vendredi 13 avril 2012

Au pays des grands lacs


 
 
Dans un royaume africain, des pêcheurs qui lançaient leurs filets dans un grand lac virent apparaître, au loin, une pirogue qui semblait vide. Ils l’arraisonnèrent à l’aide d’un harpon et découvrirent au fond de l’embarcation le corps d’un jeune homme richement vêtu. Il reposait sur un lit de pétales de roses et avait à la main une gourde vide et un carnet de dessins où figuraient la représentation d’une princesse fabuleusement belle et un château en ruines où grimpaient d’innombrables rosiers.
Bantu qui était réputé pour son adresse dans le domaine médical humecta les lèvres du jeune homme avec un produit de sa composition où figuraient en bonne place des racines et des plantes macérées dans un alcool de sa fabrication demeurée secrète. L’effet fut magistral : l’homme ouvrit les yeux qu’il avait clairs et bleus.
Les pêcheurs admirèrent la luminosité de ce regard et s’empressèrent à son chevet. On lui frictionna les tempes, on le nourrit avec de petites bouchées de poisson enrobées dans une pâte d’arachide et accompagnées de boulettes de manioc. Le jeune homme sembla retrouver ses forces. Il remercia ses sauveurs en formant un soleil de ses mains réunies.
Lorsqu’ils accostèrent, le chef, nommé Bakari estima que cet homme venu du bout du monde était encore trop faible pour marcher. Tous se mirent à confectionner à l’aide de roseaux et de feuillages une sorte de palanquin dans lequel l’être qu’ils avaient sauvé prit place. Ils firent bien car le soleil brûlait facilement les peaux fragilisées par une blancheur peu courante sous ces climats.
-  Comment t’appelles-tu ? demanda Bakari.
- Je ne le sais pas précisément mais il me semble que là d’où je viens, on m’appelait le Prince à la rose.
- C’est un bien joli nom et nous te nommerons ainsi. Il n’est pas bon qu’un homme change de nom. Le nom, c’est la parure de l’humain, sa référence intime. Prince, tu étais, Prince tu seras et la rose sera le symbole qui te déterminera chez nous.
Sur ce, le chef intima à la petite escorte de se mettre en route afin d’arriver au village le plus rapidement possible. Bamba et Coudou se chargèrent de la provision de poissons et les quatre robustes gaillards au nombre desquels on comptait le chef portèrent le palanquin, volant littéralement sur la route qui serpentait, de zones sablées en zones d’herbes sèches et de cailloux.
Bientôt le village fut en vue. Des femmes se précipitèrent à leur rencontre. La fine silhouette de Cherima, la plus jolie fille apparut comme un cadeau de la terre. Elle planta son regard dans les yeux azurés du prince et sentit aussitôt ses genoux se dérober. Comme elle se savait observée, elle se pinça violemment en faisant sembler de chasser un insecte et intima à ses amies, Awa, Bia et Beyza de conduire leur invité dans la plus belle habitation du village. Ainsi fut fait. Le prince fut littéralement happé par toutes ces femmes qui, sous un prétexte ou un autre, effleuraient à la dérobée cette peau blanche qu’elles voyaient pour la première fois.
De son côté, le prince était ébloui par tant de beauté. Dans leur empressement, les jeunes filles révélaient la chaleur de leur teint mordoré qui captait le soleil. L’aspect satiné de leur épiderme suscitait le désir. Le prince devait refréner l’irrésistible envie de caresser ces jolies peaux qui le saisissait, faisant passer le besoin de nourriture à un plan subalterne. Et pourtant on lui proposait de véritables délices où abondaient crustacés, poissons en sauces servis avec une sauce dite enragée qui emportait le palais et entretenait le besoin de nourritures épicées où dominaient des cubes de légumes colorés et savoureux. Naturellement, les fameuses boulettes de manioc, ingrédient indispensable à la recette du plat traditionnel joliment nommé Foufou servaient à s’imprégner du nappage du plat odorant.
Après avoir fait honneur à ce somptueux repas arrosé de bière légère et d’eau fraîche, le prince se cala dans un rocking chair. Awa et Beyza prirent la peine de l’éventer tandis que Bia psalmodiait un chant d’amour.
Le prince ferma les yeux et se transporta mentalement dans un royaume lointain où abondaient les rosiers. Ils encerclaient un château en ruines ainsi qu’une chapelle et c’est alors que le prince retrouva la mémoire.
Sa vie lui apparut comme la succession d’images de bande dessinée. Quelques larmes coulèrent sur ses joues à l’évocation de son vieux maître qui l’avait envoyé faire un tour du monde, nécessaire à ses yeux pour l’éducation d’un jeune prince. Ses lèvres tremblèrent et son entourage découvrit avec stupeur que des boutons de roses stylisés, ornés de feuilles d’or tombaient dans les mains du prince, unies en réceptacle.
« Jeunes filles, dit alors le prince, sachez que je viens de retrouver la mémoire. Je me nomme Erwan. Un magicien m’a arraché à un lieu qui contenait vraisemblablement le secret de mon destin. Sans doute faut-il que je vous quitte mais ce serait, pour moi, un véritable crève-cœur car vous venez de m’apporter tant de bonheur ! ». À la demande générale, il entreprit le récit de sa vie. Lorsqu’il parvint à l’évocation du baiser d’amour échangé avec une princesse née d’une rose, son auditoire fut partagé entre la consternation et un regain d’espérance. Cette créature surnaturelle devait être démasquée. Derrière ce joli minois et cette merveilleuse silhouette se cachait peut-être un démon.
