vendredi 3 novembre 2023

De Ibn Abbad à Lalla Myriam



L’attraction exercée sur mon cœur épris d’un Orient légendaire eut raison de mon attachement aux élèves d’Onnaing.

J’acceptai un poste dans le cadre de la coopération culturelle entre la France et le Maroc et partis pour Settat où se situait le lycée Inn Abbad, le prochain théâtre de ma progression pédagogique.

Dès mon arrivée, je déchaînai les passions et des paris furent engagés sur ma nationalité. Les uns pensaient que j’étais allemande, les autres me voyaient en «  Fasia », mes longs cheveux blonds flottant sur mes épaules et mes yeux bleus apparaissant comme les signes particuliers d’une élite féminine de la ville de Fès.

Un jour, dans le train qui me conduisait à Marrakech, une jeune femme marocaine entama une conversation en français puis poursuivit son échange amical en arabe. Je dus lui dire que je ne connaissais pas la langue du pays. Cette interlocutrice fut étonnée d’apprendre que j’étais française car elle m’avait identifiée comme une compatriote.

Lors de la rentrée scolaire, mes cheveux relevés en chignon et revêtue d’une tenue stricte, je fis la connaissance de mes nouveaux élèves à dominante masculine.

Néophyte, lorsque je fus questionnée sur les fournitures nécessaires à mes cours, j’énonçai ce qui constitua mon fil rouge, à savoir mon indifférence quant au choix de cahiers ou de classeurs. Par contre, j’insistai sur la nécessité d’avoir toujours des copies dans le cartable pour faire face aux interrogations-surprise.

Enfin, ce qui stupéfia mes élèves, fut ma préconisation de l’achat d’un stylo plume-or, comme le mien. «  C’est cher leur dis-je mais ces stylos sont de qualité et on les garde pour la vie ».

Mon cours achevé, il y eut un attroupement autour de mon bureau car chacun voulait voir de près le fameux stylo plume-or. «  C’est de l’or » ? disaient-ils en retenant leur souffle.

J’appris, par la suite, que l’or était un métal hautement prisé dans le pays.

Qui n’avait pas sa ceinture en or dans la corbeille de mariée passait pour une mal-aimée.

Je notai, par ailleurs, que mes élèves n’avaient pas de cartable et qu’ils avaient sorti un morceau de papier et un bic de leur ceinture pour prendre en note mes desiderata.

Cette recommandation du stylo plume-or était hautement décalée et révélatrice de mon ignorance des us et coutumes du pays hôte.

J’eus conscience du fossé qui nous séparait et j’entrepris de me mettre à la page afin d’éviter les bévues à l’avenir.

Au collège Lalla Myriam de Marrakech, j’inventai un procédé pédagogique susceptible d’illustrer l’utilisation des pronoms neutres en grammaire française.

J’arrivai en classe avec un sac et je disposai son contenu sur le bureau : un plateau, une théière et des verres filés or.

Ce dispositif insolite me permit de concevoir un dialogue fictif intéressant :

«  Voulez-vous un verre de thé ? En voulez-vous un autre » ? etc …

Je leur révélai qu’en Europe, on privilégiait le thé noir. On pouvait ainsi ajouter, à la demande, un peu de lait.

Après le rappel de la notion grammaticale «  Voulez-vous un sucre ? en voulez-vous deux » ? j’ajoutai une expression imagée qui ravit certains élèves : «  Un nuage de lait » ?

En sortant de classe, certains élèves répétaient avec ravissement : «  un nuage de lait » ?

Une foule d’anecdotes, pittoresques ou révélatrices de ma découverte d’un pays étranger me revient à la mémoire mais je ne les évoquerai pas ici car le fil rouge de mon livre consiste à marquer mon évolution dans le domaine pédagogique.

Il y eut un  «  avant » et un « après » mon séjour au Maroc sur le plan technique de mon enseignement.

Quand je revins en France, c’est avec un regard neuf que je construisis ma relation avec les élèves.

Fini le temps où je me référais à un univers quasi disparu, érigeant la mythologie gréco-latine comme un modèle absolu.

L’amour des Belles Lettres, de la Renaissance au Romantisme européen se trouvait au faîte d’un mât de Cocagne difficile à escalader !

Dorénavant, je m’attachai surtout à la compréhension de l’environnement spatio -temporel de mes élèves et ne décidai rien avant de déterminer l’approche littéraire ou historique qui devait être la mienne.

«  L’école était au bord du temps » écrivait le poète Eugène Guillevic dont je devins l’amie. «  Madame Amie » écrivait-il sur du papier bleu qu’il choisissait pour notre correspondance.

Pour moi, il fut surtout question de faire entrer l’école dans un cercle qui visait à la fois l’étoile du savoir et l’amour d’autrui.

C’est ainsi que j’évoluais dans cette école idéale durant plus de trente ans et que j’en sortis, navrée de ne pas avoir toujours réussi à réconcilier certains élèves meurtris avec le monde réel qu’ils rejetaient tant il était le repoussoir de leur cœur blessé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire