mercredi 7 juillet 2021

Poudre de riz et vieilles dentelles

 



Jeune et emballée depuis toujours par la poésie, j’ai adhéré à un cercle valenciennois baptisé pompeusement Cénacle Jehan Froissart, en référence à l’illustre biographe historien natif de cette ville qui recèle un immense trésor, La Cantilène de Sainte Eulalie, premier texte poétique écrit en langue française, la coutume consistant, à l’époque , à utiliser le latin pour tous les documents de qualité.

Le président du cercle, Jean Dauby, professeur émérite d’Anglais, le créateur du groupe, succédait, pour la présidence, à l’ineffable Doris Natali, poète classique maniant l’alexandrin avec une aisance fabuleuse.

Doris que je n’ai jamais vue mais qui est la personne avec qui j’ai développé une immense correspondance, était partie vivre en Corse du fait de la mutation de son mari.

Les réunions avaient lieu une fois par mois et Jean Dauby avait instauré un rituel immuable.

Il nous lisait une longue lettre de Doris qui disait à quel point nous lui manquions et elle se livrait à un panel d’anecdotes dans le style de Madame de Sévigné.

Ensuite, il distribuait la parole et comme j’étais la dernière venue, j’intervenais lorsque les stars, notamment Constant Ruffin et sa fille Florence, remarquable poète, s’étaient exprimées.

Par la suite, j’eus droit à plus d’égards, Doris m’ayant donné sa voix pour participer aux votes prépondérants.

Un jour, Jean nous présenta deux messieurs, fervents adorateurs de la poésie qui, de surcroît avaient des titres ronflants. Ils ne voulurent pas prendre la parole et semblèrent intéressés par notre réunion au vu des notes qu’ils prenaient.

Or, le mois suivant, il y eut un coup de tonnerre : sourcils froncés, Jean nous lut un article empoisonné écrit par les deux traîtres qui était paru dans un journal régional de renom sous le titre de Poudre de riz et vieilles dentelles.

Ils faisaient des gorges chaudes en évoquant la lecture épistolaire de Doris, détournant ainsi ironiquement le titre de la pièce à succès Arsenic et vieilles dentelles que ma mère affectionnait.

Leur style était corrosif mais excellent et je dus réprimer un sourire car effectivement, un œil avisé pouvait nous voir ainsi, démodés et un peu ridicules.

A dater de ce jour, Jean cessa de lire la lettre de Doris et la fit passer pour une lecture silencieuse et avec notre accord, il changea le mot cénacle en cercle, plus ouvert sur le monde.

Néanmoins la hiérarchie ne disparut pas.

Mon départ pour la Bretagne m’évita une rupture avec le cercle.

Ce fut une belle rencontre qui me permit d’avancer dans la recherche d’un style qui soit conforme à ma façon d’appréhender le monde.

Par la suite, J’eus la chance de rencontrer Eugène Guillevic et de lui plaire.

J’ai gardé quelques-unes de ses lettres, des phrases concises sur papier bleu avec un en-tête charmant : Madame Amie.

Aujourd’hui, je me contente d’écrire au jour le jour la saga de ma vie qui s’effeuille comme les roses de Ronsard avec les doux parfums de l’amour !

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