jeudi 5 février 2015

Hommage à Charb





Charb le savait, un jour, il tomberait sous les balles mais tel un Gavroche des Temps Modernes, il faisait la nique à ceux qui le menaçaient et continuait à crayonner pour répondre aux aspirations puisées dans les limbes de l'esprit français, adepte du "Ni Dieu ni Maître" qui ne connaissait aucune limite.
Un jour de réunion, il entendit le son des rafales et mourut sans avoir le temps de dire un mot aux frères K, sortes de Karamazov devenus fous. Cagoulés, ils arrosèrent copieusement les amis, épargnant bizarrement une femme après en avoir tué une autre.
Charb ne put ni réfléchir, ni tracer une dernière courbe ni même prononcer un mot, il mourut comme il avait vécu, les armes à la main mais ses armes, à lui, étaient d'inoffensifs crayons.
Un autre dessinateur plongea sous la table et eut la vie sauve. Lorsque le silence revint, il s'aperçut néanmoins qu'il était blessé à l'épaule car les frères K n'avaient pas fait dans la dentelle, arrosant de balles ceux qu'ils tenaient pour d'immondes mécréants. Ce fut une sorte de ball trap sanglant et ils en ressortirent, fiers du devoir accompli, achevant d'une balle dans la nuque un gendarme blessé.
N'y avait-il pas un Victor Hugo pour s'écrier: "Lâcheté" d'une voix de stentor ?
Non, il n'y avait personne. Les rares témoins, rampant et fébriles prenaient des photos avec leurs portables et lorsque " Pelloux Enragé" arriva sur les lieux du crime, fou de douleur, il tâcha de réussir un miracle, ranimer ses potes, ses frères et il en sortit, titubant sous l'ivresse de la mort.
Une femme amoureuse de Charb implora que l'on conduise le Gavroche quadragénaire au Panthéon mais chacun fit la sourde oreille et c'est au son de l’Internationale qu'un hommage fut rendu au gamin malicieux qui supportait mal d'être protégé par des gardes du corps. L'un d'eux, présent lors de la réunion funeste, tenta de protéger celui qui était presque devenu un ami et fut copieusement transpercé, son arme de service ne pouvant rivaliser avec les armes de guerre des frères K. Il avait un passé glorieux mais si David put tuer Goliath d'une simple pierre, Caïn tua son frère Abel sans état d'âme et seul Victor Hugo imagina qu'il fut poursuivi par le remords: " L’œil était dans la tombe et regardait Caïn" !
Heureux d'avoir aussi bien tué ceux qu'ils tenaient pour des ennemis du Prophète, les frères K lancèrent à Dieu un témoignage de foi, sans vergogne et s'en furent vers leur destin.
Des rassemblements républicains firent flores dans toutes les villes de France y compris les territoires d'outre-mer et l'on brandit des crayons à la mémoire du comité assassiné.
Cependant aujourd'hui, qu'en est-il ?Il nous reste les larmes, un journal taché de sang et le souvenir lancinant d'un gamin facétieux qui croyait encore qu'en terre de France, on pouvait arborer la devise de Voltaire : Tolérance et Liberté !

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