vendredi 13 avril 2012

Le Prince à la Rose


  

Après avoir quitté son château haut perché dans les brumes, le prince Erwan se dirigea au gré des étoiles, à la recherche d’un pays accueillant. Son maître d’armes lui avait parlé avec beaucoup d’émotion d’une grande reine aimée par toute une contrée, résolument tournée vers la paix universelle. Elle avait cependant dû mener de vigoureux combats face à un ennemi fuyant et diabolique pour s’en remettre ensuite à son fils puis à son petit-fils, le fourbe guerrier ayant malheureusement une descendance aussi cruelle et adepte de la brutalité. Le choc des guerriers appartenant à des mondes opposés avait été très dur mais la reine et son entourage avaient enfin triomphé.
Maître Jacques, son professeur d’escrime et d’arts martiaux lui avait conseillé de voyager à cheval. C’est pourquoi Erwan chevauchait une monture qu’il avait choisie pour son élégance et sa fougue, un cheval rebaptisé Aile de Feu, en souvenir de Pégase. Histoire de taquiner Maître Jacques, Erwan lui avait fait remarquer qu’un prince ne devait pas se déplacer sans escorte mais il avait regretté cette plaisanterie en voyant les larmes de son vieux compagnon envahir ses grands yeux bleus.
C’est alors qu’il s’était enfin livré à celui qu’il considérait comme son fils. Il était, à sa connaissance, l’unique représentant d’un royaume où la guerre avait sévi avec tant de brutalité qu’il en avait gardé, pour toujours, la haine vivace des querelles inutiles vouées à la barbarie.
-  Cependant, Grand Maître, vous m’avez enseigné l’art de l’escrime, le judo et le taekwondo, sans oublier les ruses paysannes, l’usage de la fronde, de l’arc et du lacet.
- Certes mais je l’ai fait en considérant qu’il était nécessaire, même pour un prince pacifique, de connaître les moyens utilisés par un virtuel ennemi en guise de parade.
Son maître avait insisté pour qu’il prenne la route afin de compléter son instruction.
« Suis les nuages ! » lui avait-il dit en souriant, ils te conduiront certainement là où ton destin s’inscrit.
À cette évocation, Erwan ne put s’empêcher de sourire. Pourquoi lui avait-on enseigné à se servir d’une boussole en ce cas ? En effet, au château, un maître de philosophie, un historien, un calligraphe, un poète et un mathématicien avaient complété sa culture faisant de lui ce que l’on aurait qualifié de « bel esprit » dans une civilisation évoluée. Me voici pourtant, à cheval, vers un avenir incertain pensait le prince dubitatif et il s’étonnait que les armes aient toujours la primeur sur les sciences et les arts.
Il voyagea ainsi quelques semaines sans rencontrer de notables personnalités. Il fut reçu à maintes reprises par des paysans ou des bûcherons et fit honneur aux repas modestes qu’on lui servit chaleureusement. Il écouta avec intérêt le récit de leurs vies et se mit en devoir d’échafauder des plans afin de remédier à quelques situations particulièrement difficiles. Il laissa dans chaque foyer quelques pièces d’or en remerciement de leur hospitalité. Certes, il était très généreux au regard des menus présentés mais Erwan avait à cœur d’aider ces honnêtes gens. Lorsqu’il y avait une fille au foyer, il ajoutait un collier de perles pour lui porter bonheur. Sa renommée alla en grandissant de forêt en prairie et lorsqu’il arriva enfin aux portes d’un vaste domaine, il fut escorté par des jeunes gens vigoureux et souriants. Ils se rangèrent derrière sa monture, pleins de déférence et d’espoir.
Sa marche triomphale s’interrompit car le château espéré était une ruine impressionnante. Le corps principal, à demi écroulé, était couvert de ronces et de lianes fleuries. Les tours menaçaient de s’effondrer. Sur le côté, une jolie chapelle, bien entretenue portait un nom fameux, celui de la Reine Diamant.
Erwan laissa son cheval à son escorte et pénétra dans la chapelle où il fut accueilli par des chants. Une chorale de jeunes filles dirigée par un barde aux longs cheveux bouclés le propulsa dans un monde magique où il se laissa enfermer, les yeux clos. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il était seul et des parfums lui révélèrent que l’on avait pensé à entretenir son corps après avoir nourri son âme.
Dans une pièce adjacente, pimpante, avec des murs crépis à la chaux et peints de motifs floraux, une table était dressée. Il y avait du bouillon, du riz, du poisson frais cuit dans un mélange de jus d’agrumes et d’huile de noisette. Tout était délicat. Un appétissant gâteau moka clôturait ce petit festin. Quant à la boisson, il s’agissait, au choix, de cidre, de cervoise, de vin léger ou d’eau parfumée à la violette. Erwan goûta à toutes ces merveilles, gardant en bouche le goût de la cervoise, si légère, aux saveurs de miel et de baies de genièvre.
De jeunes pages aidés par de belles servantes aux tabliers à ruchés débarrassèrent la table prestement. L’un d’eux se présenta, la main sur le cœur en s’inclinant légèrement : « Prince, je suis Benjamin, pour vous servir ». Il entraîna Erwan à sa suite. Le jeune homme remarqua alors qu’un tapis de laine écrue se déroulait entre deux rangées de rosiers dont les fleurs parfumées étincelaient au soleil. Il en cueillit une, pourpre en son cœur nacré et eut la surprise de voir se développer la silhouette élancée d’une jeune fille qui lui dit en souriant : « Vous avez touché juste, jeune prince ! Je suis la seule princesse à avoir été métamorphosée en rose et vous m’avez délivrée de mon enchantement. Soyez béni. Embrassez moi car je languis depuis tant d’années de celui qui me révèlera l’amour ».
Sans se faire prier davantage, Erwan unit ses lèvres à celles de la jeune fille aussi parfumées que les fleurs et fut emporté dans un tourbillon qui le jeta sur un lointain rivage, loin de son château, dépourvu d’escorte, avec juste le souvenir d’une jolie fille qui l’avait embrassé. À ceux qui le croisèrent, hagard et dépourvu de mémoire, il dit qu’il se nommait le Prince à la Rose et qu’il était à la recherche de son destin.

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