dimanche 17 avril 2022

Un singulier concours

 



Lassé de devoir choisir la dame de ses pensées parmi les belles et nobles personnes qu’on lui présentait, un prince qui avait fait de livres de recettes gourmandes son principal thème de prédilection, fit savoir à son de trompe et de tambour qu’il élirait celle qui monterait sur le trône royal à la suite d’un concours gastronomique : des critères savants, alliant élégance, saveur, sens de l’économie et de l’utilisation des ressources du royaume furent répertoriés et remis à chaque postulante.

La belle Soraya enchanta les convives par sa pastilla aux amandes et aux pigeons suivie d’une pastilla à la crème de roses, de fruits confits et de raisins secs. Charmante et gaie, la jeune Aurore présenta un plat de poulet à la sauce poulette, accompagné de légumes en cocotte et son dessert obtint tous les suffrages car il consistait en une pyramide de choux caramélisés, délicatement fourrés d’une merveilleuse crème parfumée à la bergamote.

Douce qui portait joliment son prénom eut l’audace de proposer aux gourmets une ronde de pains en tout genre, rappelant à chacun les charmes de sa province : fouace, pains au sésame, brioches poitevines, sucrées ou salées, pains de sarrasin fleurant bon la Bretagne, toute une évocation provinciale qui ne pouvait qu’évoquer des souvenirs d’enfance ou d’événements heureux.

Marion venue des Hauts de France servit des plats fleurant bon le genièvre, le pain d’épices et la bière blonde : du coq au vin glissa dans les palais comme du velours et son accompagnement de pommes dauphine ravit les amateurs de mets tenant au corps tout en étant digestes. Des tartes à la cassonade, à la rhubarbe, à la crème de pruneaux et au lait crémeux firent l’unanimité.

Enfin, la délicieuse représentante de l’Aquitaine servit une soupe dite garbure, une salade gasconne, du saumon à la sauce hollandaise et des cannelés pour dessert. Une tourtière arrosée à l’Armagnac, la plus ancienne eau de vie de France fut le bouquet final.

Ces délices absorbés, le jury se retira pour délibérer et choisir la cuisinière qui leur aurait fait la plus forte impression.

Le prince Abdallah de l’île aux perles, le comte Louis de Champagne, le marquis Erwan de Fouesnant, le baron Charles de Mont de Marsan, Henri de Chambéry, Sylvain de Noailles chantèrent les louanges de ces jeunes demoiselles qui avaient fait montre de leur talent avec brio et de telle sorte qu’aucun plat ne pouvait se détacher avec netteté.

Le prince proposa que l’on passe au vote, ce qui fut accepté avec enthousiasme.

Dame Pervenche, la première gouvernante du palais, apporta de jolies enveloppes parfumées à la rose et chacun glissa le nom du plat qui l’avait ému.

Le prince ne voulut pas choisir le plat de son enfance, la fameuse pastilla et il choisit, pour leur pertinence en période de disette, la ronde de pains, merveilleuse, nourrissante et légère.

Chacun voulut honorer le plat régional de son voisin de sorte qu’il fut impossible de donner une priorité nette à une réalisation.

Dame Pervenche suggéra que l’on départage les ex aequo en offrant des points pour la présentation des plats et l’élégance du contenant, faïence, grand plateau d’argent ciselé pour la pastilla et jolies coupelles de porcelaine pour les gâteaux à la rose qui l’accompagnaient, faitout de belle facture pour un plat mijoté et ainsi de suite.

On revint donc à la case départ et les membres du jury se retirèrent dans le salon d’argent pour trouver un moyen d’élire la princesse aux mille charmes, digne de régner auprès de son prince.

Richement meublé de sofas profonds, de fauteuils élégants et de tables miroir pourvues de fruits en pyramide ou de cornes de gazelle et fruits déguisés enrobés de pâte d’amande, le salon incitait à la détente et à la réflexion.

Il se prolongeait par une verrière qui donnait sur le jardin où abondaient les roses, les arbrisseaux et les groseilliers rubiconds.

Les idées circulèrent à la ronde et au terme de nombreux débats animés, il fut décidé que ces dames seraient départagées par leur talent oratoire et leur sens poétique.

Thibaut de Champagne fut le promoteur de cette  thèse selon laquelle, le prince devant partir en guerre ou faire partie d’une ambassade qui l’éloignerait de son pays, il serait bon que la reine fût capable de remédier à la vacance du pouvoir.

