Il était une fois une princesse qui ne
supportait pas le contact des vêtements. C’est pourquoi elle se promenait
presque nue dans son palais, vêtue seulement pour la décence la plus
élémentaire, de voiles légers brodés avec magnificence. Les fleurs, roses, bleuets
et coquelicots lui servaient de parures. Lorsqu’elle marchait dans les jardins
du palais, elle était si légère que l’on croyait voir l’incarnation du
Printemps.
Sa garde royale surveillait ses allées
et venues avec la discrétion nécessaire.
Or un jour, des flocons de neige jamais
vue jusqu’alors, s’abattirent sur le royaume et la princesse se résigna à
porter des vêtements chauds. Bottes, manteau de fourrure et toque assortie,
sans oublier des gants fourrés complétèrent sa tenue pour mettre le nez dehors.
On fit venir des traineaux et des chiens
car la neige semblait s’être installée à demeure.
La princesse envoya des émissaires afin
de connaître les raisons de ce revirement atmosphérique. De son côté, elle mena
des investigations, s’enfonçant dans les forêts qu’elle avait connues pleines
de charmes et de chants d’oiseaux.
Avisant une chaumière qu’elle ne
connaissait pas, elle s’y arrêta et demanda l’hospitalité. Une jeune femme
élégante la pria de s’installer dans son patio où les éléments fleuris étaient
abondants autour d’une fontaine bleue et d’orangers.
Ravie de retrouver un décor qui lui était
familier, la princesse Aglaé but avec plaisir une tasse de thé et dégusta de
savoureux petits cakes qui lui rappelaient des contes racontés jadis par sa
nourrice. Elle fut à peine surprise de découvrir dans l’une de ces délicieuses pâtisseries
une chevalière arborant une couronne royale et un prénom, Ivan.
Elle
trouva cet indice de bon augure et écouta les propos tenus par son
hôtesse avec beaucoup d’intérêt.
« Princesse, je suis la fée de la
forêt et je suis heureuse que le hasard et ta bonne étoile t’aient conduite
jusqu’à moi. Je sais ce qui te tourmente. Rassure-toi, cette neige ne sera pas
éternelle. Elle durera jusqu’à ce qu’un bel amour éclose en ton cœur. Il en est
ainsi pour les princesses dont la destinée est hors du commun. Avant de
connaître l’amour, elles doivent traverser des épreuves. Cet ensevelissement de
ton royaume sous une couche d’or blanc est la première étape de ta
métamorphose. Sache qu’il n’est ni courant, ni souhaitable qu’une princesse se
promène demi nue dans son royaume. C’est pourquoi il te faudra renaître avec l’apparat
nécessaire à ton rang. La neige est arrivée à point pour t’obliger à porter des
vêtements. Reconnais que tes robes de laine et tes fourrures t’ont semblé
agréables à porter. Il en sera de même avec des tenues légères, en harmonie
avec le soleil et les fleurs. Je t’invite à te constituer un trousseau qui
respecte toute la gamme des saisons. Que ces voiles brodés dont tu aimais te
parer servent désormais à l’embellissement des pièces d’apparat de ton palais. À
présent je te souhaite un bon retour en ta demeure. Garde cette chevalière en
gage d’amour ».
Aglaé s’inclina et remercia son hôtesse
puis elle revint au palais, serrant la précieuse chevalière contre son cœur.
Les émissaires revinrent avec des
indices pauvres. Apparemment, leur royaume était le seul à subir un tel
enneigement.
Le prince d’un royaume lointain dont le
château était impressionnant par ses dorures et son mobilier majestueux offrait
à la princesse une invitation à participer à un bal. Un collier d’émeraudes et
plusieurs parures en diamants étaient joints à l’invitation, ce qui incita la
princesse à participer à ces festivités.
Elle fit venir d’excellents couturiers,
leur commandant des robes de bal et des tenues de voyage assorties de manteaux,
capes et accessoires divers.
Ravis de participer à un tel événement,
les maîtres de haute couture qui avaient tous obtenu le dé d’or, crayonnèrent
de merveilleuses toilettes pour les soumettre à la princesse.
Il se murmurait dans le royaume que la
princesse avait enfin retrouvé la raison et qu’elle se décidait à se vêtir,
même par beau temps.
