vendredi 13 avril 2012

Retour aux Sources Épisode IV



Ils avancèrent au trot, le groupe professionnel suivant à un rythme plus lent, encadré par des hommes d’armes du château.
Lors de la deuxième étape, après qu’ils eurent goûté au charme du confort prestement installé par les officiels de cuisine et de voyage, ils virent au loin la masse dense et sombre d’un bois que l’on ne pouvait pas contourner et qui n’offrait aucune perspective cavalière.
Pris d’une inspiration, Erwan se saisit de la flûte et en joua. Une belle mélopée jaillit de cet instrument magique et aussitôt une trouée lumineuse s’offrit aux sabots des juments et des étalons, pour le plus grand bonheur de Vent du Sud qui prit un peu d’avance, rejoignant la licorne et sa farandole de fées, de lutins et de biches. Enveloppé d’un brouillard d’étoiles, Erwan fit corps avec le ballet, semant derrière lui, comme le petit poucet, des étoiles d’or et de pierreries. Les cailloux blancs n’auraient pas été de mise dans cet univers fantastique, c’est pourquoi il fut heureux de disposer de généreux cadeaux transmis par la licorne et son cortège royal.
Rassurés par ces présents qu’ils attribuaient sans conteste à leur prince, les cavaliers, après avoir nommé chef du clan, le meilleur d’entre eux dont le sobriquet Dent de Loup était révélateur de son tempérament et de son désir d’en découdre, tinrent la cadence, laissant aux équipes du château le soin de collecter ces considérables trésors.
Néanmoins, bien qu’ils aient mené un train d’enfer, ils perdirent de vue Vent du Sud et son cavalier. Dent de Loup, persuadé qu’il y avait un développement irrationnel dans ce cursus, modéra le tempo. C’est donc au trot que la troupe s’inscrivit dans l’allée cavalière et que l’arrière garde partit en sens inverse afin de s’assurer que les gens du château n’avaient pas connu de dommages. Les nouvelles étant rassurantes, Dent de Loup ordonna une pause afin que les deux corps se réunissent pour reprendre ensuite une allure tempérée.
De son côté, Erwan vivait un rêve et lorsqu’il arriva à la fin du bois, il ne fut guère étonné de voir s’avancer le carrosse d’or auquel il avait si souvent affaire lors de ses péripéties sentimentales. Un cocher jovial conduisait l’attelage de six juments blanches qui auraient causé un émoi à sa monture si des lads expérimentés ne lui avaient pas mis des œillères. Des pages et demoiselles d’honneur en tenue équestre se portèrent à sa rencontre et l’escortèrent jusqu’au carrosse où il prit place avec bonheur, pensant que ce véhicule magique allait le conduire à sa bien Aimée Gwendoline.
Avec sa petite escorte où se joignaient licorne, fées et lutins, le prince vit défiler de somptueux paysages où alternaient lacs, rivières et champs cultivés de blé et de lin.
Erwan somnola quelques instants et lorsqu’il reprit ses esprits, ce fut pour constater que le carrosse s’était arrêté. La portière s’ouvrit et une jeune fille ravissante nommée Ondine selon ses dires, prit place à ses côtés. L’attelage repartit de plus belle tandis que la jeune fille, coquette et attachée à son image, disposait ses jupons. Elle sortit un livre d’un joli sac en tapisserie où alternaient roses, lys et violettes sur un fond turquoise qui rappela au prince la couleur favorite de Gwendoline, celle de ses yeux ouverts au monde comme d’immenses lacs ornés de pépites d’or au cœur des nénuphars et des lotus. Ondine ouvrit son livre au hasard et se mit à en déchiffrer le contenu. Il s’agissait d’une très belle histoire, celle de Tristan et Yseult. Erwan respecta la lecture de sa voisine et faute d’avoir songé à emporter un livre, se concentra sur le défilé de paysages qui continuait son déroulement. C’est avec bonheur qu’il aperçut au loin le bateau de plaisance commandé pour sa princesse. Il était amarré et semblait attendre ses passagers. De fait, le carrosse s’arrêta une nouvelle fois et un majordome le pria de prendre place dans le bateau ainsi que Damoiselle Ondine fut-il précisé.
Erwan s’exécuta, aidant galamment Ondine toujours empêtrée dans ses jupons à descendre du carrosse pour prendre place dans le bateau de plaisance. Tout était prêt, selon les ordres du prince mais hélas ! ce n’était pas sa bien Aimée qui était installée sur le divan de soie rouge commandé pour servir d’écrin à sa beauté.
Des marins levèrent les voiles et le bateau glissa sur le lac avec la grâce efficace d’un cygne.
Tandis qu’Erwan se rapprochait de l’élue de son cœur, Dent de Loup et son escorte eurent la désagréable surprise de voir les arbres se resserrer autour de leur troupe, prêts à l’étouffer. Le chef montra l’exemple en attaquant ces arbres diaboliques à la hache, bientôt suivi par tous ses guerriers. Marmitons et cuisiniers ne furent pas du reste, taillant sans relâche ces ennemis peu communs. À l’approche de la nuit, ils durent rendre les armes, fourbus et soucieux de la sécurité de leurs compagnons. En taillant à l’aveuglette, ils craignaient de blesser un guerrier ou un ami. C’est ainsi que les arbres recommencèrent leur processus d’étouffement et la petite armée aurait été brisée si une miraculeuse licorne n’avait pas fait son entrée dans la ronde maléfique des arbres. Ces végétaux hors du commun reprirent leur place initiale, comme par magie et l’escorte princière, fatiguée certes mais libérée de ce terrible piège, trotta allègrement sur un sentier lumineusement tracé par la licorne.
À la sortie de la forêt, les voyageurs furent heureux de trouver un campement confortable qui avait été établi pour le repos qu’ils méritaient amplement. Des serviteurs arrivèrent chargés de plateaux où alternaient plats sucrés et salés, tourtes au poulet, brochettes de poulet marinées dans un jus d’oranges additionné d’huile d’olive et de piment, tartes au citron, bref toute une série de plaisirs gourmands qui relégua dans le passé la terrible épreuve infligée par les arbres. Après cette collation et des breuvages à base de fruits, tous apprécièrent les bienfaits d’un sommeil profond, goûté dans des sacs de couchage douillets.
Quelques heures de sommeil suffirent à ces hommes habitués à affronter de multiples dangers et Dent de Loup n’hésita pas une seconde à donner le signal du départ, pain et lait absorbés pour renouer avec les habitudes coutumières du salut au nouveau jour.
Chacun partit, soucieux et léger. On savait à présent que le danger ne provenait pas seulement des hommes et qu’une observation renouvelée était indispensable pour pallier tout dommage. La légèreté était cependant de mise car tous se sentaient plus ou moins protégés par cette extraordinaire licorne et son souvenir était vivace en leur cœur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire