jeudi 13 août 2015

Le Quadrille des Princes






Un beau soir de printemps, alors que les lilas et les glycines laissaient tomber majestueusement leurs grappes sur le sol, un violoniste trouva sur son archet les notes d’un quadrille dont il rêvait depuis longtemps.
Il se laissa emporter par le bonheur de la création et n’eut de cesse de mettre la note finale à ce qui lui apparaissait comme l’œuvre suprême de sa vie.
Il prenait à peine le temps de se nourrir, écrivant et jouant sans relâche les différents mouvements d’un quadrille majestueux et léger à la fois, digne d’une cour princière.
Il donna à cette création le nom de quadrille des Princes et l’envoya aux Princes des royaumes qui appréciaient le faste et les fêtes.
Il s’endormit alors et ne se réveilla qu’en entendant quelqu’un frapper à sa porte. Imaginant qu’il s’agissait d’un ambassadeur venu le féliciter d’une œuvre remarquable, il enfila un habit de cérémonie mais lorsqu’il ouvrit la lourde porte aux ferrures d’argent, il crut voir une apparition céleste.
C’était une jeune fille dont le regard bleu était si intense qu’il se sentit frappé au cœur.
Il installa cette beauté dans la bergère la plus confortable de sa maison, lui prépara un repas à base de légumes et de fruits, cuisina rapidement une crème brulée, l’un de ses desserts favoris mais lorsqu’il apporta toutes ces splendeurs culinaires, il trouva la jeune fille endormie.
Il s’assit à ses côtés, l’observa à loisir et c’est ainsi qu naquit sur ses lèvres une valse enivrante qui l’emporta avec tant de vigueur qu’il prit son violon et partit jouer dans le jardin afin de ne pas réveiller son invitée.
Il joua tant et tant que la nuit tomba et lorsqu’il revint en sa pièce principale, il constata avec désespoir que la jeune fille était partie. Elle avait mangé une coupe de crème et quelques fruits. Un mot était mis en évidence sur la table : « Merci ». C’était un parchemin de très bonne qualité et le violoniste se jura de retrouver celle dont il était tombé follement amoureux.
Furieux de ne pas s’être aperçu de son départ, il décida de prendre un peu de repos et d’entreprendre des recherches le lendemain.
Tôt levé, il prépara un sac de denrées comestibles, fruits secs, biscuits et pain agrémenté au confit de roses, n’oubliant pas de se munir d’une gourde d’eau fraîche et partit d’un pas leste. Il avait naturellement emporté son violon car cet instrument était une prolongation de son être. Veillant, à ce qu’il ne soit pas abîmé, il l’avait soigneusement couché dans son étui en bois précieux matelassé de satin.
Il était certes chargé mais son désir de retrouver celle qui avait fait battre son cœur était si grand qu’il ne ressentait aucune fatigue et que ses pieds battaient la mesure de la valse qu’il intitula La Valse du Désir.
Dans un sentier jalonné d’églantiers, il aperçut un morceau d’étoffe qui lui rappela la robe de l’aimée et cette découverte lui fit redoubler ses efforts.
En pénétrant dans un sous-bois, il sentit son cœur chavirer car il découvrit au terme d’une longue marche, une clairière fleurie de jacinthes qui embaumaient l’air de ce parfum enivrant. C’était la fleur de son amour ! Désireux de ne pas piétiner cet endroit secret, il longea la clairière pour apercevoir enfin une charmante maison dont la façade était ornée de glycines et de clématites.
Il activa le heurtoir et ô surprise, la porte s’ouvrit pour faire place à la dame de ses pensées, vêtue avec faste d’une robe brodée d’oiseaux et de fleurs paradisiaques.
Il croyait évoluer dans un rêve mais il dut se convaincre qu’il vivait bien une aventure réelle. L’aimée de son cœur lui dit se prénommer Lilly-Fleur et elle l’invita à prendre place près d’une table en bois d’ébène. Le service fut des plus charmants.