Des chansons et des poèmes à sa gloire
circulèrent, ce qui fouetta l’imagination créatrice des grands couturiers.
Après un choix, difficile et judicieux
dans la mesure où chaque créateur se trouvait représenté, on appela à la rescousse
petites mains et mannequins pour concrétiser les toilettes.
Joailliers et parfumeurs entrèrent dans
la danse et en grand secret, la princesse commanda à un diamantaire un tour de
cou où le blason reproduisait celui qui ornait la chevalière. Un pendentif en
forme de cœur était destiné à mettre en valeur la magnifique poitrine de la
princesse.
Les tissus rivalisaient de beauté.
Satins, soies diverses, lin brodé et dentelles choisies soulignaient le charme des
modèles, si créatifs que des oiseaux voulurent construire un nid dans la
profusion de volants d’organdi essayés par la jeune femme.
Elle désirait tant faire sensation le
jour du bal qu’elle en oublia sa phobie pour les vêtements et elle ne s’aperçut
de la disparition de la neige que lorsque les toilettes furent prêtes.
Un carrosse d’or, absolument somptueux
dont l’habitacle était de velours rose et garni de coussins moelleux, conduits par six chevaux
fringants au rythme impulsé par deux cochers, fit sensation à son arrivée au
pied des marches. Valets et suivantes en sortirent, munis de paquets cadeaux
tout aussi originaux et précieux les uns que les autres.
Une lettre attribuée à la plus belle
princesse du monde accompagnait ces merveilles. Aglaé s’en saisit et en lut le
contenu dans sa chambre, rosissant de plaisir.
«
Ô toi, belle entre les belles, j’espère que mon apparence et mes yeux fauves te
séduiront. Sache que je t’attends depuis tant de nuits que je meurs
littéralement d’amour. J’ai hâte de sentir ton corps nu entre mes bras et de t’impulser
un désir effréné. Mais ne crains rien, mon amour, ma beauté, j’attendrai le
temps nécessaire avant d’arriver à ce point d’orgue final. Je te conduirai sur
la piste de bal en cavalier courtois et saurai me tenir comme il se doit. À
bientôt, mon amour, ma princesse, mon amante aux yeux de myosotis.
J’embrasse tes cheveux et tes chevilles.
Je suis tout à toi. Ton prince d’amour ».
La princesse lut et relut cette lettre
pleine de passion et il lui vint parfois l’idée qu’elle ne lui était pas
destinée, tant la passion était une inconnue.
Avait-elle raison de se jeter ainsi dans
la gueule du loup ? Ce prince lui était-il vraiment destiné ? Il y
avait dans ces lignes quelque chose qui était proche de la démence. Elle se
souvint des leçons de son professeur de littérature.
Des Précieux avaient imaginé une Carte
de Tendre où l’on apprenait aux amants à se méfier d’une mer des passions,
dangereuse parce qu’on ne savait pas comment en sortir. De plus, il y avait des
hameaux où étaient mentionnés billets doux, billets galants, amour sur estime
et amour sur inclination. On enseignait la méfiance des amours folles et
débridées.
Cette lettre n’est-elle pas plus
extravagante encore que ma phobie des vêtements se demanda-t-elle et pour se
donner raison, elle se dit qu’après tout, une semi nudité était en harmonie
avec la nature.
Les lis des champs ne sont pas habillés
et pourtant on les aime pour leur pureté, précisa-t-elle à un débateur
imaginaire.
Néanmoins, elle avait promis de se vêtir
et elle ne renierait pas son serment. Cela rassurait ses sujets. Fort bien,
elle accepterait de se plier aux coutumes.et tâcherait de trouver un prince
digne de régner à ses côtés.
Afin de ne pas connaître de déconvenue
avec cet inconnu aux écrits osés, elle demanda à l’officier de la garde royale
de choisir quelques hommes sûrs. « Qu’ils surveillent la situation avec
discrétion » ordonna-t-elle et le commandant l’assura de sa parfaite
fidélité, la félicitant de prendre cette salutaire initiative. Il eut l’idée de
constituer une suite pour la princesse, travestis en mondains. « Nul ne
verra le poignard qu’ils dissimuleront dans leurs manches à l’imitation des
magiciens. D’ailleurs, si vous me le permettez, Princesse, je participerai à l’aventure
sous l’habit de votre majordome. Ceci me donnera l’obligation de ne jamais vous
quitter, à moins que vous ne m’en donniez l’ordre ».
