La stupeur de Renée fut à son comble le lendemain , au petit déjeuner lorsqu’elle vit un nouveau venu à la place d’ Aurélien. Il avait un rond de serviette au nom de Louis.
Découragée, Renée mangea sans mot dire et partit ensuite à l’atelier de poterie où elle reprit la décoration de sa cruche. Elle s’appliqua, s’efforçant de ne penser à rien.
L’animatrice de l’atelier la félicita pour la qualité et la finesse de son dessin : « Cette cruche fera fureur et elle gagnera certainement un prix lorsque nous exposerons les œuvres des résidents. Continuez sur cette voie ».
Ces paroles adoucirent la peine profonde de Renée qui promit d’entreprendre la création d’un nouvel objet.
Elle se retira dans sa chambre et tâcha de mettre de l’ordre dans ses idées.
Que faire pour éviter cette malédiction du rond de serviette ? Qu’étaient devenus les résidents qui avaient mystérieusement disparu sans laisser le moindre mot d’explication.
Désemparée, Renée tenta de lire pour se changer les idées mais l’obsession d’un danger imminent l’empêcha d’adhérer au roman de Ken Follett. Elle se demandait si elle ne devait pas jeter ses effets dans sa valise et fuir au plus vite.
« Pour aller où ? Tu as placé tout ton argent dans cette résidence présentée comme un havre de paix » se disait-elle avec l’impression d’être devenue une prisonnière en sursis.
Sombrant dans l’océan noir de la malédiction, certaine d’être le prochain rond de serviette retiré, elle fut intriguée par des bruits émanant de sa fenêtre. Elle l’ouvrit pour découvrir Aurélien en équilibre instable sur le rebord de l’ouverture.
Il entra rapidement, ôta son manteau et lui fit le récit de son aventure.
Au sortir du lit, il avait été aveuglé par un drap dont on l’avait enveloppé après l’avoir endormi au chloroforme et s’était réveillé dans une île où erraient les résidents disparus comme des somnambules, vraisemblablement drogués.
Il fit semblant de boire l’infusion de plantes présentée par une personne en blouse blanche et se dissimula dans les roseaux pour écouter la conversation des dirigeants de l’île.
Ils jouaient aux dés l’initiale de la personne dont ils retireraient le rond de serviette pour la remplacer par un nouveau venu.
Apparemment c’était un jeu qui les divertissait, rompant la monotonie des jours.
« Je me suis enfui à bord d’une barque amarrée sur les berges de l’étang et je suis venu rapidement à la résidence pour vous enlever, ma chère » ajouta-t-il en souriant.
« J’ai pris mon tableau. Partons sur le champ !
Pour aller où ? dit Renée avec désespoir : Je n’ai ni logis ni bien. Je ne possède que quelques livres et de la menue monnaie.
Rassurez-vous, ma chère : Je peux vous accueillir dans mon château. Je me présente , Aurélien de Montereau ! J’ai hérité du château de mes ancêtres et vous y invite. J’étais venu tester la résidence car je me sentais seul et âgé. Vous m’avez rendu le goût de vivre et je vous en suis redevable. Fuyons ! Ne prenez rien, à part votre livre de chevet ; mes armoires regorgent de toilettes et de linge ayant appartenu aux duchesses de la famille. Vous n’aurez que l’embarras du choix ».
Ils enjambèrent le rebord de la fenêtre et mirent pied à terre sur la pelouse.
Les fugitifs prirent un taxi et se rendirent au château d’ Aurélien.
Le duc mit son tableau en lieu sûr ; Je vous laisse imaginer la joie qui s’empara d’eux : Finis le ronron des jours et la discipline imposés !
« Fay ce que vouldras » : la devise Rabelaisienne serait désormais leur modus vivendi.
Renée se félicita d’avoir trouvé au crépuscule de ses jours l’immense joie d’un sursis de bonheur !

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