Un potage de cresson, léger et savoureux ouvrit une succession de plats dont Frantz n’était pas coutumier : un turbot à la crème sur un lit d’oseille, un baron d’agneau accompagné de légumes tournés et saisis à la poêle. Un gâteau aérien fait de biscuits trempés dans un sirop de fraises avec des couches alternées de crème pâtissière et de confiture de roses conclut ce repas en forme d’apothéose.
Un délicieux arôme de café moka flotta dans la pièce. En dégustant ce délicieux breuvage à petites gorgées, les deux amis se livrèrent à une conversation à bâtons rompus. Lilly-Fleur expliqua à son hôte qu’elle s’était égarée en suivant un bel oiseau bleu qui volait de branche en branche et semblait vouloir l’entraîner vers un lieu magique. C’est ainsi qu’elle avait frappé à la porte de la maison de Frantz. Elle s’était réveillée en entendant les sons du violon et avait jugé bon de s’éclipser pour laisser un merveilleux artiste s’exprimer de manière magistrale.
Frantz à son tour lui parla du Quadrille des Princes qu’il avait envoyé dans plusieurs royaumes, du choc que sa beauté avait déclenché en lui et du désir soudain de l’exprimer sous la forme d’une valse. Désespéré de l’avoir perdue, il n’avait eu qu’une hâte, la retrouver au plus vite.
Tout était dit, c’est pourquoi Frantz prit son violon et joua la valse qu’il intitulerait Valse de Violaine avec sa permission. La jeune fille fut très enthousiaste et applaudit avec chaleur cet air magnifique.
Après cet instant de grâce absolue, Lily-Fleur conduisit Frantz à sa chambre. Elle était spacieuse et le mobilier était des plus agréables : un lit à baldaquin, un secrétaire et un fauteuil capitonné sans oublier un lutrin sur lequel le violoniste pourrait installer ses partitions.
Une pièce était attenante et réservée à la toilette. Jacob, un serviteur doué, prépara un bain bouillonnant et parfumé et se tint à distance respectable afin de sécher le corps du jeune homme puis de le masser pour l’aider à trouver un sommeil réparateur. Lilly-Fleur s’était éclipsée discrètement en laissant un petit mot fleuri sur le secrétaire. « Dormez bien, chère âme » ! Elle avait esquissé un violon et un ange.
Le lendemain Frantz fut éveillé par une bonne odeur de pain frais, de miel et de gelée de groseilles. Des œufs et du bacon complétaient ce petit déjeuner complet avec un excellent café à la crème et aux amandes. Ragaillardi, Frantz sortit dans le jardin, huma les roses sauvages qui embaumaient les alentours puis il rentra, voulant remercier son hôtesse d’un accueil aussi princier.
Lilly-Fleur accepta ses hommages avec le sourire puis informa son hôte du fait qu’elle devait se rendre à la cuisine pour préparer les repas de la journée. Elle s’apprêtait à confectionner une tarte aux légumes, un carré d’agneau aux olives avec des petites pommes de terre nouvelles et des topinambours. Une salade de jeunes pousses serait servie avec un fromage à l’ancienne, un maroilles par exemple. Quant à la pâtisserie, elle était en débat. Elle hésitait entre un baba au rhum et des profiteroles à la crème pralinée.
À la perspective de toutes ces merveilles à venir, Frantz fut conquis. Cependant il dit à la charmante idole de son cœur qu’elle ne devait pas se fatiguer avec tous ces plats et que le plus simple serait le mieux « Je serai aidée, dit Lilly-Fleur, et je suis heureuse de veiller à votre bonheur. En cette attente, je vous suggère de vous reposer dans votre chambre, de vous promener dans le jardin à la recherche de l’inspiration ou encore de faire une promenade à cheval en compagnie de Jacob qui vous fera connaître des endroits merveilleux ». Frantz opta pour la promenade à cheval, enfourcha un alezan à la robe couleur de jais et suivit Jacob qui était aussi un excellent cavalier. Il découvrit un grand lac où s’ébattaient des flamants roses. Il les observa longuement et sentit monter en lui des notes enchantées à la vue de leur ballet gracieux. Enfin Jacob le tira de sa rêverie en lui faisant remarquer que la dame des lieux n’aimerait guère que l’on soit en retard pour le repas.
