lundi 26 septembre 2011

L’Étoile des Mers

Sur une plage ensoleillée, des couples dansaient le fox-trot. Un dauphin, au large, bondissait au son de la musique diffusée par de gigantesques enceintes fixées sur les mâts porteurs de fanions.
Disséminés dans les dunes, des amateurs de spectacles marins admiraient les évolutions de ces danseurs hors pair au rythme des vagues.
Soudain un cavalier vint rompre l’harmonie bleue qui régnait en ces lieux. Vêtu de noir, sur un cheval gris, la crinière tressée, le cavalier imprimait à sa monture des pas de danse du plus bel effet, en harmonie avec la valse des dauphins et l’exhibition musclée des danseurs.
Tout à coup le soleil s’obscurcit, la musique cessa et les flots grondants s’avancèrent dangereusement tandis que les dauphins étaient emportés au large comme des fétus de paille.
 Le cheval se cabra, désarçonna son cavalier et s’enfuit vers les dunes, arrachant la végétation de ses sabots vengeurs.
Le vent s’engouffra dans la cape du cavalier qui s’envola littéralement dans les airs pour être jeté à terre comme un pantin disloqué.
Alors le grondement des vagues cessa, le soleil revint et les dauphins réapparurent, retrouvant leur dynamisme et l’art du jeu.
Quant aux danseurs, ils avaient été emportés au large. Ils arrivèrent quasi noyés sur la plage d’une île. Ils se gavèrent de lait de coco et de fruits de l’arbre à pain. Renouant avec le bonheur, ils s’étreignirent fougueusement et s’endormirent dans une cabane de roseaux construite par un pêcheur local. Le lendemain, ils allèrent explorer l’île, enlacés et soucieux de leur avenir. L’île était boisée et regorgeait de trésors, fleurs, oiseaux sans oublier des lianes qui permettaient d’audacieux raccourcis.
Ils parvinrent enfin à l’autre extrémité de l’île. Une crique abritée des vents par d’énormes rochers sculptés les incita au rêve.
Un voilier majestueux battant pavillon royal, une fleur de lys sur fond d’or, s’immobilisa au large. Une chaloupe jetée à la mer, barrée par un matelot qui imprimait la cadence leur servit de relais après qu’ils l’eurent rejointe à la nage.
L’accueil sur le voilier fut chaleureux. On leur servit un excellent repas à base de poisson et de fruits. Leur cabine était spacieuse et confortable sans luxe excessif.
Ils s’endormirent, pleins d’espoir pour le lendemain. À l’aube, le voilier dut affronter une tempête. Ce fut le branle-bas à bord mais fort heureusement, les nuages noirs disparurent à l’horizon, emportés par des vents vigoureux et la mer redevint hospitalière et porteuse de rêves.
Nos danseurs fêtèrent l’événement en exécutant des pas de circonstance. Le mousse joua de la vielle et tous retrouvèrent le charme de la province où ils avaient vécu une enfance pleine de jeux et de rêves.
Après cet intermède festif, on mangea de bon appétit un menu qui s’apparentait à celui que l’on servait jadis pour célébrer les moissons, pains dorés, omelettes d’œufs de tortue et laitue de mer en salade. De bons gros gâteaux à l’ancienne imbibés de rhum furent servis généreusement avec crème anglaise et îles flottantes. Les danseurs qui voulaient garder leur ligne impeccable, mangèrent peu mais apprécièrent les efforts entrepris par le chef pour les remercier de leur superbe prestation.
Au hasard des conversations, ils apprirent que le vaisseau était armé par des savants. Il devait faire le tour du monde, chaque spécialiste se chargeant de répertorier les richesses des fonds marins.
Ils avaient découvert une île paradisiaque qui regorgeait de trésors. Souhaitant qu’elle demeure inconnue tant les désirs destructeurs des hommes étaient vivaces, ils avaient décidé, d’un commun accord, de la garder secrète, laissant néanmoins les coordonnées géographiques à l’abri dans un coffre jusqu’au dernier vivant. Ensuite il appartiendrait aux héritiers d’en préserver le secret.
Les hôtes du vaisseau acceptèrent qu’on leur bande les yeux avant d’arriver dans l’île inconnue. Éblouis par tant de beauté lorsqu’on les délivra de leur foulard, ils souhaitèrent vivre dans cet éden jusqu’à la fin de leurs jours.
« Cela ne serait guère raisonnable leur dit le chef de l’expédition. Avez-vous pensé à vos enfants ? Un jour, ils vous feront le reproche de les avoir coupés du monde. De plus, vous ne pourrez pas danser toute votre vie. En prenant de l’âge, vous souffrirez de rhumatismes et c’est alors que vous maudirez l’île et ses beautés enchanteresses. Vous regretterez de ne pas avoir de livre, de ne pas connaître les misères et les charmes de votre pays natal et vous prendrez en horreur lagons, oiseaux de paradis et coquillages ».
Les jeunes gens reconnurent que ces paroles étaient empreintes de sagesse et se conformèrent au souhait exprimé par le leader du groupe.
Ils profitèrent de chaque instant comme s’il devait être le dernier, composèrent des chansons, inventèrent une nouvelle danse qui s’apparentait aux figures exécutées par les oiseaux, cuisinèrent, en compagnie du chef, les trésors de la mer associés aux conserves entassées dans des barriques à fond de cale.
Heureux d’avoir vécu cette parenthèse idyllique, les couples demandèrent à être déposés à terre lors de la prochaine escale.
Ainsi fut fait. Ils agitèrent longtemps leurs foulards pour remercier l’équipage de cette belle aventure. Lorsque le vaisseau ne fut plus qu’un point à l’horizon, nos jeunes gens tournèrent le dos à la mer et grâce aux richesses naturelles collectées sur l’île, obtinrent de belles pièces d’or en échange.
Avec ce pactole, ils furent à même d’acheter roulottes et chevaux ainsi que tout ce qui était nécessaire à une vie itinérante. Ils embauchèrent du personnel, cochers, cuisinières et hommes à tout faire. Ils recrutèrent également des conteurs et des musiciens. Faisant halte dans les bourgs, ils donnaient des représentations où alternaient contes, intermèdes musicaux et danses qui restaient bien entendu leur domaine privilégié.
L’Étoile des Mers, ainsi nommèrent-ils l’ensemble des spectacles donnés, sillonna toutes les routes de l’Europe, à la recherche d’un paradis perdu qu’ils situaient maintenant dans la brève plénitude de leur art.
Au commencement était la route… et l’étoile était au bout du chemin. Suivez la à votre tour !

2 commentaires:

  1. ça fait du bien de commencer la journée par un bon texte
    merci beaucoup Marguerite Marie Roze

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  2. Merci pour ce compliment ! très bonne journée sous les alizés du rêve !

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