vendredi 5 avril 2013

Le dieu de la rivière





Victoire et Édouard grandissaient en sagesse et en beauté. Ils parlaient plusieurs langues, écrivaient quotidiennement des poèmes, étudiaient les astres et s’exerçaient aux arts mathématiques et à la musique.
Heureux de les voir ainsi s’épanouir, le prince n’avait pas voulu se remarier et les exploits de ses enfants adoptifs l’émerveillaient chaque jour.
Victoire n’avait pas son pareil pour monter à cheval et après avoir appris les arts équestres avec un poney, elle avait à présent sa jument, une alezane reconnaissable entre mille par son étoile posée gracieusement entre ses beaux yeux.
C’était une amazone parfaite et elle connaissait le maniement des armes, notamment, l’arc et les flèches qu’elle décochait à la manière des Parthes, le buste tourné vers la queue du cheval fée.
 Édouard n’avait pas son pareil au sabre et sa voix de ténor faisait frissonner les arbres et les jeunes filles des alentours.
Un jour, Rose des Sables, la jument de Victoire revint sans sa cavalière. On se mit immédiatement à sa recherche mais ce fut en vain !
On fouilla les buissons, on sonda la rivière qui bordait le petit royaume, en pure perte !
Édouard ne se résolut pas à la perte de celle qu’il aimait tendrement. Il chanta au bord de la rivière en espérant entendre l’écho de sa voix comme cela lui arrivait si souvent mais seuls les rochers répercutèrent les sons de sa voix d’or.
Chaque jour, il se levait de bon matin et partait à pied pour être sûr de ne pas manquer un indice et c’est ainsi que sa patience fut récompensée.
Bien loin, en aval de la rivière, il découvrit un ruban dont un oiseau s’était emparé pour garnir son nid : c’était, à coup sûr, un ruban de Victoire et cet ornement, elle le portait dans ses cheveux le jour de sa disparition.
Confiant le ruban à une femme de chambre pour qu’elle le lave et le repasse, Édouard le passa ensuite au tour de son cou et jura de ne jamais s’en séparer.
Pendant ce temps, loin de se douter du désespoir de celui dont elle partageait tous les bonheurs, Victoire errait dans un palais de marbre où chaque jour un dieu charmant lui offrait des repas somptueux, des bijoux et des robes de rêve. Qu’était-il arrivé ? Au bord de la rivière, Victoire entendit des cris : un enfant se débattait dans le courant. N’écoutant que son courage, elle se jeta à l’eau, nageant avec vigueur vers la petite victime. Mais l’enfant s’éloignait de plus en plus tandis que Victoire redoublait d’efforts pour atteindre sa cible. Elle ignorait en fait que le dieu de la rivière lui avait tendu un piège pour s’emparer d’elle plus commodément. Il brûlait d’amour pour la jeune fille et préférait s’emparer de sa personne plutôt que de lui faire la cour.
Sentant la fatigue la gagner, Victoire fut heureuse de recevoir de l’aide d’un vigoureux nageur qui la débarrassa du ruban pris dans les roseaux et l’emmena dans une grotte où il fit flamber un énorme feu. L’enfant était sauf. Victoire sourit à cette vision puis elle se laissa masser et huiler car son corps était endolori.
Après un repas constitué de pavés de légumes et d’îles flottantes parfumées, elle reçut avec gratitude une longue robe de nuit ouatée puis s’endormit sur un matelas de plumes.
Le lendemain et les jours suivants, Victoire apprit à connaître son hôte, un très bel homme à la taille sculpturale et aux longs cheveux bouclés cascadant sur ses épaules. Il portait un pagne et arborait de magnifiques colliers de coquillages.
Chaque matin, il déposait dans une vasque de jade des perles en sautoirs et de magnifiques bijoux de nacre recouverts d’or fin et ornés de cabochons de cristal.
Des gâteaux de semoule et des carafes de sirop de roses et de lotus formaient l’essentiel du petit déjeuner dont elle se régalait sans savoir qu’un filtre d’oubli était distillé afin que sa mémoire flotte à la manière d’un nénuphar.
C’était ainsi que peu à peu, Victoire oublia tous ceux qu’elle avait tant aimés, son cher Édouard y compris.
Lorsque le dieu de la rivière fut certain que sa bien-aimée ne prendrait pas la fuite, il la laissa se promener à sa guise. Pour plus de sûreté, l’enfant qui avait servi d’appât, la suivait à bonne distance, prêt à intervenir ou à avertir le maître en cas de danger.
Nos deux inséparables allaient-ils ne jamais se revoir ?
C’est ce que nous apprendrons prochainement.

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