lundi 19 juillet 2021

La route des perles



Pour atteindre la crique menant à la route des perles, la comtesse Isabeau du Hainaut renonça au hennin et aux jupes de brocart.

Elle revêtit une tunique en daim et chaussa des bottines légères en écorce de bouleau.

D’un pas léger et dansant, elle parcourut des lieues, faisant halte le soir dans des monastères.

Heureuse de renouer avec la quiétude spirituelle, Isabeau pria avec ferveur pour que le monde soit baigné d’une lumière bleue propice à la ronde des heures et à leur course vers la paix.

Aux Saintes Maries de la Mer, elle embarqua à bord d’une goélette portant le pavillon de sa province.

Escortée par des dauphins, la goélette Cynthia, toutes voiles gonflées par la brise de mer, a pris la direction des îles lointaines où l’on trouve des perles de toutes tailles et de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, nacrées ou colorées de rose comme la déesse de l’amour, Vénus à la chevelure étoilée de diamants.

Lors de la première escale, la comtesse suivit, le cœur battant, la recherche des perles, exercice périlleux entrepris par de jeunes hommes au souffle puissant.

Conques, bouquets de corail, huitres perlières, éponges, bénitiers colossaux et coquillages nacrés que des mains habiles transformaient en colliers et diverses parures,  étaient remontés des profondeurs océanes pour éblouir les admirateurs et chercheurs de trésors naturels.

Au moment des enchères, la comtesse ouvrit sa bourse sans hésiter et troqua de belles pièces d’or contre perles,  coraux et autres splendeurs océanes.

Elle fut bientôt rejointe et contrée par un amateur de beautés sous-marines, le prince Saphir.

Heureux de se trouver en galante compagnie, le prince eut l’élégance de ne pas surenchérir sur de belles pièces afin de permettre une échappée courtoise.

La comtesse, de son côté, n’abusa pas de la liberté qui lui était accordée et elle laissa partir, volontairement, quelques belles parures pour que l’équité soit de mise.

Le marché terminé, les amoureux des perles décidèrent de marcher au pas d’amble de leurs chevaux.

Chemin faisant, parlant peu pour se réserver de meilleurs moments propices au dialogue, les nouveaux amis décidèrent, d’un commun accord, de faire une halte dans le monastère le plus proche afin d’y prendre un peu de repos.

Le père Aurélien les accueillit chaleureusement.

Un menu à base de laitages dont un fromage préparé par les moines, de fruits, de légumes frais ou de crudités et de pâtisseries légères fleurant bon l’oranger, enchanta les hôtes d’un soir.

Après un excellent repas, ils rendirent grâce à Dieu et se recueillirent.

Des chants retentirent et les deux compagnons de route s’émurent de la ferveur et de la valeur artistique de la chorale.

Il s’ensuivit une veillée au cours de laquelle des récits hagiographiques fleurirent.

Ravi de l’évocation des saints qui avaient proclamé leur foi jusqu’au martyre, le prince Saphir offrit la plus belle de ses perles. La comtesse, ne voulant pas être en reste, insista pour que l’on pare la statue de la Vierge Marie du plus beau de ses colliers.

Après une nuit réparatrice, un bon bol de lait chaud et des tranches de pain frais, les deux amis reprirent la route, non sans avoir remercié une dernière fois ces hôtes charmants.

Ils laissèrent un message sur le livre d’or et ils déposèrent discrètement une bourse de perles pour exprimer leur amour et leur dévotion au créateur céleste.

Leur route les conduisit à Jérusalem, la cité divine par excellence.

Ils furent émerveillés par la richesse des étals.

Une foule cosmopolite se pressait dans les rues bien entretenues.

Ils passèrent inaperçus et pourtant, ils avaient revêtu leurs plus beaux atours.

Sur une place, des danseurs exécutèrent une chorégraphie enlevée et charmante.

Mis de bonne humeur, les deux amis cherchèrent un toit hospitalier et la chance se présenta à eux sous la forme d’une princesse orientale qui possédait un palais à l’extérieur de la ville.

Le somptueux palais de marbre rose orné de sculptures d’inspiration marine incrustées de perles aux couleurs de l’arc-en-ciel, s’offrit à leurs yeux éblouis.

La princesse Ornella avait envoyé des cavaliers prévenir de son arrivée en compagnie d’hôtes de marque.

