En prenant un raccourci pour regagner
son château, le prince Volodia se trouva tout à coup face à un lac dont il ne
soupçonnait pas l’existence.
Il mit pied à terre pour admirer cette vertigineuse
étendue d’eau lumineuse et il fut à peine étonné d’assister à un flamboiement
inhabituel. Des colonnes d’eau où brillaient grenats, rubis et turquoises s’élevèrent
vers le ciel et soudain un gigantesque cœur de rose emprisonné dans une sphère
scintillante se concrétisa à ses yeux éblouis. Invité à l’admirer de près, des
rochers taillés en pavés servant de chemin, il embrassa sa jument Rêve Ardent
sur l’étoile de son front, l’incitant à repartir vers son écurie et avança
résolument sur la route inconnue qui le mènerait peut-être au bonheur.
Il était toujours à la recherche de la
princesse qui lui apporterait l’amour fou et ce lac enchanté lui donnerait
vraisemblablement la clef de la passion.
Pour franchir le dernier obstacle qui le
conduirait au cœur de rose, il eut la chance d’être aidé par un flamant rose
qui le porta quasiment jusqu’au seuil de l’étrange habitacle.
Le cœur de rose était immense et chaque
pétale était la porte d’une pièce agréablement meublée où des serviteurs s’apprêtaient
à assurer un service parfait. Chaque pétale portait un nom Volodia s’arrêta sur
l’un d’eux car il arborait un mot plein de promesse, Orient.
Lorsqu’il entra dans la pièce d’accueil,
il fut charmé par l’extrême raffinement des lieux. Des hôtesses vêtues de
caftans brodés le conduisirent dans ses appartements où régnait une atmosphère
féerique et confortable. Après avoir pris un bain parfumé aux fragrances
fleuries, il revêtit un splendide costume princier et répondit à l’appel d’une
cloche qui signifiait les prémices d’un repas.
En pénétrant dans la salle à manger, il
admira, au premier coup d’œil, une table en cristal de roche où abondaient compositions
florales et assiettes gourmandes à base de racines et végétaux savamment préparés,
de sorte qu’il était difficile d’établir une nette distinction entre l’ornement
et la gastronomie.
Sa joie fut à son comble lorsqu’il vit
entrer une créature de rêve qui prit place avec beaucoup de simplicité à ses
côtés.
Jacinthe portait son nom avec un charme
printanier et son parfum suave se mêla aux plats que Volodia dégusta avec gourmandise
et amour de la beauté sous toutes ses formes.
Les jeunes gens ne parlaient guère,
leurs regards suffisant à établir des liens qui se concrétisèrent, à la fin du
repas, lors d’une promenade en plein cœur de rose pour admirer la somptueuse
clarté du lac illuminé par des fées scintillantes dont les ailes poudrées d’or
ajoutaient la richesse à la magnificence.
C’est lors d’une arabesque en forme d’apothéose
que Jacinthe et Volodia unirent leurs lèvres en un baiser passionné.
Volodia sentait son cœur s’emballer et
il se demandait s’il n’allait pas connaître un inoubliable nirvana lorsque
Jacinthe s’évanouit soudain dans ses bras, ne laissant d’elle qu’un inoubliable
parfum.
Amoureux fou et désespéré à la fois,
Volodia rejoignit sa chambre, s’attendant à s’évanouir, à son tour, dans ce
décor où tout était d’une irrationnelle beauté. Était-il victime d’un enchantement ?
C’est sur cette insoluble question qu’il s’endormit, un parfum de jacinthe au
bord des lèvres.
Le lendemain, il souhaita regagner son
château après avoir constaté l’irrémédiable disparition de Jacinthe, l’unique
objet de ses désirs. Il quitta la rose enchantée avec la sensation d’être entré
dans une féerie qui reposait sur un illusoire jeu de dupes. C’est avec
soulagement qu’au sortir du lac enchanté, il vit arriver une petite troupe de
ses meilleurs soldats conduits par sa fidèle jument. Il flatta l’encolure de
Rêve Ardent et tous partirent vers la direction de Fol Rubis, nom qu’un ancêtre
fantaisiste avait donné au château.