Ainsi fut fait. La princesse prit place
dans le carrosse en compagnie de son fidèle majordome et une calèche suivit à
bonne distance, emportant des jeunes gens dont le désir de se distraire était
évident.
Lorsqu’ils arrivèrent au bas des marches
du château, Aglaé ressentit une étrange émotion. Elle avait l’impression d’avoir
connu ces lieux et cependant tout était si différent de son palais ! La
façade du palais en marbre rose, reflétait les différentes phases solaires,
projetant parfois d’éblouissantes lueurs.
Le château, d’allure gothique et
majestueuse, était empreint de mystère et rien ne semblait relever du
divertissement et de la beauté bleue promise dans la lettre de l’amant éperdu.
Cependant de jolies dames d’honneur
vinrent à la rencontre de la princesse et l’invitèrent à prendre connaissance
de la suite qui lui était destinée avant de participer au bal.
Son majordome fut logé dans une chambre
attenante et géra la réception des bagages.
Pendant ce temps, les pseudo-mondains
fouillaient les jardins. Rien d’anormal n’ayant été décelé, ils se présentèrent
comme les amis de la princesse et après avoir exhibé une bague portant ses
armoiries, ils furent invités à prendre
quelques rafraîchissements en attendant le début des festivités. Prudents, ils
ne prirent ni boisson, ni encas, s’en débarrassant habilement, afin de n’encourir
aucun danger. Chacun d’eux avait sa propre fiole d’eau aromatisée à la fleur d’oranger,
la boisson que l’on servait le plus souvent au palais.
Enfin l’heure choisie pour le bal
retentit, égrenée par une horloge sculptée dans un bois précieux.
Les invités entrèrent un à un, élégants
et d’allure aimable.
Il y avait de très jolies femmes qui
arboraient des toilettes absolument charmantes ou fastueuses selon leur rang.
Mais lorsque la princesse Aglaé apparut dans sa toilette si vaporeuse qu’elle
semblait avoir été empruntée à un nuage, coiffée de façon royale, il y eut un
murmure d’extase tant sa beauté éclipsait celle de toutes les femmes présentes.
Le chef d’orchestre donna l’impulsion à une valse et un homme au charme
incontestable s’inclina face à la princesse, une main sur le cœur, l’invitant à
être sa cavalière. Aglaé se fia à sa belle physionomie et à son allure distinguée
et le couple dansa avec beaucoup de grâce, bientôt suivi par d’autres couples,
ravis de participer à un bal de haute tenue. Les danses s’enchainèrent. Aglaé
connaissait un succès incontestable mais curieusement elle était un peu déçue
car aucun danseur ne s’était exprimé en utilisant les mots fous de la lettre.
Elle se disait cependant que l’auteur de la lettre attendrait un moment propice
pour s’épancher à nouveau et elle arborait fièrement un sourire princier.
De valses vives en valses langoureuses,
la soirée allait bon train et des couples s’éclipsaient discrètement dans les
jardins afin de se livrer à un marivaudage de bon aloi.
La princesse Aglaé restait constante,
espérant toujours voir venir le prince dont elle portait les armoiries et
soudain des murmures jaillirent comme des perles, l’isolant de la salle de bal
à la manière d’un cercle magique. « Printemps de mes jours, tu es venue à
moi et j’ai hâte de te serrer dans mes bras comme une fleur immortelle. Tu es plus
belle encore que dans mes rêves les plus fous et mes armoiries n’ont jamais été
portées avec autant de brillance et de fierté. Tu es le bijou de mon cœur, l’éternelle
constance de ma gloire et je jure d’être l’écrin valeureux de la beauté à nulle
autre pareille ».
Un loup noir sur ses jolis yeux, la
princesse valsa de manière folle dans les bras d’un prince qui lui prodiguait
des mots d’amour au rythme d’une musique qui devint par la suite, celle de la
passion la plus totale. Elle fut ensuite emportée dans une chambre, dénudée et
glissée dans une enveloppe cotonneuse qui fleurait bon la lavande et le réséda.
« Qui êtes-vous, Amour » ? eut elle le temps de dire et elle s’abandonna
à la fougue du prince.