Aliénor d’ Hossegor, la première à intervenir par tirage au sort, suscita l’émerveillement par l’adéquation parfaite entre son élégante prestance, l’excellence de ses plats et son éloquence pour mettre en valeur les beautés de sa région.

«  Aquitaine de mes amours, empreinte de soleil, de poésie et d’Histoire tournée vers les océans, je souhaite que ruisselle le bonheur, du simple coquillage trouvé sur tes rivages aux pépites d’or recueillies dans les pays lointains auxquels nous sommes attachés, j’aurai à cœur de défendre tes couleurs, sans ostentation excessive et avec le sens aigu de  l’appartenance à un pays de rêve.

Que les plis de ma robe safran s’enroulent dans les sequins de nos richesses, non pour le seul plaisir de jouir d’un bonheur sans partage mais bien pour obtenir un avenir radieux réservé à tous !

Roi d’une terre où abondent les fruits du savoir, les perles de la poésie et les sillons de cultures multiples, je promets d’œuvrer à tes côtés pour que notre pays attire les savants et les philosophes ainsi que les mathématiciens de renom : de cette manière nous ouvrirons les frontières des lendemains stellaires qui chantent déjà à nos oreilles.

Roi du monde, je m’incline devant toi et je promets que tu auras en moi une épouse sans faille qui saura t’accompagner durant toute une vie.

Je m’en remets humblement à vos jugements, jurés d’un cercle doté de tant de charme et d’intelligence vive.

Que l’eau vive des torrents de nos montagnes éclabousse de lumière votre jugement devant lequel je m’incline, quel qu’il puisse être » !

Un ange passa après l’intervention de la belle Aliénor, si sage et si éloquente puis chacun se mit en devoir d’écouter chaque participante.

Marion de Valenciennes ravit chaque membre du jury en apparaissant vêtue d’une tunique de lin brodée de coquelicots et de bleuets. La blondeur de sa chevelure jetait des notes solaires et son dernier plat présenté, une tarte aux pruneaux aux croisillons de pâte aromatisée et dorée provoqua des émotions gustatives auprès de chacun.

«  Reine du Nord, des ducasses et des géants, des pavés qui inspirent aux sportifs des étapes d’anthologie, je me soumets à la grandeur de tes paysages ondulant sous les blés et serpentant au gré des rivières qui inspirèrent tant de poètes !

Val des cygnes à nul autre pareil, perle de cette province qui jamais ne se soumit, je jure de ne jamais transgresser les lois de notre royaume et je mettrai, s’il le faut, la cuirasse des guerrières pour défendre l’intégrité de ton territoire !

Roi de tous les rivages, je mets un genou à terre et je baisse ma tête couronnée de tresses en signe d’allégeance s’il te plaît de me voir à tes côtés » !

Sur ces mots, la belle disparut dans un halo fauve et lumineux et chacun se mit à rêver.

Ce fut en vérité une courte pause car l’arrivée de la splendide Soraya coupa le souffle de ces messieurs qui se voulaient si sages : Sa danse des sept voiles projeta chacun dans un univers onirique digne des Mille et Une Nuits.

Lorsqu’elle s’abattit aux pieds du roi, ce fut avec la grâce d’une fleur fraîchement coupée, répandant les sucs pleins de miel de sa tige.

Et que dire de son éloquence si ce n’est qu’elle sembla être le summum de l’élégance et de la courtoisie faite femme. Les mots coulaient de ses lèvres comme autant de perles et de rubis et lorsqu’elle se tut, chacun retint son souffle, craignant de la voir se dissoudre dans un nuage doré ?

Aurore et Douce se montrèrent à la hauteur de leurs consœurs et lorsque le tournoi prit fin, les membres du jury se retirèrent afin de délibérer en toute légalité.

Force fut de reconnaître qu’il était à nouveau impossible de départager ces dames tant leurs prestations, diverses et talentueuses étaient dignes d’une reine.

« Amis, nous n’imposerons pas une nouvelle épreuve à ces gentes dames tant leur talent est évident : je propose donc qu’on leur laisse la liberté de nous choisir.

Je m’engage solennellement à m’incliner devant celle, quelle qu’elle soit, qui viendra me tendre la rose des amours et je l’épouserai avec l’accord de tous » !

Ainsi parla le prince Abdallah de l’île aux perles et ce fut un tollé de joie et de remerciement au cœur de ses amis.

Qui gagnera la couronne et qui trouvera l’amour auprès d’un noble seigneur, le conteur vous laisse le loisir de l’imaginer, voire de donner une suite à ce charmant et inédit concours !

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire