Dans
un royaume où régnait une parfaite harmonie, il arriva qu’un petit groupe
d’hommes décidés à mettre fin à la gouvernance royale, mit à exécution un plan
diabolique. Saisissant l’occasion de la présentation au peuple du petit Prince nouvellement venu au
jour, François- Louis, un expert de l’arme blanche, poignarda le roi à travers
une tenture. Cette opération menée à bien, le groupe se dispersa afin de tuer
toute la famille royale et les grands dignitaires. Voyant le danger s’approcher,
la reine se changea dans la chambre d’une servante et c’est revêtue d’un
costume gris et d’une pèlerine à capuche qu’elle quitta le palais avec un petit
couffin où dormait le Prince. Craignant d’être démasquée, elle déposa le
couffin près d’une jeune femme venue vendre des volailles et des œufs au marché
et se fondit dans la foule.
Découvrant
l’enfant, Éliette
crut à un don du ciel car elle venait de perdre son nourrisson. C’est avec joie
qu’elle offrit son sein au bel enfant et crut réellement qu’il s’agissait de
son fils, son Ange adoré. Elle le berça ensuite, l’endormit en chantant d’une
voix douce puis elle rentra vite chez elle après avoir laissé son étal à une
compagne.
De
retour au foyer, elle coucha Ange dans son joli berceau de merisier habillé de
beaux voiles qu’elle avait brodés. C’est le cœur en joie qu’elle prépara la
soupe où elle mêla topinambours, pommes de terre violine, rutabagas, plantes
cueillies dans les champs, carottes sauvages et panais.
Les
jours passèrent puis les mois et les années rythmés par la prospérité revenue
au foyer de la douce Éliette.
Le
mari qui l’avait abandonnée revint après avoir connu des amours passagères.
Heureux de la paternité qu’il ignorait, il aima instantanément ce fils si bien
venu.
Il
était si beau dans ses vêtements de velours qu’il avait une attitude princière
ce qui ravit Charles-Henri, le mari.
Si
nous lui offrions une petite sœur ? murmura-t-il à l’oreille de son
épouse. Ce grand bonheur arriva et bientôt une jolie petite Rose-Bonheur vint
au monde. Ange l’adopta avec beaucoup de tendresse et il fut le premier à
guider ses pas dans le bois où il aimait cueillir muguet, pervenches et autres
fleurs dont il faisait des bouquets qu’ Éliette vendait au marché avec les
produits fermiers qui avaient établi sa renommée. Personne ne lui avait appris
à chasser et pourtant c’est ce que fit Ange le bien nommé. Il se confectionna
un arc et des flèches et revint fièrement à la maison avec un butin savoureux,
bécasses, oies sauvages, perdrix et autres animaux qu’ Éliette transforma en
rôtis, ragoûts et pâtés. Ces aliments apportèrent tant de bien être à la
demeure qu’un nouvel enfant fut conçu.
Ange
était un bel adolescent ce qui décida Charles-Henri à confier son apprentissage
au maître d’armes du palais. La jeune recrue se montra docile et obéissante
sans être servile, ce que ne manqua pas de remarquer son chef qui avait
participé à la rébellion et à la mise à mort du Roi et des hauts dignitaires du
palais.
Un
jour, la ressemblance du jeune homme avec le défunt roi frappa le maître
d’armes qui s’entretint à voix basse avec quelques acolytes. On n’avait jamais
retrouvé le prince François-Louis et sa mère, la reine morte en chutant dans un
précipice sur le chemin de sa fuite. Aucun nouveau-né ne fut découvert à ses
côtés. Ange entendit cette conversation par un hasard singulier qui l’avait
conduit à l’aile du palais réservée à son chef : il avait repéré un
chevreuil et voulait demander la permission de le suivre pour l’abattre et le
ramener aux cuisines en vue d’un festin royal. Une phrase le glaça :
« pour plus de sécurité, il faut mettre à mort ce jeune Ange car il est
certainement le prince François-Louis et par mesure de prudence, il faudra
également passer par les armes sa famille d’accueil et mettre le feu à cet
asile maudit. La ressemblance est trop frappante pour ne pas être empreinte de
vérité. Demain nous frapperons à l’aube » !
Ange
n’attendit pas son reste. Il sella un cheval aux écuries et s’en fut porter la
funeste nouvelle à sa famille. Il voulut faire parler Éliette mais la pauvre
femme avait fini par prendre l’illusion pour la réalité et elle lui assura
qu’il était bien son fils.
« Mère,
je ne doute pas de vous mais ces hommes ne plaisantaient pas : ils vont
venir vous tuer. Permettez-moi d’emmener Rose-Bonheur car je ne voudrais pas
qu’ils se livrent à la débauche tant sa beauté est éclatante ».
Éliette prépara
promptement une besace de linge et de nourriture, embrassa ses enfants et prit
le parti de se cacher dans la forêt. Par chance, son mari était parti à la
foire vendre une belle paire de bœufs dont il espérait un bon prix.
Le
jeune homme prenait soin de ménager leur monture tout en augmentant
sensiblement la distance qui les éloignait des attaques violentes. Bientôt
cependant il dut ralentir le pas. Rose-Bonheur s’était endormie et la nuit
était tombée. Ils arrivèrent auprès d’une forêt que le jeune homme ne
connaissait pas, en dépit du quadrillage qu’il avait exercé en qualité de chasseur.
Des oiseaux s’envolèrent dans un grand bruit d’ailes et la progression devint
si difficile que le jeune homme mit pied à terre, résolu à passer la nuit dans
cet endroit insolite. Il déposa doucement celle qui lui était si cher au pied
d’un chêne et partit à la recherche de matériaux pour construire un abri
provisoire. En soulevant une branche, il aperçut une lueur au loin. Cette forêt
était donc habitée ! Renonçant à son projet initial, il se dirigea vers la
lumière et découvrit une charmante maison ornée de vigne vierge et de
clématites.
Une
jeune femme apparut sur le seuil, l’invita à entrer et dépêcha des serviteurs
pour emmener la belle Rose-Bonheur en lieu sûr.
Un
bon feu flambait dans la cheminée. L’hôtesse leur présenta un assortiment de
petites merveilles qui allaient de biscuits maison à la fleur d’oranger à de
savoureux petits pâtés recouverts d’une pâte dorée au jaune d’œuf. Du lait aux
amandes et un pichet de vin ainsi que d’eau pétillante étaient à leur
disposition.
Les
jeunes gens firent honneur à ce repas réconfortant puis le sommeil les envahit.
Ils gagnèrent leur chambre après avoir pris un bain délassant et c’est vêtus de
longues tenues de nuit brodées et fleurant la lavande qu’ils s’étendirent sur
des lits jumeaux, plongeant rapidement dans le sommeil.
À l’aube, comme prévu,
les assassins arrivèrent, toutes dagues sorties du fourreau, dans la maison du
jeune homme et entrèrent en fureur en la trouvant inhabitée.
Ils
fouillèrent la maison et découvrirent bientôt la preuve irréfutable de l’identité
du prince. Dans une armoire, ils décelèrent un double fond et dans cette
cachette mirent au jour le couffin des origines, la tenue d’apparat du prince
avec la couronne royale brodée. Quelques pièces d’or, cadeau de la reine dans
sa fuite éperdue gisaient également et ils reconnurent l’année d’émission des
précieux ducats.
Fiers
de leurs découvertes, ils n’eurent de cesse de se venger, mirent le feu à la
maison comme ils l’avaient projeté et s’en furent en emportant les pièces qui
apportaient la preuve de l’identité du prince, pressés de le ramener au palais
pour le mettre solennellement à mort.
Ignorant
ces noirs desseins, les jeunes gens se réveillèrent d’excellente humeur. Un bon
déjeuner de lait crémeux, de brioche dorée au four et de confiture ou gelées
leur donna des forces et je jeune homme remercia leur hôtesse en lui faisant
part de leur souhait de repartir au plus vite afin d’échapper aux assassins
lancés à leurs trousses.
« N’en
faites rien, cher enfant dit l’hôtesse en souriant. Ici vous êtes en sécurité.
Je suis la fée des sources, votre marraine. J’ai toujours veillé de loin sur
votre sécurité. Éliette
a été une mère de substitution parfaite mais à présent il est bon que vous
retrouviez votre nom et votre rang. Vous êtes le prince François-Louis et
bientôt vous règnerez sur votre royaume. Mais il faut attendre que les félons
soient châtiés, ce qui ne saurait tarder puisque des hommes entrainés aux arts
martiaux, mes fidèles sujets, sont à leurs trousses. En attendant soyez heureux
chez moi et construisez-vous un bel avenir ».
Puis
la fée s’éclipsa afin de laisser les jeunes gens en tête à tête.
Rose-Bonheur
était heureuse de ces révélations mais elle ne savait quelle attitude adopter.
François-Louis mit un terme à ses doutes en l’enlaçant tendrement. « À présent, tu seras
mienne si tu le veux » lui souffla-t-il dans un baiser. La jeune fille se
laissa aller à cet accès d’émotion et c’est en couple qu’ils se conduisirent
désormais.
Quant
à Éliette, elle avait tant
couru qu’elle fut prise d’un éblouissement et tomba dans un fossé. Une paysanne
qui fréquentait les mêmes marchés la trouva inanimée et elle fit appel à son
entourage pour l’emmener dans sa chaumière où elle retrouva ses esprits.
L’émotion et le choc de la chute déclenchèrent le processus de l’accouchement
et lors de la délivrance, un magnifique petit garçon vit le jour. Comment
l’appellerez-vous ? lui demanda-t-on et dans un souffle, elle prononça le
prénom béni, Ange. C’est alors qu’un voile se déchira dans sa mémoire et
qu’elle revit en instantanés des moments de sa vie qu’elle avait occultés. Elle
revit la reine déposant un couffin à ses côtés au marché et elle s’avoua enfin
que ce bébé qu’elle avait prénommé Ange et qu’elle avait chéri comme son fils
n’était pas le sien.
Épuisée par ce constat
et consciente qu’il faudrait qu’elle avertisse l’intéressé et son mari, elle
s’endormit en rêvant qu’elle vivait dans un palais.
Les
maîtres d’armes de la fée eurent tôt fait de terrasser les félons et leur chef
s’empara du trousseau du prince puis conformément aux ordres de leur
souveraine, ils jetèrent ces hommes vils sur le pavé de la cour du palais,
enchaînés et bâillonnés. La foule les réduisit définitivement au silence car tous
avaient eu à souffrir de ces traîtres insensibles et pervers. Avant de revenir
à la demeure féerique, ils firent un détour vers la chaumière incendiée,
jetèrent dans les cendres quelques pincées d’une poudre magique qui lui rendit
lustre et beauté.
Ce
travail achevé, ils revinrent rapidement dans le cercle de la fée des sources,
remirent les précieux ornements vestimentaires et les pièces d’or puis
repartirent vers leur camp d’entraînement, se tenant à la merci d’un prochain
appel.
C’est
avec beaucoup d’émotion que François-Louis caressa les vêtements qu’il avait
portés pour sa présentation au peuple et déplora la mort accidentelle de la
reine qui l’avait sauvé en le déposant près de l’étal de la brave Éliette.
J’espère
que notre premier enfant portera cette magnifique tenue d’apparat dit
Rose-Bonheur en rougissant ce à quoi le prince répondit par un baiser.
Loin
de se douter de tout ce qui s’était passé en son absence, Charles-Henri
revenait chez lui, heureux de la belle vente de ses bœufs. Il réservait une
surprise à sa femme, un châle splendide venu de l’Inde lointaine et il
imaginait la future mère drapée dans cette soierie brodée de roses et d’oiseaux
exotiques.
Mais
la surprise fut pour lui. Un bon feu flambait dans la cheminée mais c’est une
voisine qui l’accueillit pour lui servir la soupe et un rôti d’agneau. Des
vagissements lui apprirent que l’enfant était né. « Mangez d’abord, lui
dit la voisine, vous avez un beau petit garçon. Votre femme dort et à son
réveil, elle aura une anecdote à vous dire ». Intrigué, Charles-Henri se
plia à ces injonctions, mangea avec beaucoup d’appétit puis il remercia la
brave voisine qui s’éclipsa avec délicatesse pour laisser les époux en tête à
tête.
Quelques
mois plus tard, le prince envoya des émissaires au palais afin de révéler sa
véritable identité. La robe de baptême était jointe au message et une brodeuse
du palais la reconnut. Elle en pleura de tendresse, revoyant cette scène qui
aurait dû être la plus belle du royaume, la reine portant fièrement le magnifique
petit prince pour le présenter à la foule.
« Je
pourrai le reconnaître formellement dit la nourrice car je suis la seule à
l’avoir vu nu avec la reine qui n’est plus de ce monde. Il possède un signe de
reconnaissance ».
Averti
de ces paroles, le prince arriva sous bonne escorte, demanda à rencontrer la
nourrice qui énonça fièrement son verdict : c’était bien le prince car sur
la hanche gauche, il avait un tatouage singulier, celui d’un oiseau bleu. La
reine avait entendu parler de substitution d’enfant et c’est ce qu’elle
redoutait le plus au monde, ne se doutant pas que le danger qui les guettait
relevait de l’assassinat pur et simple.
Les
sujets de François-Louis lui firent allégeance et l’on ordonna de grandes fêtes
pour célébrer le retour du prince. Ce fut une liesse royale. Lors du dernier
banquet, le souverain leur annonça qu’une princesse arriverait bientôt au
château.
Lorsque
Rose-Bonheur fit son entrée dans un carrosse digne de sa beauté, elle fut
ovationnée et chacun scanda son nom. Afin de remercier la personne qui lui
avait dispensé l’amour d’une mère, François-Louis anoblit le couple que
formaient Charles-Henri et Éliette
et les installa au palais.
Charles-Henri
fut chargé des chasses royales et Éliette se consacra à l’éducation de son
fils, veillant de loin avec beaucoup de fierté sur sa petite Rose-Bonheur qui
portait mieux que jamais le magnifique prénom qu’elle lui avait donné à la
naissance.
On
ne vit plus l’ombre d’un félon dans le royaume et tous vécurent heureux,
notamment lorsqu’un petit prince naquit au palais. On le nomma Ange-Louis car
le prince tenait à remercier encore sa mère adoptive pour tout le bonheur que,
simple paysanne, elle lui avait apporté.
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