Ils revinrent donc au logis. Frantz eut juste le temps de se laver rapidement et de changer de vêtements pour avoir une tenue correcte à table.
Le repas était absolument sublime, avec une surprise qui n’avait pas été annoncée. On avait apporté à Lilly-Fleur de magnifiques asperges blanches et elle avait voulu les servir, fraîches, avec une sauce hollandaise. Le reste serait mis en bocaux et stérilisé pour l’hiver.
Ce festin terminé, l’hôtesse de charme désira se retirer dans sa chambre afin de prendre un peu de repos et faire un brin de toilette. Elle demanda à Frantz s’il avait aimé sa promenade, ce qu’il confirma avec enthousiasme. Il se reposa également et demanda à Jacob s’il était partant pour une nouvelle échappée dans la nature. Ce dernier accepta cette proposition avec plaisir et ordonna au palefrenier de brosser les montures pour l’après-midi.
À la demande de Frantz, ils repartirent sur les berges du lac et se cachèrent dans les roseaux pour ne pas effaroucher les magnifiques oiseaux. Frantz avait pris la précaution d’emporter du papier à musique et de quoi inscrire les notes de la valse qui couvait en lui comme un cratère de feu. C’est ainsi que naquit la valse des flamants roses qu’il fit écouter le soir même à la belle Lilly-Fleur après le souper. Cette valse était d’une grande beauté et la jeune femme se mit spontanément à danser.
La soirée fut des plus romanesques et se conclut par un doux baiser. Les jours suivants passèrent comme un rêve. Frantz découvrait les talents cachés de son aimée et une succession de lieux paradisiaques s’offrait à ses yeux enchantés, lui apportant l’inspiration. Il créa ainsi une impressionnante suite de valses toutes aussi belles les unes que les autres. La valse de l’amour naquit sur son archet alors qu’il pensait à Lilly-Fleur dont la beauté lui semblait sans égale. Sous le titre évocateur de Jacinthes et Volupté, une valse langoureuse évoqua l’amour ressenti par le violoniste à l’approche de la maison du bonheur. Un jour, il se rendit compte que le ventre de son amie s’arrondissait. Elle lui confirma l’heureux événement à venir. Il se sentait un peu coupable d’avoir ainsi profité de la générosité de la jeune femme et de ne pas avoir eu la délicatesse de l’épouser.
Mais Lilly-Fleur l’assura de son bonheur et d’autres jours se succédèrent. Frantz résolut de participer aux tâches culinaires afin de ne pas mettre en danger l’enfant par des charges lourdes. Son amante le chassa de son domaine avec douceur et résolution et l’incita à ne pas changer ses habitudes, c’est pourquoi il chevaucha comme à l’accoutumée. Il demanda à Jacob de veiller sur la dame des lieux et dirigea son cheval Dragon Noir vers les marchés où il devint populaire. Un jeune garçon, Amaury s’occupait du cheval tandis que Frantz jouait du violon, interprétant les valses qu’il avait composées. Lorsqu’il cessait de jouer pour prendre un rafraîchissement, de l’argent et des cadeaux lui étaient offerts spontanément. Après avoir rémunéré les services d’Amaury, il achetait des fruits, des légumes, de la volaille et parfois des colifichets ou des pièces convenant au trousseau du bébé et se faisait une joie de revenir à la maison avec toutes ces merveilles.
