lundi 1 octobre 2018

De Chopin à Tardieu


De Chopin à Tardieu, un héros stendhalien
"De mémoire de rose, on n'a jamais vu mourir de jardinier" : Voici un adage qui pourrait être celui qui le motive, songeait la dame de cœur en suivant le vol de l'oiseau bleu et cette rêverie la ramena à l'époque où cet ovni, mi- adolescent, presque un enfant, mi- vieux sage de la montagne, avait fait irruption dans son cours de théâtre, bouleversant sa vie sentimentale après avoir métamorphosé sa vision de la geste théâtrale.
" A l'aube ! Oui, à l'aube, nous partirons ! Avant que l'on sache ! ...Nous roulerons sans bruit !...Au premier soleil, nous y serons...
....
Comme des graines plantées, nous sommes comme des graines ...comme des graines ! ...attendant le réveil !..."
Ces bribes de La Comédie du langage de Jean Tardieu résonnaient en elle, trouvant une seconde naissance, s'imprimant dans le quinquennat qu'elle suivait, en fidèle épouse à ses côtés.
Une passion stendhalienne s'était emparée d'elle, à la vue de cet enfant qui portait en lui les forces vives de l’Histoire.
Tour à tour révolutionnaire et martial comme le fondateur de la V ème République, profond, poète et fin politique comme son successeur et parfois aussi, primesautier et amoureux des arts comme aucun président ne le fut, il était à nul autre pareil.
On avait taxé l'un de ses prédécesseurs de Florentin et d'adepte de Machiavel mais l'on trouva dans les carnets de la femme qu'il aimait, des petits mots arrachés à la tourbe des jours, si désuets et passionnés que l'on en demeurait pantois.
Rien de tel chez l'être qu'elle aimait.
Il n'avait rien de commun avec les rappeurs et les poètes du temps, rien non plus avec Baudelaire ou Rimbaud qu'il aimait jusqu'à pouvoir les citer à l'improviste, non, il était lui-même, un être complexe comme se plaisaient à le dire ses soutiens afin de repousser les chroniqueurs qui n'étaient pas à son niveau.
Sentant le poids de sa responsabilité maritale, la dame des lieux éprouva le besoin d'écouter un nocturne de Chopin mais elle songea que ces notes passionnées, empreintes de mélancolie ne seraient pas en adéquation avec l'atmosphère feutrée et philosophique des lieux et elle préféra se concentrer sur l'évocation des mains fines de son mari, courant sur les touches du clavier comme à l'époque où il rêvait peut-être d'une carrière de virtuose.
La musique était au centre de sa vie : après Chopin dont il était l’interprète magistral, il avait été qualifié de « Mozart de la Finance » dans la banque où il avait excellé et très récemment, il avait fasciné un très jeune enfant autiste qui tournait et retournait ses manches, comme s’il cherchait, dans ces belles mains, l’explication de sa présence en ce monde si étrange qui s’offrait à lui, dans toute sa brutalité.
Une douceur extrême jouxtait une force qu’on avait qualifiée de jupitérienne et il semblait être l’incarnation du dieu Janus au double visage, celui, souriant, de pâtre grec pour incarner la paix et l’autre, dur et inflexible, pour signifier à l’ennemi qu’il ne capitulerait pas.
Empreinte de la rêverie qui l’avait conduite de l’oiseau bleu, perdu de vue, au fil des réflexions, Brigitte ferma la fenêtre et s’assit à son secrétaire  pour y  lire son courrier.
Une romancière inconnue lui avait dédicacé l’un de ses romans, La Reine Diamant, lui attribuant, par assimilation, un rôle qu’elle ne voulait pas jouer. Que lui dire ? Écrire par courtoisie ? Sa petite fée intérieure, turquoise et or, lui suggéra de n’en rien faire : il fallait attendre le moment propice pour trouver les mots susceptibles d’apaiser cette âme tourmentée, apparemment convaincue par l’efficience présidentielle ; à ce titre, elle était la bienvenue, chaque voix comptant lorsque les rangs seraient clairsemés.
Elle répondit avec aisance et clarté à quelques lettres qui ne posaient aucune difficulté puis elle s’assit dans un fauteuil Voltaire pour relire son livre préféré, La Chartreuse de Parme de Stendhal.
Elle lut jusqu’à ce que les premières ombres du soir tombent, zébrant les pages du livre qui l’avait accompagnée dans toute sa carrière professorale, dans la collection Classiques Garnier qu’elle recommandait toujours à ses élèves.
Se souvenant qu’elle devait présider un dîner d’apparat auprès de son mari, le soir même, elle prévint, par délicatesse, le chef cuisinier qu’elle souhaitait venir le voir dans les cuisines élyséennes dont le double sens était à propos, tant les mets servis méritaient l’excellence.
Elle n’avait pas l’aplomb de Bernadette qui jouait souvent le rôle de manager, ayant un regard scrutateur sur toutes les opérations qui devaient conduire, selon ses propres critères, au nirvana de la gourmandise.
Son unique souci était celui de la santé de son mari et la préservation de l’être qui était la prunelle de ses yeux.
Son passage à la cuisine n’occasionna aucun stress chez le personnel, affairé aux préparatifs du festin mais au contraire, souleva un vent de fraîcheur.
C’était le premier président qui fût aussi jeune et il était plutôt charmant de veiller à ce qu’il ne se livre pas à trop de plaisirs gourmands.
Le passage d’un président vieillissant et très malade avait jeté un froid dans la brigade et les anciens se souvenaient avec effroi de l’omniprésence de la diététique et des édulcorants en tous genres.
Cette tâche accomplie, Brigitte, l’alter ego de ce mari si extraordinaire, regagna ses appartements afin de se préparer pour briller, une fois de plus, avec discrétion et charme poétique, à ses côtés, perle dans un écrin de brume et d’ineffable douceur.

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