jeudi 1 novembre 2018

Mystère en chambre


Mystère en chambre
Cette fois c'est décidé, jme tire : je sens qu'on va me mettre le meurtre sur le dos ! Le bouc émissaire tout trouvé : j'ai les pupilles dorées avec des reflets jaunes, j'ai laissé mes empreintes partout, dans l'affolement !
Ma pauvre Luciana ! Je l'ai trouvée baignant dans son sang alors que j'étais à sa recherche : elle n'était plus à mes côtés et j'avais pensé que, comme à son habitude, elle était partie boire un verre de lait à la cuisine et c'est là que je l'ai vue, gisant sur le carrelage, elle qui redoute tant l'humidité,  le visage lacéré, un poignard planté dans le cœur !
Filons avant qu'il ne soit trop tard : je ne tiens pas à croupir au fond d'une geôle ! Adieu les amis et à bientôt car mon enquête commence : l'assassin ne l'emportera pas au paradis !
-Que me dites-vous, Madame Belange ? Il y a une enquête criminelle dans notre village ? C’est inouï ! Y a-t-il des suspects ?
-Pas à ma connaissance mais je crois que nous allons tous être interrogés !
-Catastrophe ! Nous n’avons pas de temps à perdre ici ! Avec les croissants, la baguette et le puits d’amour, vous faut-il autre chose, Madame ?
Non merci, ça ira pour la journée ! Ce crime, de plus, m’a plus ou moins coupé l’appétit ! à demain Madame Bonpin ! J’espère que le criminel sera sous les verrous lorsque je reviendrai !
Dans le village nommé Charme d’églantier, la vie devint trépidante : plus de calme comme jadis !
Des journalistes vinrent accompagnés de cameramen faire des reportages et comme personne ne savait rien, on supputa mille et une hypothèses extravagantes, au fil de l’humeur et de la fantaisie des éditorialistes  qui cherchaient, non pas la vérité, mais une présentation folklorique du meurtre.
Botanistes et chercheurs se mirent à chercher les églantiers qui étaient à l’origine du nom si particulier du village mais ils n’en trouvèrent pas.
Une centenaire leur confia que c’était par dérision que ce nom étrange avait été attribué lors d’une mise en demeure de trouver un nom pour la petite bourgade. Et puis ajoute-t-elle en découvrant ses gencives édentées, il y avait une très jolie jeune fille, prénommée Eglantine et on voulut, par ricochet, lui témoigner l’admiration que la gent masculine lui portait.
Pendant ce temps, moi, le seul témoin présent de la découverte du corps, j’étais loin !
Je suis allée me réfugier dans mon second chez-moi, un ravissant manoir dont je n’occupe qu’une mansarde où je me pelotonne chaque fois que je rencontre des difficultés et cette fois, c’est un énorme chagrin qui me taraude puisqu’il s’agit de l’assassinat de ma meilleure amie !
En dégustant un bol de lait qui chasse souvent tous mes soucis, je me suis remémoré les événements de la soirée fatale : nous avions joué gaiement aux petits chevaux puis nous nous étions endormies jusqu’à la fatale découverte !
Mais qui avait pu venir et perpétrer cet horrible crime ?
Il fallait que je retourne au village pour étudier toutes les hypothèses !
Cette décision prise je décidai de surseoir un peu afin que tout le monde m’ait oubliée : après tout j’étais la coupable désignée !
Je profitai donc de la quiétude du manoir et laissai les jours passer jusqu’au jour où je m’armerais de courage et de pugnacité pour jouer les Miss Marple et mener l’enquête jusqu’à l’arrestation de l’abominable criminel qui avait tué mon amie la plus chère !
Je me suis enfin décidée à me rendre sur les lieux du crime et j’ai couru tout le long de la route sablonneuse, me cachant dans les fourrés lorsque je voyais une personne ou un automobiliste à l’horizon.
Quel choc à la vue des scellés ! La maison si douillette qui inspirait ma chère Luciana et lui procurait le cadre cher à l’écrivain, l’aidant à noircir des feuillets de son écriture élégante n’était plus à présent qu’un lacis de pièces où les inspecteurs de police s’étaient livrés à une fouille méthodique.
Un désordre magistral régnait dans cet univers jadis féerique !
Un tracé à la craie reproduisait l’emplacement du corps qui devait sans doute être livré à l’autopsie !
Après avoir constaté tous ces éléments du haut de mon perchoir, la lucarne du grenier, je me suis faufilée dans le village sans crainte d’être reconnue : avec ma fourrure gris souris je ne risquais rien ! Mais pour plus de sûreté, je n’ai emprunté que des ruelles sombres connues par les initiés et j’ai évité la boulangerie, ce repère de langues de vipères.
Un enfant gâté avait jeté sa chocolatine et c’est avec délices que je m’en suis emparée ; un bol de lait mis à la disposition des chats errants par une émule de la Mère Michel m’a permis de boire et de de me rassasier car je me contente de peu.
Durant ma promenade dédiée à l’investigation, j’ai remarqué que de nombreux inconnus circulaient dans le village, jadis si tranquille mais il y en a un qui a attiré mon attention : il n’avait pas le profil policier et son visage en lame de couteau n’avait rien pour inspirer la sympathie : ressemblant peu ou prou à Croquignol et à Filochard, il était néanmoins dépourvu des traits quasi comiques de ces personnages de bande dessinée : son bandeau sur l’œil rappelait plutôt celui des pirates sanguinaires et son monocle brillait à la manière du bouclier de Brennus !
Pour ne pas être repéré, il usait de ma technique, rasant les murs et empruntant des venelles peu connues du grand public.
De crainte de ne pas pouvoir lui échapper, je suis revenue au grand jour, marchant à pas de velours dans la rue principale. 
De retour à la « maison du crime », je me suis réfugiée dans ce qui était notre chambre à coucher : je n’ai pas eu besoin de briser les scellés car je connais une ouverture qui me donne l’accès à notre demeure.
Je voulais me concentrer sur le curieux personnage mi- Croquignol mi- Ribouldingue que j’avais aperçu dans les ruelles du bourg mais je me suis rapidement endormie, brisée par l’émotion de me retrouver dans ce qui était mon havre de paix et de bonheur.
Au réveil il m’est venu une intuition : cet étrange personnage était forcément lié au crime car le mobile venait de se révéler, à mes yeux,  en pleine clarté ; Luciana avait écrit un livre dont le titre Mystère en chambre était tristement prémonitoire et son manuscrit était dissimulé dans un endroit qu’elle et moi étions les seules à connaître l’emplacement.
Je me suis rendue vivement dans l’endroit de la cachette pour constater que le manuscrit était toujours là, savamment dissimulé dans un encorbellement invisible à l’œil nu.
Ce monstre reviendrait nécessairement pour trouver le manuscrit et je n’avais qu’une chose à faire : le déposer chez son éditeur dont j’avais l’adresse !
J’ai emballé le précieux manuscrit dans un sac de lin brodé de roses que mon amie emportait toujours lorsqu’elle se rendait chez son éditeur et je suis partie pour accomplir un devoir sacré : rendre à mon amie ses derniers devoirs en faisant publier, à titre posthume, le manuscrit qu’elle avait savamment soigné en se référant au Mystère de la chambre jaune qu’elle avait coutume de porter aux nues.
Avec les habits de Rouletabille, j’ai déposé, en empruntant mille ruses, le sac brodé et son contenu sur le bureau de l’éditeur, profitant du moment où il était parti boire un café, et je me suis vite faufilée, à nouveau, dans les couloirs, pour retrouver l’air de la liberté !
Le devoir accompli, j’ai repris la route du manoir pour m’y mettre à l’abri.
Réfugiée dans ce lieu destiné au repos, je me suis régalée d’un plat mis à la disposition des hôtes de passage et je me suis livrée aux joies du farniente.  
Certaine que le temps ferait son œuvre, j’ai attendu patiemment qu’une révélation éclate et fasse bouger les lignes.
J’ai été récompensée car un jour, j’ai eu la surprise de voir à la une le manuscrit de Luciana, devenu livre sous le titre : le mobile du crime !
Heureuse d’avoir contribué à cette révélation, j’ai attendu à nouveau, pensant, à juste titre, que le visage de l’homme au profil en lame de couteau, portant les insignes de Croquignol et Ribouldingue apparaîtrait à son tour sous la mention : arrestation spectaculaire d’un suspect !
Cette une tardant à venir, je me suis décidée à jouer les rabatteurs s’il le fallait et j’ai repris le chemin de la maison du bonheur devenue celle d’un crime odieux.
J’ai remarqué, en arrivant dans le village, une effervescence inaccoutumée. On s’interpellait d’un trottoir à l’autre et surtout, chacun avait sous le bras le livre de Luciana ! Ma pauvre amie connaissait enfin une gloire posthume : elle rêvait tant d’être reconnue et aimée, c’est-à-dire lue ! Elle connaissait le succès grâce à sa propre mort !
Comme elle avait dû souffrir en étant poignardée ! J’imagine qu’elle n’avait pas voulu révéler la cachette où elle enfermait chaque soir, son précieux manuscrit et que perdant patience, son agresseur avait mis un terme à ses jours.
Soudain, je l’ai à nouveau aperçu, le présumé coupable mais ô surprise, il se déplaçait au grand jour, un micro à la main, interrogeant les passants en revendiquant son appartenance à une radio locale, Radio d’ Artagnan si j’ai bien compris le nom invoqué !
Je m’étais donc trompée sur l’identité du coupable et tout était à recommencer !
Déçue de ce piteux résultat, j’ai voulu, néanmoins, me renseigner davantage avant de repartir vers le manoir et je suis allée, en brouillant les pistes, jusqu’au commissariat.
La chance était encore avec moi car l’équipe avait décidé d’organiser un briefing dans une grande salle et j’ai pu observer le tableau où étaient épinglés les divers indices, voire les photographies de suspects potentiels et là j’ai vu un profil qu’aucune photographie n’illustrait mais qui portait le nom étrange de Bel Amant.
Quelques échanges douteux, relevés sur la messagerie de mon amie, m’ont révélé que la police avait une piste très éloignée de celle du manuscrit et qu’il s’agissait vraisemblablement d’un crime passionnel !
Comme j’étais naïve ! J’avais fini par faire mienne l’obsession littéraire de mon amie, m’aveuglant sur les raisons de sa mort si barbare !
Un amour clandestin était signalé ! Comment l’aurais-je manqué alors que j’étais omniprésente auprès de Luciana ? Soudain des souvenirs me revinrent : je la revoyais, pianotant avec frénésie sur son clavier, ignorant mes plaintes discrètes et mes caresses furtives : je n’étais pas seule dans son cœur et ses absences et sourires dans le vague ne m’étaient pas adressés !
Bel Amant si mal nommé puisqu’il avait fini par la poignarder et lui lacérer le visage avait capté son âme et mon amitié si pure et si claire n’était plus qu’un lointain souvenir !
Alors je pris la décision d’oublier toute cette affaire et de regagner définitivement le manoir pour ne plus jamais revenir dans la maison du crime et de l’amitié poignardée !
Comme on le dit si bien lorsque l’on veut se débarrasser d’une affaire : «  Laissons faire la justice » !
D’ailleurs qui tiendrait compte de la déposition d’un chat, n’est-ce pas ?

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