Le lendemain, elle eut la surprise d’être
servie au lit par son majordome. Un peu gênée de la situation, elle prit la
peine de le rassurer et de le prier de repartir au palais avec son escorte car
manifestement elle avait trouvé le bonheur. Le majordome s’inclina et lui
signifia que ses désirs étaient des ordres et il se retira dignement.
Le lendemain et les jours suivants, la
princesse attendit en vain la venue de son bel amant. Elle réalisa d’ailleurs
qu’elle ne l’avait pas vu à proprement parler et qu’elle avait succombé à une
folle passion sans la moindre retenue. Qu’elle était loin la Carte du Tendre !
Ne se trouvait-elle pas dans ces mers dangereuses qu’il fallait à tout prix
éviter ?
Les jours passèrent sans que l’amant
fougueux ne revienne ! La princesse prenait des bains parfumés et
attachait beaucoup d’importance à sa toilette. Elle était épanouie dans tous
les sens du terme et elle avait l’impression d’être une pivoine éclatant de
bonheur. Bientôt elle ressentit une certaine langueur et elle se réfugia chaque
après-midi dans la roseraie, suivie par ses servantes qui n’avaient de cesse d’aller
au-delà de ses désirs.
Crèmes à la fleur d’oranger, tisanes d’hibiscus
ou de menthe étaient servies sur une table de rotin dans un entrelacs de
liserons.
Elle eut bientôt la certitude d’attendre
la venue d’un petit prince ou d’une princesse, ce que lui confirma le médecin
du château. Oscillant entre le bonheur et la déception d’être sans nouvelle de
l’heureux père, elle fit préparer une chambre pour le nourrisson et se mit à
coudre, broder et tricoter une layette princière. Les dames d’atour firent de
même et des piles de brassières, chaussons, tenues d’intérieur, promenades et
grenouillères s’empilèrent dans les armoires colorées de la chambre de l’enfant.
Le grand jour arriva et la princesse mit
au monde deux beaux enfants, une petite Amandine et un ravissant prince Amant.
Les journées passèrent à nouveau, rythmées par les soins que nécessitaient les
vigoureux bébés, si charmants. Ils avaient en commun de magnifiques yeux étirés
en amande, d’un gris bleuté constellé de points d’or. Lorsqu’ils eurent deux
ans, leur mère décida de rendre visite à tous les êtres de son royaume qui lui
étaient chers et après avoir confié les deux enfants à ses dames d’atour, elle
s’en fut, sous bonne escorte, en empruntant à nouveau le carrosse d’or.
Alors qu’elle s’apprêtait à franchir une
rivière, elle aperçut un gigantesque loup dont les grands yeux fauves lui rappelèrent
étrangement les yeux si étonnants de ses enfants. Elle descendit du carrosse,
sans crainte et comme dans un conte, le loup l’enveloppa de sa chaude fourrure
et il lui sembla revivre la nuit d’amour qui était à l’origine de la naissance
de ses enfants chéris.
Circonstance troublante ! Elle fut
transportée sur l’autre rive et soudain elle croula littéralement sous le poids
de baisers passionnés.
Elle défaillit et lorsqu’elle reprit ses
esprits, elle se trouvait dans le carrosse auprès d’un beau prince dont les
yeux étaient en tous points semblables à ceux de ses enfants ! « Douce
Aimée, murmura la voix qui était celle du bal et de la passion dévorante, vous
avez été mienne sans me voir puis vous avez accepté l’enchantement que j’ai
subi, me donnant l’apparence d’un loup. Grâce à cet amour, vous avez vaincu le
sortilège et désormais je serai toujours à vos côtés sous l’enveloppe du prince
de vos rêves » et un baiser voluptueux mit un terme à cette courte
déclaration.
C’est ainsi que s’achève
l’histoire de la Princesse Nue et que commence l’idylle d’un couple, le prince
Ivan et la princesse Aglaé ainsi que l’épanouissement de leurs enfants,
Amandine et Amant le si bien nommé car il était l’exacte réplique de son père !
Magnifique, romantique, sublime ...
RépondreSupprimerQuel talent ma chérie
Bisous
Annie
J'ai eu l'immense plaisir d'écrire un conte pour servir d'écrin à ton magnifique tableau !Je t'embrasse chaleureusement
RépondreSupprimerTon amie de toujours
Marguerite-Marie