Volodia ne put s’empêcher d’établir une
comparaison entre la prodigieuse magnificence du lac enchanté et la couleur
ardente du château qui rougeoyait de tous ses feux. La fête fut grandiose. On
servit au prince les mets qu’il avait coutume d’apprécier, volaille en gelée, œufs
mimosas, légumes rares et tournés avant d’être poêlés et enfin une multitude d’entremets
lactés ou gélifiés.
Pour remercier les chefs cuisiniers, le
prince fit bonne figure et mangea de tout en appréciant la virtuosité de son
personnel dévoué.
Cependant son cœur n’était pas
entièrement à la fête et même si les conseillers avaient pris le soin d’inviter
à sa table de jeunes beautés dont l’esprit de répartie et de finesse jetait une
note brillante, l’absence de celle qu’il avait passionnément aimée dans une
furtive étreinte creusait un vide que rien ne pouvait combler.
Les jours suivants, le prince fut plus
souvent à cheval qu’au château car il ne désespérait pas de retrouver son bel
amour mais non seulement Jacinthe manquait à l’appel mais encore le lac et sa
magnificence avaient disparu. Je n’ai pourtant pas été victime d’un
enchantement pensait Volodia car s’il avait été bercé en son enfance par des
récits féeriques, il préférait ce qui relevait du rationnel.
Cependant un jour, il demanda l’hospitalité
à une vieille femme ridée comme une pomme en raison d’un déluge de pluies
orageuses. C’est avec soulagement qu’il pénétra dans la chaumière où flambaient
de belles bûches. La crémaillère exhalait des parfums de racines bouillies et
de serpolet et ce fut un régal insoupçonné de déguster une soupe servie sur un
tranchoir de pain aux noix. Un filet de chevreuil compléta ce repas inopiné et
enfin un fromage frais de chèvre clôtura cette carte paysanne. « Pour m’avoir
aussi bien régalé, que souhaites-tu, brave femme » dit le prince mais la
réponse fut la suivante : « Tu ne peux rien pour moi, mon fils, car
mon grand âge m’interdit les rêves mais par contre, je peux t’aider dans la
quête qui est la tienne. Je sais que tu es à la recherche d’une princesse qui a
ébranlé ton âme. Cesse de parcourir la lande, attends le printemps. Dès que les
premières jacinthes fleuriront dans les sous-bois, tu la verras venir à toi, la
belle des belles, je t’en fais le serment.
À
présent, puisque tu es bien restauré et que la pluie a cessé, tu ferais bien de
regagner ton château et de reprendre de saines activités car des bruits courent
selon lesquels tu aurais un peu perdu la raison. Reprends tes habitudes de
bonne gouvernance et attache toi au bien être de tes sujets ».
Cette admonestation jointe à l’espoir de
revoir son bel amour au printemps rendit au prince vigueur et confiance. Il
remercia son hôtesse et enfourcha Rêve Ardent qui portait si bien son nom en
cet instant non sans avoir dissimulé quelques louis d’or dans un pot de fleurs
posé sur le rebord de la fenêtre.
De retour au château, il arbora un
sourire à l’adresse de tous, parla à chacun de ses conseillers, fixant au
lendemain une réunion de travail puis il
se retira dans sa chambre et après un bon bain, passa une excellente nuit.
Les jours se succédèrent au rythme des
embellissements du domaine voulu par les conseillers et leur prince et lorsque
les premières glaces craquelèrent de toutes parts, Volodia fit de courtes
promenades dans l’attente des jacinthes.
Lorsqu’elles pointèrent leurs grappes
parfumées, le prince les aima une à une, se refusant d’en cueillir une, de
crainte de voir mourir son amour.
Et c’est au moment où il
ne s’attendait plus à la revoir qu’elle apparut, magistrale et sublime, plus
belle que dans son souvenir. Volodia l’enlaça voluptueusement et la conduisit à
Fol Rubis qui jeta mille feux pour accueillir sa châtelaine !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire