mardi 29 janvier 2013

L’île oubliée




Alors qu’il admirait un banc de dauphins qui bondissaient autour de l’Hirondelle, le Trois-Mâts légendaire de sa famille, Florian fut emporté par un paquet de mer et se retrouva sur le dos d’un dauphin.
Certes il n’était pas peu fier de connaître une aventure similaire à celle d’Arion, célèbre dans la mythologie grecque mais il craignait de se voir projeté dans les fonds marins. Il se cramponnait à son destrier aquatique et répondait à ses cris par des onomatopées qui se voulaient amicales.
Parvenu au large d’une île, le dauphin sauveur l’expulsa d’un coup de rein et lui adressa une multitude de cris amicaux.
 Le garçonnet nagea jusqu’à la lisière d’écume et marcha sur le sable avec une joie intense. De magnifiques coquillages attirèrent son regard mais il reporta l’exploration de la plage : il était nécessaire avant tout de se trouver un abri.
Par chance, il avait gardé ses sandalettes de cuir souple et ses pieds ne souffraient pas du choc des galets. Après avoir progressé une bonne heure, il eut l’agréable surprise d’aborder une zone ombragée par des pins parasols.
Le sol était tapissé d’aiguilles odorantes et bientôt des blocs de marbre se profilèrent dans un paysage qui rappelait le dépouillement des estampes japonaises. Une grotte accueillante, ornée de fleurs et de fruits en grappes semblait lui faire signe. Florian ne bouda pas cette invitation et découvrit une pièce meublée et tapissée avec goût. Des livres superbement reliés étaient rangés dans une anfractuosité de la roche. Florian feuilleta l’île Mystérieuse de Jules Verne. Il s’assit sur un fauteuil de rotin et lut quelques pages jusqu’à ce que le sommeil le gagne.
Lorsqu’il se réveilla, la nuit était tombée et des sortes de soupirs s’exhalaient d’une masse sombre. Au petit matin, Florian découvrit qu’il s’agissait d’une panthère. Elle portait un collier d’or autour du cou et on pouvait lire sur une plaque un nom : Alba[1]. Trouvant le jeu de mots amusant, Florian sut qu’il avait désormais une amie puisque Alba se montra affectueuse à son égard. Décidé à en savoir plus sur l’environnement de son refuge, il quitta la grotte protectrice. Alba l’accompagnait. Sur son chemin, il repéra quelques trésors, des œufs d’oiseaux marins et des fruits appétissants qu’il rassembla dans son foulard. De quoi ne pas mourir de faim ! Un coffre semblait abandonné. Florian l’ouvrit et ce fut un émerveillement : une cascade de bijoux, des pièces d’or et surtout pour un intérêt immédiat, des pièces de tissu et des costumes dont l’un était à sa taille, des couvertures de laine sans oublier des objets quotidiens, lampes, accessoires divers.
Il se contenta d’emporter une couverture et revêtit le costume qui le transporta dans un siècle où l’élégance était naturelle. Quelques pièces d’or et une bague ainsi qu’une parure qu’il destinait à sa mère complétèrent ce petit trésor personnel. Il reprit le chemin de la grotte pour y déposer toutes ces trouvailles qu’il qualifia à juste titre de merveilleuses.
Dans cet abri naturel si bien agencé, il eut une nouvelle surprise agréable. Une table chargée de mets odorants, bol de riz accompagné de crevettes, crabe décortiqué, poisson cuit sous la cendre et gâteaux qui exhalaient des parfums de noix de coco, réveilla son appétit.
Vite délesté de sa charge, il mangea cet assortiment gourmand tandis qu’Alba dévorait des bouchées de poisson cru et buvait de l’eau de source contenue dans un récipient de bonne taille.
Florian, de son côté, but un excellent breuvage à base de jus de fruits divers où dominait un parfum d’ananas sucré.
Après ce petit festin, Florian se reposa dans le fauteuil qui semblait avoir été fait pour lui, décidé à faire le point sur la situation. Alba ronronnait à ses côtés, prête à épouser le calendrier de l’adolescent. Ce qui étonnait le plus Florian, c’est qu’il avait l’impression d’être le héros d’un livre de contes. Il allait au gré de la fantaisie d’un auteur burlesque dont la création le plus phénoménale était cette admirable panthère, Alba la reine de l’île.
Cette mise au point faite, Florian se décida à repartir vers le rivage. Il espérait qu’un voilier se profilerait à l’horizon et qu’il retrouverait une vie normale. Avisant un sac de marin, il l’emplit de ses trésors, escomptant le grossir de quelques pièces supplémentaires en fouillant le coffre. Pratique, il n’oublia pas de se munir de quelques pains et d’une gourde d’eau fraîche.
Sautoirs de perles, rivières de diamants, broches en or ciselé, objets de nacre dont un miroir qu’il destinait à sa mère grossirent le trésor auquel il ajouta une grosse poignée de pièces d’or. De quoi vivre sans souci financier jusqu’à la fin de ses jours ! Pensant surtout à ses parents qui avaient investi toutes leurs économies pour acheter le voilier, Florian marcha sur une route qui lui semblait triomphale. Ses efforts furent récompensés car des cris de joie retentirent au loin. C’était son dauphin ! Il l’aurait reconnu entre mille tant ses cris étaient empreints d’amour. Florian embrassa Alba entre ses deux yeux mordorés et il entra dans les flots.
Enfourchant le dauphin, il fut à peine étonné de se voir déposer près de l’échelle de corde du bastingage du voilier. Il grimpa, toujours lesté du précieux sac et tomba dans les bras de ses parents. Le dauphin fit des bonds de joie puis partit retrouver ses compagnons.
En guise d’explications, Florian déversa le contenu du sac et raconta ensuite les péripéties de son aventure.
« C’est curieux, dit son père, cette île n’est pas répertoriée sur l’atlas océanique dont je dispose. Qu’importe, dit Florian, j’en retrouverai le chemin mais à présent, je n’ai pas envie de vous quitter ».
Ils décidèrent de revenir dans leur pays d’origine et d’utiliser au mieux les richesses considérables dont ils étaient gratifiés.
Heureux de leur bonheur, Florian s’empressa de noter les caractéristiques de l’île. Il prit un carnet de dessins et croqua Alba, la malle aux trésors, la grotte.
De nombreuses questions restaient en suspens, notamment l’identité des personnes qui avaient meublé et décoré la grotte ainsi qu’aux ordonnateurs du festin. D’où provenait le trésor et enfin pourquoi l’île restait-elle inconnue à ce jour ?
À cet instant, un oiseau bleu déposa sur sa table de travail un parchemin sur lequel il lut, écrit en lettres poudrées d’or le message suivant : « Écris, Florian, c’est ta destinée ! À toi de recréer le monde de l’île oubliée ! ».


[1] Alba : adjectif latin, signifie blanche

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