lundi 29 août 2022

Le chevalier sans nom

 


Le chevalier sans nom

 Au château de Canteleu ainsi nommé parce qu’une meute de loups avait établi ses quartiers dans le petit bois environnant, les journées s’écoulaient paisiblement.

Colombe faisait merveille en préparant des plats originaux, toujours savoureux.

Elle devint la première dame de compagnie de Cassandre et toutes deux prenaient beaucoup de plaisir en créant des entrées exquises et des entremets légers comme la neige qui ne tarda pas à tomber.

Un soir, quelqu’un activa le heurtoir et l’on fit entrer un hôte étrange, vêtu d’une houppelande fauve et chaussé de bottes fourrées de laine angora.

Lorsqu’il ôta son chapeau, des boucles or vénitien recouvrirent ses épaules mises en valeur par une chemise en soie sauvage.

Dorian se présenta et attendit que son hôte ne décline son identité mais ce dernier lui révéla qu’il était atteint d’un mal étrange, à l’origine de l’amnésie.

Il ne savait plus qui il était. Il avait marché longtemps sous la neige et il s’était permis, en voyant le château, de demander l’hospitalité.

Colombe lui servit un potage dont elle avait le secret. Il était composé de topinambours, de panais, de choux et une gousse d’ail fumé d’Arleux, célèbre pour son fumet incomparable lui donnait une touche exquise. Elle tenait cette recette de sa grand-mère qui avait coutume de dire que c’était un potage à réveiller les morts.

Le chevalier sans nom fit honneur à ce potage qui sortait certes de l’ordinaire et il mangea ensuite avec appétit du bon pain d’épeautre et du poulet rôti.

Des fromages de chèvre et des choux à la crème pralinée clôturèrent cet excellent repas.

Vint ensuite la veillée près d’un bon feu de bois.

Bertrand de Noailles, le grand écuyer de Dorian qui avait le don de charmer un auditoire en contant des nouvelles chevaleresques se mit en devoir de combler les convives. Il espérait ressusciter les souvenirs perdus du chevalier sans nom en évoquant des péripéties sentimentales sur fond guerrier.

Le conte de Flor et Blanchefleur émut particulièrement le chevalier. Dorian remarqua que ses mains s’ouvraient à la manière d’un calice puis se refermaient, emprisonnant une chimère dans une bulle dorée.

La soirée prit fin et l’on conclut ce moment de rêve par une aubade donnée par les musiciens du château.

Dorian conduisit lui-même le chevalier dans ses appartements et il dépêcha des serviteurs pour aider l’inconnu à faire une toilette soignée.

Chacun sombra ensuite dans un sommeil où les rêves prirent diverses formes.

Quelques dames du château, suivantes, soubrettes ou dames de compagnie rêvèrent que le bel inconnu était un prince et qu’il conduisait un grand bal donné en son honneur avec infiniment de prestance et d’élégance.

Dorian se demanda si ce beau chevalier n’était pas l’avatar du diabolique Hubert de Hauteville. Des diablotins hantèrent ses rêves et il fut enchanté d’entendre le chant du coq au petit matin.

Colombe rêva de l’idylle nouée entre Flor et Blanchefleur et elle pensa que le bel inconnu pouvait être le descendant de ce fier chevalier, amoureux de sa dame à en perdre la raison.

Cassandre fut la seule à ne pas rêver, son souci premier consistant à se montrer à la hauteur de la tâche d’hôtesse qui lui était conférée de par son rang.

De grands bols de lait chaud aromatisé au miel et à la violette, des crèpes moelleuses fourrées à la gelée de groseille mirent les convives du château de bonne humeur.

Chacun se sentait prêt à entreprendre des travaux hors du commun après un tel régal.

Le chevalier sans nom fit soudain une remarque qui interpella ses hôtes :

«  Cette gelée de groseille est excellente et me rappelle celle de ma grand-mère ».

Dorian pensa qu’il y avait là un début de piste pour que le chevalier retrouve la mémoire.

Il décida cependant de renoncer à toute forme de questionnement, craignant que le fil ne se casse.

Omelette aux fines herbes, tranches de lard fumé et miche de pain frais achevèrent de rassasier les appétits.

Cervoise, jus de pomme et vin de groseilles rafraîchirent les palais.

Un écuyer, Aymeri et une dame d’honneur, Eglantine furent chargés de contribuer au confort du chevalier.

Après un bain parfumé à la rose, le chevalier endossa une tenue d’apparat qui mettait son teint frais en valeur.

Chaussé de bottes en cuir fauve, il avait vraiment fière allure et, une fois de plus, Dorian craignit que son épouse ne succombât aux charmes du mystérieux visiteur.

C’est pourquoi il demanda à Eglantine d’accompagner ce potentiel rival dans le jardin d’amour célèbre pour sa roseraie et ses plantations florales.

Sa balancelle, sa fontaine aux oiseaux et son pavillon richement meublé et décoré ajoutaient une note exotique à cet endroit charmant.

Le chevalier souhaita se reposer dans le pavillon d’amour et il pria la douce Eglantine de lui conter une histoire courtoise.

Tandis que le chevalier avait pris place sur un sofa, la conteuse accorda une harpe et c’est au son mélodieux d’une cantate orientale qu’elle évoqua la tristesse d’un guerrier séparé de son amante par une obligation de combat.

Des larmes coulèrent sur les joues du chevalier et il s’écria à la fin de la cantilène : «  Aurore, mon aimée, qu’es-tu donc devenue » ?

«  M’attends-tu dans ton castel qui se mire dans les eaux vives de la Dordogne ? M’aimes-tu toujours » ?

Et après avoir proféré ces paroles, il sombra dans une étrange catalepsie.

Eglantine envoya un message au château sous forme de pli codé confié aux bons soins d’une tourterelle habituée à ce type d’exercice.

On coucha le chevalier dans sa chambre et chacun tenta de deviner qui était cette mystérieuse amante puisqu’elle détenait sans aucun doute la clef du mystère.

Dorian envoya des émissaires le long de la Dordogne, songeant qu’il fallait attendre les retombées de ces recherches pour connaître enfin l’identité du chevalier sans nom.

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