lundi 14 juillet 2025

Jehan de Tours

 

 



Imprimant une cadence prudente à son cheval Cœur de loup, Jehan de Tours regagnait son fief en se fiant à sa boussole interne. Quasiment aveugle depuis qu’il avait reçu dans une bataille un coup de sabre qui avait fendu son heaume et brouillé son regard, il espérait trouver, après un repos auprès de sa dame, le moyen de guérir de ses blessures et de recouvrer la vue.

Cœur de loup s’arrêta brusquement. Des parfums subtils parvinrent au chevalier qui ne fut guère surpris d’entendre une voix féminine s’exprimer ainsi :

«  Messire, j’ai cueilli pour vous les lys des champs et je vous offre cette brassée parfumée pour saluer votre retour.

Comment vous appelle-t-on, belle enfant ?

Blandine, pour vous servir !

Eh bien, Blandine, venez me voir sous huitaine au château et je vous y recevrai en vous élevant au rang de Damoiselle ».

La main sur le cœur, Blandine fit une jolie révérence et le chevalier poursuivit sa route, la brassée de lys sur l’encolure de son destrier.

Lorsqu’il parvint au château de ses ancêtres, sa dame, Isabeau aux longues tresses blondes relevées en chignon pour faciliter la pose du hennin brodé de lys, se précipita dans les bras de son époux. Elle reçut son bouquet de lys comme un gage d’amour et s’empressa d’aider son suzerain à se défaire de son armure.

Elle ordonna à sa suivante Mariette de préparer un bain pour le seigneur.

L’eau bouillonnante et parfumée détendit le chevalier qui reçut ensuite des mains expertes de son épouse de l’huile apaisante pour ses muscles fatigués.

La duchesse fit servir un repas pour deux dans le boudoir jouxtant leur chambre nuptiale.

Pâté de chevreuil en croûte, daurade farcie aux champignons et purée de topinambours furent appréciés. Des sorbets à la rose et des merveilles ravirent le couple qui prit la direction de l’alcôve, une fois la table desservie.

La nuit d’amour fut longue et belle. Jehan s’éveilla, heureux de se sentir aimé.

Cependant son infirmité finit par éclater lorsqu’il renversa malencontreusement le bol de lait chaud au miel servi par Mariette.

Isabeau se tordit les mains de désespoir en apprenant de la bouche de son époux le récit terrible de l’assaut fatal qui lui avait coûté la vue.

Certes, elle avait constaté une certaine maladresse dans les mouvements de son mari mais elle l’avait mise au compte de la fatigue du voyage.

«  Mon tendre époux, je vais prier Sainte Lucie de Syracuse pour qu’elle vous rende la vue et si je ne suis pas assez pure à ses yeux, j’entreprendrai un pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle ».

Jehan de Tours lui prit les mains avec émotion, versa quelques larmes et ce jet brûlant produisit un effet bénéfique : une lueur traversa son regard.

« Ma douce amie, la force de votre amour a opéré un miracle. J’y vois mieux et je discerne les broderies de votre robe, des roses dorées ».

Très émue et heureuse, Isabeau ne renonça pas à son projet de prières.

Elle fit venir le chapelain et lui commanda un échéancier liturgique pour que la guérison de son mari soit totale.

Lorsque Blandine fut mandée au château, elle fut reçue généreusement, le duc étant persuadé que son offrande florale avait été la première pierre d’un retour à une vie normalisée pour un suzerain chargé de la sécurité de son fief.

Blandine fut élevée au rang de Dame de Compagnie de la duchesse et elle prit place dans la délégation de service où chacune avait sa place.

Elle fut chargée de la décoration florale du château et s’acquitta de sa tâche avec enthousiasme et professionnalisme    .

Les jardins trouvèrent un nouveau souffle sous son impulsion.

Les jardiniers plantèrent un grand nombre de bulbes de lys royaux pour que la floraison de ces fleurs soit active.

Un pavillon fut construit près du parc floral. Isabeau et Jehan prirent l’habitude de s’y recueillir pour favoriser la guérison du duc.

La naissance de leur premier né, Louis, fut un élément fondamental qui permit à Jehan de distinguer les traits enfantins de celui qui, espérait-il, ne connaîtrait jamais les horreurs de la guerre.

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