samedi 17 juillet 2021

Dernier acte

 



Ne voyant pas venir son ravisseur, comme à l’accoutumée, Astrid but du jus d’orange, tartina des tranches de brioche de gelée de coings, puis, désœuvrée, elle fit sa toilette, se coiffa soigneusement et revêtit le joli tailleur Dior offert la veille.

Chaussée d’escarpins qui lui rappelaient les pantoufles de Cendrillon, elle actionna machinalement la poignée de la porte et constata avec surprise qu’elle n’était pas fermée à clef.

Elle s’aventura dans la cage de l’escalier et se trouva, toute étourdie, dans la rue.

La première personne qu’elle aperçut, non sans surprise, fut Florian qui peignait le beffroi dont elle ne savait pas alors qu’il était sa prison.

Florian courut à sa rencontre, rangea tout son matériel, conduisit celle que l’on cherchait en vain depuis des jours, à sa voiture et l’emmena bien vite à Fleur-Lez-Lys.

Il passa quelques messages, colportant la bonne nouvelle.

Louise eut à peine le temps d’embrasser sa fille, Florian reçut l’ordre de conduire Astrid à la gendarmerie où elle aurait des comptes à rendre.

Non sans difficulté, tant sa captivité était étrange, Astrid expliqua succinctement le récit de sa capture et de sa rétention, insistant sur le caractère troublant de la personnalité de son ravisseur.

Estimant qu’ils avaient suffisamment d’éléments pour la partie relevant de leur service, les gendarmes remirent la jeune fille à un médecin et un infirmier qui la conduisirent dans un service hospitalier chargé de soigner les victimes atteintes, parfois à leur insu, de violences à caractère sexuel.

Il fut établi qu’Astrid n’avait pas été violée à proprement parler mais que la manière dont le ravisseur s’était emparé de son corps, le faisant sien sans son assentiment, présentait un caractère sexuel voisin du viol.

Plus grave encore était la confusion mentale dont la jeune fille faisait montre. Non seulement, elle semblait atteinte du syndrome de Stockholm, excusant son ravisseur du comportement dominant dont il avait fait preuve à son encontre mais encore elle avait perdu les repères moraux qui étaient les siens.

Les psychologues chargés de lui rendre un ordre mental qui lui permettrait de revenir à une vie quasi normale, furent soulagés d’apprendre qu’elle était artiste peintre.

Ils lui suggérèrent de traduire, sous forme de dessins ou de tableaux, les émotions qu’elle avait ressenties lors de sa captivité.

On la garda quelques jours à l’hôpital par mesure de prudence puis  on la libéra sous escorte mi- policière, mi- médicale.

Astrid retrouva ainsi son foyer et sa mère et connut quelques jours de flottement avant de connaître un état voisin de l’équilibre.

Elle décida alors de répondre aux demandes formulées par l’équipe médicale.

Florian lui prêta son atelier de sorte qu’elle put raconter, sous forme de dessins et d’aquarelles, des épisodes marquants de sa captivité.

Au fur et à mesure que son œuvre prenait forme, Astrid sentait sa poitrine se libérer d’un poids écrasant qu’elle n’avait pas perçu au premier abord.

Elle dessina à part les derniers cadeaux dont Léo l’avait gratifiée, la chemise de nuit d’inspiration victorienne, le tailleur et la robe de bal Dior, le collier à trois rangs de perles.

Lui revinrent aussi à la mémoire les premiers jours très sombres au cour desquels elle gisait, nue, enveloppée de fourrures et elle en brossa un tableau si saisissant qu’on en fit une copie pour la tenue éventuelle du procès du ravisseur.

En effet, si Léo n’avait pas accouru au chevet de sa princesse pour lui servir son petit-déjeuner, c’est que des policiers s’étaient présentés à son domicile Lillois et l’avaient appréhendé.

Max avait reçu de Romuald la fiche signalétique de Léo Durut, dit Gueule d’Amour.

Les renseignements collectés à son encontre n’étaient pas rassurants : il avait vécu dans un milieu interlope, son géniteur probable, Johann, surnommé Zorba le Grec pour son aptitude à se mouvoir dans des univers glauques, ayant laissé son empreinte indélébile sur la mère et l’enfant qu’il avait considérés comme sa propriété.

Il n’était pas étonnant que Léo ait voulu reproduire, sans le savoir, le seul schéma qu’il connaissait, alliant violence et amour dans une sphère unique.

Voulant échapper à son destin, il s’en était rapproché en enlevant une jeune fille dont il avait fait sa proie, sa chose.

Astrid n’était pas fermement décidée à porter plainte contre Léo mais elle finit par s’exécuter grâce à un argument présenté qui fit mouche.

On lui présenta l’avenir qu’elle aurait eu vraisemblablement auprès de Léo : les premiers moments de bonheur passés, il se serait conduit envers elle comme l’avait fait Johann auprès de sa mère.

Triste, la mort dans l’âme, Astrid remplit les formulaires qui ciblaient Léo comme un ravisseur aux mœurs troubles.

Un peu honteuse, avec la sensation d’avoir trahi un homme qui peut-être l’aimait, Astrid informa les gendarmes des attentions de Léo, les bons repas servis, les cadeaux somptueux mais ces derniers l’assurèrent que rien ne pouvait justifier la privation de liberté.

«  Notez ces détails par écrit, Mademoiselle, lui dit un gendarme conciliant. Cela servira pour les éléments à décharge que son avocat pourra utiliser.

Mais méfiez-vous de votre bon cœur : voyez-vous, sa peine terminée, cet individu voudra peut-être se venger et vous capturer à nouveau, voire vous assassiner ».

Méditative, Astrid revint chez sa mère, décidée à réserver les éléments disculpant Léo pour le procès qui se tiendrait probablement lorsque le dossier serait clos.

Petit à petit, elle retrouva un état voisin de la quiétude mais elle ne fut plus jamais la jeune fille qui s’en allait gaiement chercher des fleurs pour la Vierge Marie et son ami Florian.

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