Un jour, une dame de haut rang, cela se voyait à la magnificence de sa mise, lui offrit une pièce de soie brodée de paons et de papillons. Les roses aussi avaient une place de choix de même que les fleurs des champs, coquelicots, marguerites et bleuets. Frantz fut heureux d’offrir ce présent royal à sa dame et l’après-midi même, il composa une valse destinée à l’enfant qui devait naître de leurs amours. Cette valse était si belle que Lilly-Fleur en eut les larmes aux yeux.
D’un commun accord, ils la nommèrent Valse de l’Aube. Il leur semblait que l’enfant serait protégé par cette magique création, digne de toutes les fées qui pourraient se pencher sur le berceau.
La belle dame revint au marché et la valse de l’aube la ravit au point qu’elle voulut connaître l’adresse du violoniste afin de lui faire livrer le cadeau dont il avait besoin.
Ce don tombait à point nommé car la naissance de l’enfant était proche. Il s’agissait d’un luxueux berceau en bois précieux nanti d’un voilage brodé et garni d’une literie digne d’un prince. Un trousseau complet pour nourrisson accompagnait ce cadeau d’une grande utilité. Tout à son bonheur, Frantz avait complétement oublié le Quadrille des Princes expédié dans toutes les cours dont il attendait de magnifiques retombées.
Or un messager activa le heurtoir peu après cette livraison somptueuse. Il s’assura qu’il avait bien affaire au compositeur du quadrille et pour le prouver, Frantz joua l’un des thèmes principaux sur son violon. L’hôte inattendu dit alors qu’il était chargé de l’emmener à la cour du prince Almeda, grand amateur de fêtes royales et de danses.
Convaincu d’avoir bien rencontré le compositeur qui lui montra par ailleurs l’original du précieux quadrille, le messager repartit non sans avoir annoncé qu’un carrosse princier viendrait le chercher. Il ajouta que des dames d’atour et un médecin prendraient place afin de veiller à ce que la naissance de l’enfant se passe dans de bonnes conditions. Il laissa de plus une bourse pleine de pièces d’or pour que la future maman ne se refuse rien.
Après le départ du messager, la journée oscilla entre la joie et la mélancolie. Joie puisque le talent de Frantz était reconnu au niveau princier mais la mélancolie flottait comme un nuage car le couple allait connaître la séparation. Lilly-Fleur se félicita d’avoir cousu et brodé un costume d’apparat pour l’homme qu’elle aimait. Elle comptait lui en faire la surprise pour fêter la paternité mais elle songea qu’il lui fallait un costume élégant pour paraître à la cour. Très touché par cette délicate attention, le violoniste serra sa compagne sur son cœur et caressa ses longs cheveux aussi fins que la soie. Ils dormirent enlacés, s’éveillèrent au chant du coq, prirent leur petit déjeuner et attendirent la venue du carrosse. Le messager avait tenu parole : trois personnes descendirent du réceptacle et les cochers portèrent leur malle à l’intérieur. Lilly-Fleur leur servit une collation et sa dame de compagnie les conduisit ensuite dans leurs chambres respectives.
Les adieux des amants furent brefs. « Adieu, mon cœur. Je serai de retour dès que cela me sera possible et je vous rapporterai mille petits bonheurs pour vous gâter comme vous le méritez ». Lilly-Fleur l’embrassa pour cacher ses larmes et le violoniste s’en fut avec pour tout trésor, un sac de voyage et son précieux violon.
Mais rien ne se produisit comme on l’avait prévu. L’attelage fut attaqué à mi-parcours par des brigands qui abattirent les cochers. Jugeant à sa mine que Frantz n’était pas dangereux, ils se contentèrent de l’assommer et conduisirent le carrosse au repaire de la terrible Maria Dolorès, la reine des brigands. C’était une femme au cœur de pierre. Elle prenait plaisir à décapiter des hommes et si elle était sensible à la beauté masculine, c’était à la manière d’une mante religieuse qui n’hésitait pas à faire égorger les amants de quelques nuits.
Lorsque Frantz reprit ses esprits, il fut foudroyé par le regard cruel de cette maîtresse femme. « Tu as un violon, joue ! » lui dit cette harpie. Frantz avait presque tout oublié tant sa tête lui faisait mal. Il joua la seule valse dont il se souvenait, la Valse de l’Aube. Un ange passa dans la grotte diabolique de la reine des bandits. La valse était si belle, tellement chargée d’émotions que des larmes coulèrent sur les joues de Maria Dolorès, pour la première fois de sa vie.
« Qu’on le laisse partir et qu’on lui selle un bon cheval dit-elle fermement. Laissez-lui ses bagages. Adieu, l’ami, pars vite avant que je ne change d’avis » et c’est ainsi que Frantz se retrouva à cheval, accompagné par une mule qui portait son sac de voyage et son précieux violon.
Désemparé car il avait perdu presque toute sa mémoire, Frantz ne savait où il devait se diriger c’est pourquoi il s’en remit à sa monture. Le hasard fit bien les choses puisque Frantz retrouva la demeure où il avait composé le quadrille des princes. Il se revit, maniant l’archet avec amour.
Une voisine était venue entretenir la maison de sorte qu’il la trouva pimpante et avenante. Un bouquet ornait la table et Sylvia, la jeune fille qui avait veillé à ce que son retour soit parfait, entra comme un souffle printanier, un panier garni au bras. Elle mit prestement la table, prépara une omelette aux herbes et sortit du panier une jatte de crème aux fraises, un gâteau fourré à la confiture de griottes. Le repas fut exquis. Frantz préféra renoncer au vin tant sa tête était encore douloureuse et il se contenta d’une limonade à la rose.
Après cet excellent repas, il remercia chaleureusement la charmante Sylvia et se retira dans sa chambre, regrettant de ne pas avoir de cadeau à offrir en retour d’un si bel accueil.
Il dormit profondément et rêva qu’un ange vêtu de roses flottait dans la pièce tandis qu’une belle jeune femme jouait de la harpe.
Au réveil, il trouva un petit déjeuner complet préparé par Sylvia et se promena ensuite dans son jardin. Sylvia avait emmené les montures afin d’en prendre soin de sorte que le violoniste fut livré à ses pensées qui se projetaient par bribes.
Au fil des jours, les valses revinrent sur son archet. L’une d’elles Jacinthes et Volupté lui plaisait particulièrement et lorsqu’elle l’entendit, Sylvia qui nourrissait un amour secret pour le divin violoniste comprit qu’elle ne serait jamais sa dame de cœur. Une musique aussi sublime ne pouvait avoir été provoquée que par une passion qui sortait de l’ordinaire. À dater de ce jour, elle prétexta un mauvais état de santé passager pour espacer ses visites. Elle lui proposa de faire appel à une cuisinière qui s’était retirée d’une auberge où le travail était lourd pour souffler un peu. Le service de Frantz serait pour elle une occasion unique de ne pas perdre la main et de gagner un peu d’argent. Déçu, Frantz qui appréciait beaucoup l’efficacité et la présence charmante de Sylvia, ne put qu’accepter cette proposition tout en se demandant s’il lui restait de quoi payer une personne qualifiée.
Il s’en ouvrit à Sylvia qui lui apporta en souriant une boite où étincelaient des louis d’or. « Un messager est venu après votre départ et il a déposé ce legs en me disant que vous en auriez sans doute besoin pour rejoindre une cour lointaine où Le Quadrille des Princes faisait fureur ». Il me l’a remise en me signalant qu’il connaissait le nombre exact de louis d’or et que s’il en manquait, ne fût-ce qu’un, il m’en tiendrait pour responsable.
Plus que les louis d’or, les mots Quadrille des Princes surgirent dans toute leur splendeur et soudain un nom effleura ses lèvres, Lilly-Fleur. Frantz chancela et Sylvia eut des remords de l’avoir ainsi bousculé. Ses maux de tête revinrent et pour se pardonner à elle-même l’émoi qu’elle avait provoqué, la jeune femme renonça à cette attaque jalouse et reprit le service de celui qu’elle aimait avec passion.
Après avoir de nouveau lutté contre la maladie, le violoniste reprit la vie au quotidien, se laissant dorloter par la belle Sylvia dont il avait oublié les phrases assassines et la révélation. Les valses revinrent une à une sur son archet et un jour, il eut le bonheur de retrouver les mouvements enchantés du Quadrille des Princes.
À peine avait-il achevé cet ensemble merveilleusement dansant que Lilly-Fleur, vêtue de soie et de dentelles fit son apparition dans le petit domaine où la musique était reine.
Un voile se déchira instantanément dans sa mémoire et tous les souvenirs lui revinrent en foule.
Ils entrèrent dans la demeure et Lilly-Fleur lui conta son désespoir à l’annonce présumée de son décès. Cependant comme son cadavre n’avait pas été exhumé, elle ne cessa de nourrir un espoir. Elle mit au monde une jolie petite fille à qui elle donna le nom d’Aurore.
Des rumeurs coururent sur le retour du violoniste en son domaine et elle se décida à prendre la route comme elle l’avait fait jadis.
Frantz à son tour lui conta qu’il avait échappé à la mort par miracle mais qu’il avait perdu la mémoire à cause des coups qu’il avait reçus sur la tête.
Petit à petit, les valses étaient revenues sur son archet et pour la première fois il avait pu jouer le fameux Quadrille des Princes qui était à l’origine de leur séparation, de sa mésaventure et de ces douleurs affreuses contre lesquelles il avait dû lutter.
Sylvia entra à cet instant. Elle apportait le déjeuner, un baron d’agneau aux légumes du jour et un gâteau au miel et aux amandes. Elle déposa ces denrées, reçut en retour quelques pièces d’or puis elle s’en retourna chez elle avec la sensation d’avoir vu l’amour de sa vie pour la dernière fois.
Le charme de Lilly-Fleur était tel qu’elle ne pouvait pas lutter.
Les deux amants retrouvèrent les gestes spontanés de leur grande passion puis ils fermèrent la porte à clef et s’en furent vers leur foyer.
Frantz trouva Aurore adorable et il se promit d’écrire une valse. Mais il décida avec sagesse de concrétiser leur union avant toute chose et promit à sa dame de ne plus jamais la quitter.
Ce vœu spontané fut exaucé car de nouvelles invitations arrivèrent au nom de Frantz mais il fit savoir qu’il viendrait accompagné de son épouse. Sylvia fut contactée et elle accepta de s’occuper de la petite Aurore. Les louis d’or lui permettraient d’avoir une vie plus agréable.
Au retour du couple chargé de cadeaux et d’honneurs, elle eut sa part de magnificence et fut heureuse de rester au service de la petite Aurore qui était une très belle enfant, sage et facile à élever.
Frantz et son épouse vécurent heureux et eurent d’autres enfants dont Sylvia s’occupa avec bonheur.
La maison fut jugée trop petite et grâce à l’argent rapporté dans les cours princières, Frantz fit construire un petit château que l’on baptisa du nom des Muses.
Des sculptures ornèrent les colonnes du patio où l’on pouvait capter le soleil autour d’une fontaine, dans un décor de rêve parmi les orangers, le jasmin et les roses. C’est dans cet endroit que Frantz aimait découvrir de nouveaux airs sur son archet tandis que les enfants couraient pour capturer les papillons.
Chacun eut sa valse et par bonheur le petit Florian réclama un piano et bientôt il put accompagner son père et voler de ses propres ailes dans les cours princières.
Sylvia refusa de se marier et eut sa part de ciel bleu en se consacrant aux enfants puis devenue inutile, elle acheta la petite maison de Frantz et y vécut le reste de ses jours.

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