dimanche 22 juillet 2018

Les Apaches


Les Apaches
N’en déplaise aux amoureux du film culte Casque d’or, les Apaches ont régné dans le Paris de la Belle Epoque, imposant une loi cruelle au monde du faubourg. Malheur à la jeune fille qui répondait aux œillades de jeunes gens délurés qui jouaient à merveille le rôle d’amoureux transi ! Après une romance vite écourtée et formatrice, elle se retrouvait sur le « ruban », terme pseudo poétique pour désigner le trottoir !
Des bagarres éclataient à tout propos et chacun de se montrer habile dans le maniement du « surin », couteau qui était l’apanage de ces « mirliflores du crime » comme les nommait déjà Victor Hugo dans les Misérables, grâce à l’incarnation de Montparnasse, héros pervers et impossible à convertir au bien dans cette somme où chacun trouve une voie vers la rédemption.
Habitué à se promener à pied dans les rues de Paris, le poète-romancier avait saisi l’inexorable appartenance au monde du mal par une pègre qui a toujours trouvé sa place dans notre société.
La jeune fille qui, la première, avait dit à Montparnasse : « tu es beau » avait scellé son destin, disait-il en substance.
Pourquoi se fatiguer à travailler lorsqu’on pouvait, en utilisant une naïve jeune fille devenue gagne-pain, recevoir plus d’argent que pour toute tâche honorable ?
Vouloir être le maître du pavé impliquait la dextérité dans l’art du maniement du casse-tête, l’ancêtre du coup de poing américain, dans celui de la canne et du chausson comme le rappelle la chanson «  un mauvais garçon » et naturellement, le must, l’art de se servir du fameux surin.
Casque d’Or a réellement existé, elle a déchaîné les passions dominatrices de deux chefs voulant être seul à régner mais dans l’histoire réelle de cette jeune femme, il n’y avait aucune place pour le romantisme et, du reste, aucun soupirant ne termina sa vie sur l’échafaud pour ses beaux yeux.
Chacun d’eux fut condamné plus prosaïquement à de la prison ou à des travaux forcés et tous deux en moururent tandis que Casque d’Or devenait momentanément une héroïne dans les médias de l’époque pour replonger ensuite dans la grisaille de l’anonymat, le soufflé étant retombé !
Les Apaches ont disparu mais ils ont laissé derrière eux les graines de la révolte et de la haine, haine du bourgeois, du représentant de l’ordre ou de l’administration, haine de celui qui a réussi, surtout s’il a vécu dans les Beaux Quartiers décrits, on pourrait dire dénoncés par Aragon.
Il s’en trouve parfois qui ont vécu dans du beau linge mais ils sont rares. Un bras droit de Jacques Mesrine fut de ceux-là. Son père lui dit un soir : « Je ne peux pas t’empêcher de venir embrasser ta mère mais désormais tu passeras par l’escalier de service » et il tourna les talons pour lui signifier son indignité.
Mesrine connut la gloire populaire et même s’il mourut d’une manière particulièrement atroce, il régna encore dans la mémoire de citoyens, partagés entre l’admiration vouée à un bandit au grand cœur et l’amour de l’ordre qui permet à chacun de vivre en toute tranquillité.
Un professeur de Lettres trouva dans une copie d’élève de troisième la phrase suivante : «  Jacques Mesrine, criblé de balles, gisait, tel un pantin disloqué ». C’était un exercice grammatical, banal, un entraînement au Brevet des Collèges où l’on demandait à l’élève de construire une phrase en introduisant le mot « pantin », un simple exercice de vocabulaire.
Cet élève ne vivait pas dans les tours du périphérique, sa mère était professeur de Lettres et son père conseiller d’éducation ! Il y avait pourtant dans cette phrase, écrite librement, le désir de faire passer un message de soutien au héros !
De héros à martyr, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas car dans cette représentation du pseudo-héros qui s’empare des réserves de la banque ou qui braque un convoi de lingots d’or, il existe un zeste de narcissisme et du désir d’être aimé.
Mesrine passait pour avoir une forme de générosité : après avoir dévalisé une banque, il laissait une liasse de billets pour le personnel ou il sablait le champagne avec le commissaire de police venu l’arrêter à l’aube !
Aujourd’hui, l’un de ces grands bandits, Redoine Faid est en cavale après une évasion audacieuse, magistralement menée par des comparses dont on peut se demander si leur concours n’est pas entièrement désintéressé. Ont-ils besoin du roi du braquage pour une opération délicate ? L’avenir nous  le dira.
Quoi qu’il en soit, une actrice renommée pour sa beauté farouche n’a pu s’empêcher d’envoyer un message admiratif au roi de la cavale. Le romantisme du voyou avait encore frappé !
Et pourtant, en revoyant les images de celui qui fut accueilli à bras ouverts par des journalistes naïfs, on ne peut s’empêcher de trouver dans l’extrême mobilité de son visage, quelque chose d’inquiétant et qui trahissait sa volonté dominatrice alors que, tel le loup de la fable, il jurait qu’on ne l’y prendait plus !
Il avait même convaincu un co-auteur de sa bonne foi pour écrire un livre se voulant le point final de son épopée criminelle.
Marié et père de famille à ce que l’on dit, il démontre que les Vautrin ne sont pas légion !
Cette plongée dans le monde interlope des voyous ne nous permet pas d’en tirer une loi du genre, d’autant plus que les voyous en col blanc, souvent protégés par une hiérarchie désireuse de ne pas faire de vagues selon l’expression consacrée, s’échappent plus facilement des filets vengeurs de la justice.
Dans un monde où la finance est reine, on peut se demander s’il n’existe pas un apache caché dans le fond de notre cœur et s’il attend le moment propice pour éclater au jour, un peu comme ces casseurs, vêtus de manière citadine qui brusquement, dans les cortèges, se muent en dangereux bandits qui s’en prennent aux policiers et détruisent les boutiques élégantes et le mobilier de rue pour se défaire de leur camouflage noir et s’en aller tranquillement dans les avenues et le métro, de manière civile.
Jadis, les choses étaient claires : voyou ou bourgeois, le choix était net ! Aujourd’hui tout est fluctuant et sous le masque du justicier se cache le visage poupin de l’l’homme et de la femme qui n’ont plus d’idéal et nourrissent la haine au fond de leur cœur !


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