En termes mesurés, Charima demanda au jeune prince ce qu’il comptait faire. Ce dernier resta rêveur. Au bout de longues minutes, il dit son désarroi. Il se sentait si bien sur cette terre hospitalière mais apparemment son propre bonheur n’était pas le but recherché de son maître d’armes, père adoptif en quelque sorte.
Bia qui parlait peu d’habitude laissa rouler un torrent de paroles. Que savait-il de la vie, au juste, cet homme qui lui avait enseigné l’art de la guerre ? Tôt ou tard, lorsqu’on avait appris à se servir d’une arme on était tenté d’en faire usage. Au village, personne ne songeait à guerroyer et l’on ne s’en portait pas plus mal, bien au contraire.
Tenu au courant de l’étrangeté de la situation, le chef trancha : Erwan les quitterait s’il en sentait la nécessité. Tous l’escorteraient pour lui éviter de se retrouver dans une situation critique. Par contre, il lui demandait, avant de prendre une décision, de les accompagner dans le royaume des gorilles. L’observation de ces animaux si attachants et si proches de l’homme lui donnerait peut-être la clef de son destin.
Le lendemain, ils se mirent en route, parcourant des terres de plus en plus boisées et verdoyantes. Ils arrivèrent enfin, au bout de quelques jours de marche, dans un lieu paradisiaque qui semblait avoir été épargné par le temps et les hommes. Les haltes étaient agréables, courtes et récompensées par des repas pleins de frugalité et d’amitié. Le groupe était de plus en plus soudé et Erwan goûtait enfin un plaisir sans retenue. Enfin, on les aperçut, ces dieux de la forêt, si débonnaires et si puissants. « Surtout ne les regardez pas dans les yeux, ils prendraient cela pour une provocation. Gardez la tête baissée ! » Erwan regretta de ne pas pouvoir observer ces prunelles intelligentes, capables de déceler tant de messages mais il fit confiance à ses compagnons. Le regard biaisé, il observa leur façon de se nourrir, de se comporter au sein d’un groupe et même d’aimer. Le temps n’existait plus dans ce lieu paisible, véritable Éden que les hommes n’avaient pas su garder.
Lorsqu’ils revinrent au village, il était un autre homme. Son titre de Prince lui semblait dérisoire, sa mission première lui apparaissait comme une folie.
Le chef qui semblait lire dans ses pensées lui conseilla de ne pas prendre de décision immédiate et de laisser le temps faire son œuvre. Ainsi fut fait et quand le moment d’opter pour un retour aux origines intégrant château en ruines et énigmes ou pour un séjour quasi définitif au village fut venu, Erwan dit gravement qu’en dépit de la séduction extrême du village, il était de son devoir de retourner au château où sa présence était nécessaire.
Le chef le félicita pour son courage car il lisait dans ses yeux la déception de quitter un endroit où il était heureux.
À peine avait-il pris cette décision qu’un albatros se posa à ses pieds. Il portait le message suivant : « Prince à la rose, ton retour se fait pressant. Reviens parmi nous. Ta Princesse ».
Pirogues et embarcations fleuries furent de mise. Erwan jura aux charmantes filles du village qu’il leur offrirait des bijoux précieux en remerciement de leur accueil. Il embrassa leurs jolies mains et prit le large en se laissant emporter par le pas cadencé de ses amis.
Se fiant au soleil, ils allèrent droit devant eux, pagayant avec ardeur.
Des cygnes apparurent, suivis d’un cortège de flamants roses et de grues cendrées. Un carrosse d’or attendait le prince sur le rivage. Des jeunes gens au nombre desquels se trouvait Benjamin escortèrent Erwan jusque dans le réceptacle du carrosse où l’attendait la princesse de ses rêves.
Je vous laisse imaginer la chaleur des retrouvailles ! Le Prince et sa belle amie prirent la route du château tandis que les pêcheurs retournaient au village. Ils n’avaient pas les mains vides : la princesse avait pris la précaution de se munir de belles pièces d’or et de parures exécutées par les orfèvres du royaume. Erwan se félicita de pouvoir récompenser aussi promptement les amis qu’il n’oublierait pas de sitôt et les charmantes filles qui lui avaient prodigué des soins, l’enchantant littéralement par leur beauté et leur gentillesse.
Si mon cœur n’avait pas été pris, pensait-il, j’aurais certainement épousé l’une de ces beautés et nous aurions eu de beaux enfants qui auraient vécu dans le terroir de l’innocence et de la force tranquille, à l’instar des gorilles aux yeux pleins de mystère. S’ils ne voulaient pas qu’on les regarde dans les yeux, c’était sans doute pour garder intact le secret de leur existence et de leur longévité.
« Vous voilà bien rêveur, mon aimé, dit la princesse en souriant ».
Alors Erwan enlaça sa belle amie et l’embrassa longuement, rêvant à des soleils et à des lendemains couleur turquoise.

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