mardi 9 avril 2013

Le retour





Le retour au palais fut une épreuve pour Victoire. Elle fut fêtée comme une reine et le récit de son aventure fascina toute la cour. Elle éluda cependant le passage troublant qui la concernait et attribua la victoire du prince Édouard à sa seule vaillance.
Le prince persan était très fier des exploits de son fils adoptif et le fait qu’il soit devenu le dieu de la rivière était pour lui la preuve de l’excellence de l’éducation qu’il lui avait offerte. Il avait remarqué que la mélancolie avait envahi l’âme de sa fille mais il pensait que toutes les turbulences traversées étaient la cause des signes de détresse envoyés par la princesse. Il fit doubler sa garde, multiplia les, soubrettes à son service, ordonnant que l’on s’adonne essentiellement à des plaisirs innocents, chants, jeux à l’imitation de l’Antiquité, jeux de balles et courses dans les prairies. Cependant Victoire riait rarement et ses promenades avaient pour but de remonter la rivière. Enfin un jour, elle transgressa les ordres, sella Rose des Sables et s’en fut à le recherche de celui qu’elle n’avait pas cessé d’aimer.
Au fur et à mesure qu’elle se rapprochait du lieu où elle avait vécu  dans un environnement étrange, elle sentait le poids qui oppressait sa poitrine s’alléger. Enfin quand elle arriva sur les lieux du combat, elle fut prise en charge par une nuée de petites fées qui volaient joyeusement dans le ciel bleu. Plus de nuées de corbeaux, plus de danger apparent, le lieu était devenu des plus séduisants ! Elle mit pied à terre, confia Rose des Sables à un lad et embarqua dans une jolie nef dotée d’une voile d’or. Sensible à ce détail qui semblait prouver qu’Édouard ne l’avait pas oubliée, elle se laissa bercer par le léger roulis des courants où elle aimait nager. Quelques poissons volants firent des cabrioles, ce qui lui arracha enfin un sourire ! Elle ferma les yeux et somnola en rêvant à de belles retrouvailles.
Un jeune homme l’aida à sortir de la barque et lui conseilla de porter des sandales qu’il avait pris le soin d’apporter. La semelle était compacte et ornée d’une guirlande de perles nacrées. Victoire s’exécuta et suivit son guide. En montant les marches du palais, elle sentait son cœur battre follement. À la vue d’Édouard, elle comprit cependant que le passé était révolu.
Il portait lui aussi un pagne de lin brodé de fleurs pourpres et son torse et sa chevelure étaient ornés de coquillages éblouissants et de fleurs où dominaient les boutons d’or. Ce détail lui redonna de l’espoir et elle fit une gracieuse révérence face au dieu qui était assis sur son trône d’or massif serti de pierreries. D’un geste impérial, le dieu ordonna que l’on apporte une chaise recouverte de velours pourpre et suggéra à Victoire de prendre place à ses côtés.
On leur apporta une collation exquise faite de fondants aromatisés à l’orange, de pièces montées où des nids d’écorces de citrons confites étaient emplis de crèmes pralinées et de crèmes étincelantes au citron vert, le tout orné d’œufs à la liqueur.
Une boisson à base de sirop d’orgeat fut servie dans des coupes de cristal et enfin pour parachever ce moment gourmand, Édouard ordonna que l’on serve un vin de champagne accompagné de biscuits roses. Victoire mangeait de bon appétit ces préparations délicates mais elle se demandait tout de même si elle représentait quelque chose pour son frère de cœur et d’âme.
Le dieu lui confia qu’il avait dépêché un messager au palais de leur père pour qu’il ne s’inquiète pas de sa disparition et demandé à sa garde de ramener Rose des Sables dans son écurie originelle.
Ensuite il fit venir danseurs et chanteurs et l’on se livra enfin à des joutes poétiques, jeux auxquels ils étaient rompus.
Cette soirée s’acheva dans un lyrisme parfait et Victoire fut invitée à rejoindre ses appartements. En lui souhaitant de passer une bonne nuit, le dieu lui baisa la main et lui offrit un dernier cadeau, un parchemin où il avait écrit des poèmes.
La chambre à coucher de la jeune fille était absolument ravissante. Elle s’ouvrait à la manière d’un coquillage marin dédié à une déesse, celle de l’Amour et de la Beauté. La rose dominait et chaque détail semblait avoir été étudié pour célébrer la beauté féminine.
Victoire se détendit dans une baignoire de grès puis se sécha à l’aide de serviettes douces et parfumées puis revêtit une splendide chemise tout en dentelles. Le lit était rehaussé d’un ciel de voilages brodés de soleils d’or.
Elle passa une nuit où volaient les anges et à son réveil, elle fut dans un ravissement qui prolongeait les rêves nocturnes.
Une musicienne joua de la harpe tandis que les petites fées s’occupaient de sa personne. Après un passage dans la délicieuse baignoire envahie de jets bouillonnants, elle se laissa masser, habiller et maquiller. Une coiffeuse experte releva ses beaux cheveux en un chignon qui accentuait la pureté de ses traits et un bijoutier passa pour la touche finale, piquant dans sa chevelure des perles irisées et ornant cou, poignets et chevilles de colliers et de bracelets afin de lui donner une dimension princière.
Un petit déjeuner lui fut servi, œufs mollets, thé léger au jasmin, petites pâtisseries en forme de cœurs et jus de fruits délicieux.
Victoire avait hâte de voir, son frère mais une nuée de couturiers et d’habilleuses prit ses mesures et lui proposa différents modèles pour qu’elle fasse son choix. Il y avait une profusion de toilettes. Rien n’était laissé au hasard si bien que la jeune fille reprit de l’assurance. Robes d’apparat, tenues d’intérieur, vêtements de nuit, robes d’hôtesses légères et agréables à porter, maillots de bain, tenues sportives, robes d’amazone, tout semblait être étudié pour un long séjour.
Lorsqu’elle fut enfin libérée de toutes ces formalités agréables, elle sortit de ses appartements, pressée de voir son frère en tête à tête mais il demeura curieusement absent.
Elle sortit du palais et longea la rivière. Avisant une roche, elle s’y assit et commença un poème destiné au dieu de la rivière.
« Toi que j’aime plus que tout, je te dédie mon âme. Je souhaite libérer mes longs cheveux pour t’en faire un collier blond. Chaque boucle te rappellera l’un de nos jours passés. Dans cette parure soyeuse se cachent les moments de rêve qui nous ont liés comme les sources de la rivière dont tu es aujourd’hui le garant.
Que les sources nous aident à nous retrouver et regagner le paradis perdu de notre enfance ! »
Après s’être ainsi libérée, Victoire réfléchit à leur destin. Ils avaient été unis grâce à la détresse d’un prince persan, ils avaient grandi en sagesse et en beauté et puis un affreux malheur avait surgi dans leur vie, un dieu, épris de sa beauté, l’avait ravie à ceux qu’elle aimait et en lui faisant absorber l’élixir de l’oubli, l’avait plongée dans un univers factice où elle s’était laissé enfermer ! L’impression de la faute irrémédiable dominait tout autre sentiment. C’est pourquoi elle éprouva un vif soulagement à la vue du dieu. Il portait les signes distinctifs de sa fonction. Toutefois Victoire crut lire dans son regard bleu la tendresse d’antan. Il lui serra les mains avec délicatesse, glissant au passage quelques perles rares et lorsqu’il prit la parole, ses mots s’égrenèrent comme des fleurs printanières.
« Victoire, ma sœur, mon amie, mon âme, je t’ai aimée à la folie mais un rideau de pluie s’est interposé entre nous, cousant une fracture dont nous sommes toujours les victimes, en dépit des colliers de rêves que nous portons en notre cœur. Le destin qui nous avait unis nous a séparés presque irrémédiablement et en croyant te sauver, je t’ai perdue. Cependant l’espoir veille en mon cœur et je suis certain que nous nous retrouverons. Tels Tristan et Yseult dont nous aimions tant les aventures, Lancelot et Guenièvre, nous laisserons au moins notre empreinte dans l’histoire des amants éternels ».
Sur ces mots, Édouard se tut et une myriade de petits anges passa dans le ciel bleu, créant de jolis nuages d’or.
Cédant à une impulsion, le dieu serra sa sœur tant aimée sur sa poitrine puis reprit le chemin du palais en donnant à la femme de ses jours l’assurance qu’il ne l’abandonnerait pas. Afin de ne pas la laisser en proie à la mélancolie, Édouard organisa une petite fête au bord de la rivière et chacun y prit sa part car les jeux poétiques, musicaux, théâtraux furent à la hauteur des enjeux. On créa l’ordre du ruban d’or et les équipes les plus performantes en furent décorées. Victoire s’abandonna au charme du moment et accepta ensuite avec grâce de présider un banquet improvisé où s’amoncelaient de petites merveilles gourmandes, coupes de semoule de blé dur, soupières de bouillon de légumes coupés en petits dés et aromatisés de sauces légèrement pimentées, îles flottantes et gâteaux aériens. Carafes de sirop d’orgeat et vin léger circulèrent à la ronde, égayant les convives.
Le banquet se termina par un concours de chants improvisés où Victoire se distingua tant l’authenticité de ses sentiments donnait de la puissance à sa voix. Quant aux paroles, elles s’égrenèrent spontanément, venant des multiples poésies qu’elle n’avait cessé d’écrire. Cette journée s’acheva sur une note charmante et en rentrant au palais, Victoire apprit que le dieu de la rivière préparait un grand bal qu’il donnerait en son honneur.
Qu’adviendra-t-il à la suite de ce bal ? C’est ce que nous saurons dans un prochain épisode.   

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