dimanche 15 mai 2022

La princesse à la rose

Dans le cœur d’une rose, un lutin sommeillait. Il franchissait des cercles concentriques un à un et s’épanouissait dans le parfum pénétrant de sa fleur-royaume. Soudain, il découvrit une porte secrète. Ivre d’une joie inexpliquée, il l’entrouvrit pour apercevoir dans un berceau une petite princesse adorable dans son entrelacs de dentelles. Elle était si jolie qu’il décida de l’appeler Marie-Aurore.

Marie-Aurore grandit dans cet univers de poupée ; on l’entendait souvent rire aux éclats car il ne se passait pas un jour sans que le lutin n’inventât pour lui plaire un jeu inattendu. Une feuille attelée de deux coccinelles lui servait de traîneau ; elle rendait visite aux violettes et aux lys dont le parfum et la beauté l’émerveillaient sans lui faire oublier cependant l’incroyable architecture de la rose. Chacun prit l’habitude de la nommer la princesse à la rose.

L’aventure se présenta un jour à Marie-Aurore sous la forme d’un extraordinaire prince charmant de taille humaine qui se promenait dans le jardin. Le prince Igor se pencha sur la feuille-traîneau car il était féru de botanique et l’emporta dans son laboratoire sans se douter qu’il traitait l’amour comme n’importe quel métal mesurable. Il découvrit Marie-Aurore au microscope et en tomba éperdument amoureux. Il agit alors avec la logique résolue d’un homme de science un peu fou, il absorba sur le champ un champignon traité. – Il avait en effet matérialisé la géniale invention de Lewis Carroll – et s’offrit à la vue de Marie-Aurore, taille réduite, en un éblouissement azuré… La princesse battit des mains comme un enfant mais s’offrit tout de suite au baiser d’amour, prouvant ainsi qu’elle était l’image véritable de la femme, fût-ce en modèle réduit. Las, Igor avait oublié la feuille et il avait étourdiment pulvérisé les chevaux-coccinelles. Que faire pour rejoindre la rose ?

De son côté, le lutin très inquiet de la disparition de Marie-Aurore, parcourait le jardin de toute la force de ses petites jambes. Il pestait contre le destin qui avait voulu qu’il fût laid et Marie-Aurore un astre de beauté.

Très instruit des choses de ce monde, il savait entre autres que la disparition des jeunes filles a souvent pour cause l’amour et il pleurait en son cœur de lutin d’avoir été incapable de susciter ce noble sentiment. Sa douleur fut extrême lorsqu’il aperçut le cadavre des pauvres bêtes à bon dieu ; cela lui parut un présage funeste et il s’assit à bout de souffle sur un caillou. A ce moment précis, Marie-Aurore reçut un choc au cœur et devint si pâle qu’Igor faillit en perdre la tête. Dans son trouble, il mordilla le champignon qu’il avait encore à la main et reprit incontinent sa taille initiale. Désireux de sauver avant tout l’adorable petite chose que Dieu avait mise sur son chemin, il lui insuffla de l’oxygène, l’entoura d’une bulle plastifiée couleur aurore et la transporta avec une infinie précaution. Hélas, il marcha sur le pauvre lutin sans y prendre garde et libéra ainsi l’âme de la petite créature dévouée au bien ; elle s’envola sous la forme d’un papillon. Lorsque Marie-Aurore s’éveilla, elle crut vivre le conte de la Belle au bois dormant dans une transposition moderne de goût douteux. Elle se trouvait dans un palais endormi puisque son lutin bien aimé ne répondait pas à ses appels. La rose avait pris une couleur mauve qu’elle ne lui connaissait pas auparavant. Elle se libéra de sa bulle plastifiée avec agacement et multiplia ses appels au lutin.

Seul un papillon voletait autour de la rose décrivant des cercles de plus en plus étroits. Dans son trouble, Marie-Aurore avait oublié l’existence du prince Igor et ne souffrait pas de sa disparition. Igor s’était jeté à corps perdu dans le travail, poursuivant de chimériques projets. Il tentait de mettre au point une technique qui lui permettrait de visiter la planète Mars. Son enthousiasme n’était plus le même. Comment parviendrait-il à gagner cette planète lointaine s’il n’était pas capable de résoudre une énigme limitée à son propre jardin ? Après avoir noirci quelques feuilles d’équations astrales, il s’octroya une promenade en guise de récompense et emporta un filet à papillon dans le but d’agrémenter ses loisirs d’une prise savante.

Naturellement, il captura le lutin-papillon sans se soucier des cris de Marie-Aurore qu’il ne savait plus regarder avec ses yeux d’enfant. De même Marie-Aurore aurait été incapable de reconnaître en ce barbare le jeune prince qu’elle avait aimé une année-lumière auparavant.

C’est alors que d’un coup de baguette magique, la fée attachée au destin de Marie-Aurore intervint avec à propos. Elle rendit au lutin sa petite taille et lui donna la prestance et la beauté du prince Igor. Quant au prince, il garda comme qualité intrinsèque son esprit scientifique. La fée lui laissa son apparence humaine mais lui fit revêtir une combinaison spatiale tout en faisant surgir à la place des coccinelles ressuscitées une magnifique navette qui emmènerait Igor sur Mars, libérant ainsi son autre moi qui vivrait en la personne du lutin pour rendre Marie-Aurore enfin heureuse.

Le lutin que nous nommerons désormais Igor, son double s’étant envolé vers les étoiles, s’agenouilla aux pieds de sa princesse et baisa le bas de sa robe en dentelles.

La fée s’évanouit dans les airs tandis que les trompettes d’invisibles cigales annonçaient au peuple du jardin les festivités des noces de la princesse à la Rose et de son Igor bien aimé. Et l’on dit que les noces furent aussi somptueuses que celles de la Belle au bois dormant. On dansa une semaine entière et l’on but de l’ambroisie dans des hanaps d’argent.

Lorsque les époux princiers se retirèrent dans leur rose enchantée, le peuple travailla avec ardeur, s’attendant à une longue lignée de princes et de princesses frappée du sceau magique de la bonne fée des légendes.


 

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