jeudi 11 décembre 2025

Soleil Bleu

 

 



Mamie arbora une jolie robe bleu pervenche qu’elle réservait pour les grandes occasions et se montra très gaie. Elle brandissait Le Dictionnaire Philosophique de Voltaire et elle lut à voix haute avec délectation le début de l’article Beau :

« Demandez à un crapaud ce que c’est que la Beauté, le grand beau, le to kalon ? Il vous répondra que c’est sa femelle avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule longue et plate, un ventre jaune, un dos brun.

Interrogez le diable, il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes et une petite queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias ».

N’est-ce pas merveilleux, Poucette ?  On peut conclure que la conception de la beauté est relative. Il en va de même pour la représentation des canons esthétiques.

Un personnage féminin décrit par Balzac et présenté comme disgracieux voire laid porte des mentions dignes d’un top model de nos jours : mince, la taille fine, les hanches étroites, la poitrine menue, le teint halé !

Au dix-neuvième siècle, on aimait les femmes plantureuses avec une poitrine généreuse et les jeunes filles se gardaient d’aller au soleil pour garder un teint de porcelaine.

On pourrait disserter à l’infini mais brisons-là : en lisant les œuvres littéraires vous affinerez votre point de vue.

Après ce préambule exubérant, Mamie donna le signal de l’enregistrement :

«  Soleil bleu : je vous offre cette métaphore en guise d’objet du schéma actantiel cher aux professeurs.

Loin du « soleil noir » de Gérard de Nerval présenté comme exemple d’oxymore, le soleil bleu illustre à merveille ma conception de la vie qui se résumerait ainsi : toujours voir le côté positif et céleste d’une situation prolixe en nuages sombres assortis d’orages.

«  Aimons encore, aimons toujours » disait Victor Hugo, éternel amant de la femme sous toutes ses formes. Il a créé le personnage de Fantine en s’inspirant d’une scène dramatique qui s’était déroulée sous ses yeux. Deux bourgeois éméchés s’en étaient pris à une malheureuse fleur de trottoir qui proposait ses charmes en guenilles un soir glacial.

Trouvant drôle de lui enfoncer une boule de neige bien tassée, destinée à faire mal, dans son décolleté, ces bourgeois indignes avaient provoqué des cris de douleur chez la malheureuse tandis que ses agresseurs se tenaient les côtes à force de rire.

Alertés par les cris, les gendarmes de ronde trouvèrent logique d’emmener la prostituée au commissariat.

Médusé, après un instant d’hésitation, sa notoriété étant en jeu, le poète suivit l’interpellée et se présenta au commissariat pour témoigner de l’innocence de la pauvre fille, la faute incombant exclusivement aux bourgeois.

Il déclina son identité et fut reconduit à la porte du commissariat avec déférence ; on lui signifia courtoisement que la jeune femme subirait une peine d’emprisonnement au nom de la morale.

Cet événement marqua si profondément Victor Hugo qu’il en fit l’élément central de la déchéance de la mère de Cosette dont chacun se souvient.

Chers lycéens, faites de la bienveillance votre leitmotiv. Ne jugez pas autrui à l’aune de ses fautes et pensez que de nombreux drames cachés sont à l’origine de bien des errements » !

Mamie se tut, Poucette rangea une fois de plus son matériel et se dit que cette réflexion servirait de point d’ancrage à la présentation d’une nouvelle représentation filmée des Misérables, cette Bible de la pensée française qui pourrait être l’ouvrage de référence de tous les Présidents de la République.

 

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