprise militaire qui lui collait à la peau et lui donnait l’impression de vivre à contre-courant.

Tout d’abord, pour rester dans la trajectoire militaire subie malgré lui, il voyagea à travers le monde, recherchant le monde disparu des Templiers, ces chevaliers chrétiens qui avaient construit un empire au nom du Christ.

Il séjourna longtemps près du Krak des Chevaliers, fasciné par cette étrange construction témoignant d’un monde à la fois féroce et fraternel.

Puis il alla de monastère en monastère et joua de l’orgue au Mont Saint-Michel, l’une des merveilles du monde, fabuleuse  création à la croisée de la terre, de la mer et du ciel.

Ensuite, je dois avouer que j’ai perdu sa trace concluait Romuald.

Cependant mon hypothèse est la suivante : j’opterais pour une mystification des deux amis, Arthur partant pour un destin inconnu et Aurélien prenant sa place sans difficulté puisque dans leur jeunesse ils étaient coutumiers de cet exercice étonnant.

L’homme qui n’a pas reconnu sa maison de Fleur-Lez-Lys comme un bien de famille incomparable et qui a réclamé son piano serait donc Aurélien.

Je te propose cette piste de lecture qui n’est guère facile car il nous faudrait, à présent, savoir pourquoi Arthur qui aimait tant la vie militaire a voulu en sortir et n’a trouvé d’autre subterfuge que celui de recourir à son ami pour qu’il prenne sa place.

Sombre histoire mais ô combien passionnante, pensa Max et il écrivit à Romuald pour le féliciter de la qualité de ses recherches et lui assurer qu’il partageait son point de vue quant aux conclusions.

«  A nous deux, Arthur » ! jura-t-il et il se promit d’aller le chercher jusqu’aux Enfers pour qu’il vienne sortir son ami des ténèbres dans lesquelles il l’avait plongé.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire