dimanche 7 avril 2013

Le combat





En dépit de ses blessures, le prince Édouard fit face courageusement au monstre qui s’avançait vers lui dans un rictus diabolique. Saisissant le ruban qu’il portait toujours sur lui, il le brandit, ce qui eut pour effet de déstabiliser le monstre qui chancela, permettant à Édouard de se replier et de se réfugier dans un bosquet en fleurs.
Il réajusta ses vêtements, passa sur son visage un onguent qu’il avait dans une poche, ce qui eut pour effet, d’atténuer ses douleurs. Son cheval vint se frotter à lui et il eut le loisir de prendre son sabre mais alors qu’il s’apprêtait à affronter le dieu qui avait, de son côté, retrouvé son équilibre et son désir de vengeance, il entendit le bruit d’un cheval au galop. Elle était revenue, son double féminin, sa beauté guerrière et elle poussait des cris sauvages.
Des combattants tentèrent de freiner son élan mais elle les dépassa et fidèle à sa technique retrouvée, décocha des flèches si bien ajustées que des râles retentirent sur les berges et peu n’en fallut qu’elle ne mît un terme au face à face en fixant le dieu d’une flèche presque mortelle. Mais le dieu de la rivière avait plus d’un tour dans son sac et il déploya un rideau de pluie qui le protégea en détournant la trajectoire de la flèche.
Galvanisé par le secours de la femme qu’il aimait, Édouard se rapprocha du monstre et sabra les tentacules de poulpes qui enserraient sa tête. Découronné, le dieu poussa un rugissement, bondit sur le jeune homme et lui serra le cou de manière à provoquer un étranglement.
Retrouvant sa vivacité, Édouard fit un salto arrière et décocha à son adversaire un coup de pied qui faillit atteindre le plexus.
Soudain une nuit noire s’abattit sur les belligérants : une nuée de corbeaux envahissait le ciel, provoquant un effet nocturne. Des oiseaux maléfiques tentèrent de lui crever les yeux. À nouveau Édouard fut sauvé par son cheval qui s’avança bravement dans cette nuit d’ailes battantes. Enfourchant sa monture, il prit le chemin inverse vers l’azur, espérant entendre bientôt le pas d’amble de Rose des Sables. Lorsqu’il pensa être hors d’atteinte du monstre, Édouard entonna une chanson propre à animer les rochers tant elle était pleine de sentiment.
« Belle entre les belles, je te porte en mon cœur comme la plus belle des roses et le moindre de tes chagrins est pour moi une épine qu’il me faut arracher. Victoire, ma guerrière, ma mie, mon enfant aux yeux de source, je t’aime tant que je donnerais ma vie pour toi. Les colombes vibrent en moi et murmurent des mots doux qui me semblent être les messages des anges qui jadis nous ont réunis. Le destin nous a offert de vivre un roman d’amour et il n’est pas possible qu’une page soit arrachée et que nous partions vers des chemins obscurs. Victoire, ma beauté, mon ange, reviens-moi ou j’en mourrai ».
À peine avait-il prononcé ces mots qu’un rire cruel cascada en une série de blessures d’où émergeaient des mots si monstrueux que nous ne pouvons pas les rapporter ici.
Une trainée de sang tâcha le beau pourpoint d’Édouard et il se sentit blessé. Le dieu de la rivière lui avait jeté des poignées de sangsues qui se régalaient d’une ouverture laissée par les stries des fouets. Craignant d’être dévoré vif, Édouard se débarrassa prestement de ses vêtements, jeta sur les sangsues le contenu d’un petit flacon qu’il portait dans ses fontes, un alcool fort qui brûla les petites bêtes qui moururent instantanément. Endossant une tenue guerrière, le prince harangua son ennemi, le traitant de lâche et de piètre combattant puisqu’il n’acceptait pas la lutte à armes égales, dans un loyal face à face.
Il ne reçut aucune réponse. Par contre des langues de feu descendirent du ciel, brûlant la crinière de son cheval. Édouard protégea sa monture en l’enveloppant d’un tissu ignifuge et enfila un capuchon destiné à éviter les attaques qui provenaient de dragons ailés, volant dans le ciel en escadrille de choc. Un galop de cheval qu’il aurait reconnu entre mille, celui de Rose des Sables retentit à ses côtés. Victoire était de retour ! Alors qu’il se demandait si la poursuite du combat était bien nécessaire, le dieu multipliant les attaques félonnes qui ne respectaient pas le code de la chevalerie traditionnelle, Édouard constata avec terreur que la jeune fille n’était pas en selle ! Se penchant pour observer la jument, il fut vite soulagé : sa sœur était bien la guerrière avisée qu’il connaissait. Redoutant les attaques venues du ciel, elle s’était placée sous le ventre de sa fidèle Rose des Sables, confiant sa vie à cette monture hors du commun. C’est alors qu’un nouveau danger se profila. Le dieu surgit tout à coup face aux cavaliers en fuite. Comment ce prodige était-il possible ? Il avait chevauché un dragon et se tenait farouchement devant eux, une lance incandescente à la main. Il exécuta un jet parfait et aurait atteint son but si Édouard n’avait pas prévenu cette attaque en obligeant son cheval à se déporter sur sa gauche. Puis il profita de l’effet de surprise pour fondre sur l’ennemi, sabre bien en main. Mais le monstre lança un filet lesté de plomb et si Victoire n’avait pas fait diversion en bondissant sur le piège, décochant au passage l’une de ses flèches qui se ficha dans l’épaule du dieu, le prince aurait été prisonnier ainsi que sa monture.
Grimaçant de douleur, le dieu mit en œuvre un dernier sortilège. Se défaisant de son enveloppe guerrière, il apparut dans sa splendeur première, ses beaux cheveux cascadant sur ses épaules lisses, des perles à la main, et un sourire enjôleur flottant sur ses lèvres couleur cerise.
C’était le prince charmant dont toutes les jeunes filles rêvaient et c’est ainsi que Victoire faillit succomber à nouveau à son charme. Fou de douleur et de jalousie, Édouard lança le ruban couleur d’or et réussit si bien cet acte désespéré que cet ornement servit de nœud coulant et étrangla proprement le démon.
Lorsqu’il mourut, une foule de petites fées des rivières qu’il maintenait prisonnières réapparut. Le cadavre disparut, rongé par ses turpitudes et les sangsues dont il aimait tant régaler ses ennemis. La dépouille s’évapora et les fées se prosternèrent devant leur nouveau dieu, Édouard à la foi si ardente qu’il avait vaincu plus terrible que lui. La vertu avait une fois de plus triomphé du vice !
Édouard fut couronné du diadème divin et l’escorte de fées l’entraîna presque malgré lui dans le palais de marbre où Victoire avait vécu de si belles journées.
Quant à la jeune fille, retrouvant ses esprits, elle ordonna à Rose des Sables de la ramener chez son père, un pincement au cœur cependant car elle se rendait compte qu’elle venait de trahir celui qui l’avait aimée plus que sa propre vie. De plus, le dénouement du combat impliquait leur séparation ! Édouard ne pouvait pas déroger à ses nouveaux devoirs. Il était devenu, sans l’avoir voulu, le dieu de la rivière et à ce titre, il ne s’appartenait plus !
Qu’adviendra-t-il de nos héros ? à suivre, naturellement.

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