Ils entrèrent dans un patio réservé aux invités et on leur servit des plats de rêve, pastilla aux amandes et aux pigeonneaux, couscous royal, tajine de légumes savamment épicés.

Une kyrielle de gâteaux  destinés à tenter les plus gourmands, avec des coupelles de crèmes ou de gelées de fruits sans oublier un merveilleux gâteau cuit à la broche à la mode des Pyrénées, enchanta les gourmets.

Cet intermède festif achevé, ils se promenèrent dans les jardins, admirant les cerisiers, les pêchers, les pommiers de la Saint Jean, les amandiers, les orangers et les citronniers dont les fruits seraient transformés en confitures, gelées, fruits déguisés et autres merveilles.

Le cuisinier et sa brigade les suivaient à bonne distance, prêts à cueillir les fruits parvenus à maturité.

Dans la roseraie, la princesse et ses hôtes firent une halte sous une tonnelle et assis sur une balancelle, ils savourèrent la brise du soir.

Les parfums s’exhalaient avec douceur, ivres de la présence de papillons et d’abeilles qui voletaient dans une ronde enchanteresse.

Les journées passèrent comme autant de rêves dans ce palais merveilleux.

Connaissant leur amour pour les perles, leur hôtesse recevait des pêcheurs habitués à la prise de ces beautés océanes. Les tractations commerciales allaient bon train, à l’aune de la richesse des propositions.

Renonçant à aller sur les rivages des mers réputées pour la profusion de ces beautés puisque les perles venaient à eux, les deux amis se laissèrent aller aux épanchements amoureux sous le regard attendri de leur bienfaitrice.

«  Où irons-nous vivre » se demandaient-ils, dans une perspective conjugale.

Alors que la perplexité les inondait d’incertitude, la princesse Ornella leur proposa un petit voyage. Elle l’avait organisé avec soin,  leur dit-elle pour les convaincre.

Les dames seraient confortablement installées dans des palanquins et elles pourraient ainsi deviser en toute quiétude.

Le prince Saphir était invité à prendre la tête d’un groupe de cavaliers prêts à parer toute attaque impromptue du convoi.

Le grand chambellan du palais chevaucherait à ses côtés pour le préserver de tout danger.

De cette manière, le voyage se déroula sans incident.

Les haltes avaient lieu chez des amis de la princesse.

Les amoureux savouraient ces moments de retrouvailles qui les plongeaient dans une sorte d’extase.

Un échange de cadeaux alla bon train.

La princesse finit par faire convoyer de nombreux trésors en direction de son palais afin de ne pas alourdir leurs bagages.

La destination du voyage leur apparut enfin dans toute sa splendeur.

Un palais érigé en bord de mer s’offrit aux yeux éblouis de tous.

Il ruisselait d’or, d’argent et de nacre. Les pièces, aérées et magnifiquement meublées et décorées avec finesse auraient certainement plu à Sardanapale, lui ôtant ses velléités suicidaires.

La princesse remit les clefs du palais à la comtesse Isabeau du Hainaut en ajoutant ces mots :

«  Je vous ai vu vous déchirer pour le lieu où vous pourriez installer votre bonheur. Si ce palais vous convient, il est à vous » et elle ajouta malicieusement «  Ce palais est situé en plein cœur de la richesse océane perlière : vous ajouterez ainsi un bonheur au vôtre et l’on pourra dire que votre quête des perles est achevée ».

Le prince Saphir se joignit à Isabeau pour remercier la princesse de ce don fabuleux.

Il dépêcha des émissaires pour qu’ils rapportent de son royaume ses effets personnels. Il n’oublia pas de leur recommander de choisir ce qui se faisait de mieux sur le plan de l’artisanat, de l’orfèvrerie, de la porcelaine et du tissu pour satisfaire les dames.

Lorsque le convoi revint, chargé de trésors, ce fut un émerveillement.

La princesse reprit la route, laissant les jeunes époux à leur bonheur.

Le mariage avait été célébré selon des rites communs et compris de tous.

La mariée portait une robe fabuleuse, en dentelle et le prince arborait un costume oriental brodé d’or et de pierreries ainsi que de perles.

Les festivités furent à la hauteur de la qualité des invités et lorsque les derniers chants retentirent, chacun reprit la route, celle des perles pour l’éternité, laissant les jeunes mariés à leur amour et à leur bonheur.

 

 

 

 

 

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