vendredi 13 avril 2012

Retour aux Sources Épisode III



Afin de ne pas se laisser prendre par les pièges nocturnes, le prince envoya quelques éclaireurs à la recherche d’un logis où tous pourraient se restaurer et dormir. Ils revinrent porteurs d’une bonne nouvelle. Non seulement ils avaient trouvé un très joli château mais encore ils semblaient y être attendus. Dans la pièce principale un bon feu de bois flambait, contenu par des pare-feu aux effigies princières. Le couvert était mis, porcelaine de chine, verres de cristal et argenterie chiffrée. Au milieu de la table, une corbeille de fruits assortie à des drageoirs où étaient disposées d’alléchantes sucreries, bonbons au miel, à la violette et au citron, guimauve, pommes d’amour, dragées et crackers anglais jetaient une note enfantine et accueillante.
Erwan fit remarquer à son interlocuteur que rien ne laissait supposer que ce bel amoncellement de denrées précieuses leur était destiné, ce à quoi le chevalier répondit qu’il en était certain et il sortit de son gant la reproduction d’une inscription en nougatine qui ne laissait plus la moindre place au doute : « Bienvenue au Prince Erwan et à son escorte. Ce château est le vôtre ».
Certes pensa Erwan sans exprimer ce soupçon, il se peut qu’il s’agisse d’un sortilège et que l’on nous tende un piège mais avait-il vraiment le choix ? Après cette présentation grandiose, il aurait été difficile, de plus, de demander à ces courageux combattants de dormir à la belle étoile et de se contenter de quelques biscuits pour tout souper.
Il donna donc l’ordre de suivre l’estafette et ils arrivèrent bientôt aux abords du château tout en briques roses avec des oriflammes brodées de fleurs de lys et du symbole de l’hermine. Une escouade de valets apparut afin de conduire les chevaux à l’écurie. Trois palefreniers bouchonnèrent avec soin le magnifique Vent du Sud et ils assurèrent à son maître qu’on le lui rendrait rajeuni et prêt à accomplir des prouesses. Erwan dispensa généreusement pièces d’or et d’argent et promit de leur en donner le double à son retour.
De jolies jeunes filles vinrent accueillir les chevaliers et leurs princes, leur proposèrent de se délasser un peu dans des bains bouillonnants, ce qu’ils acceptèrent avec joie. Des tenues d’appartement blanc et or pour le prince, bleu myosotis ou pervenche et tout un assortiment des couleurs de l’arc-en-ciel pour les chevaliers, des sandales en cuir tressées et même des médaillons où l’on voyait s’ébattre des licornes, des fées et des papillons étaient à leur disposition. Ainsi vêtus, les chevaliers et leur prince se dirigèrent vers la salle à manger où apparurent très vite des servantes élégantes qui déposèrent prestement dans les assiettes creuses un bouillon de volaille dont le fumet promettait des merveilles. Chacun se régala de cette entrée alléchante et accueillit la suite avec bonheur. Omelette mousseuse aux cèpes, coupelles de riz parfumé, rôti de sanglier aux airelles, légumes en purées, fromages de chèvre frais, brie à la compote de rhubarbe, macarons fourrés aux fruits, à la crème et au chocolat, gâteaux mokas, quatre-quarts et îles flottantes permirent à tous de se restaurer avec magnificence. On leur servait des boissons diversifiées, au gré de chacun, jus de fruits, eau plate ou gazeuse, vin miellé, bière légère, limonades ou sirops d’orgeat et de roses.
Boissons chaudes également diversifiées, grogs au rhum notamment qui eurent un vif succès, thés aromatisés, cafés suivis d’alcools au nombre desquels figuraient l’armagnac, l’eau de vie la plus ancienne de France, le cognac, la plus célèbre et enfin rarissimes et subtiles les liqueurs aux plantes élaborées par les Moines dans le secret de leur laboratoire, offrirent la note finale en bouquet de ce splendide repas.
Afin de garder l’esprit clair et de pallier toute surprise désagréable, Erwan n’avait bu que de l’eau et il avait juste trempé ses lèvres dans une petite coupe de liqueur afin de rendre hommage au travail des Moines.
C’est avec soulagement que tous accueillirent la proposition de se retirer en leurs appartements. Quelques chevaliers avaient le pas un peu lourd mais aucun n’était en état d’ivresse car ils n’avaient pas perdu l’objectif de leur mission et ils aimaient trop leur prince pour le décevoir par une attitude inappropriée.
La chambre d’Erwan était très spacieuse et décorée avec goût. Ce qui le frappa d’abord et l’émut fortement était la présence d’un tableau où la princesse apparaissait en majesté, escortée par une licorne et un faon au milieu d’une farandole d’oiseaux. Le château formait un solide ancrage dans le réel avec un lac où voguait un bateau qui ressemblait à s’y méprendre à celui qu’Erwan avait dû abandonner avec l’apparition terrifiante du dragon.
Erwan ne douta pas de l’authenticité de ce signe merveilleux qui lui était adressé et il se coucha sous un édredon douillet qui le plongea rapidement dans un sommeil émaillé de rêves. Une étrange mélopée le réveilla en pleine nuit. Il s’approcha de la fenêtre et ce qu’il vit le persuada de la proximité de sa bien Aimée, de sa délivrance programmée par le concours des forces vives de l’enchantement. Un être féerique vêtu de pièces ajustées où abondaient tissus vaporeux, strass et sequins d’or jouait de la flûte avec tant de talent qu’on s’étonnait à peine de voir une licorne et une fée danser sous la lune.
Erwan s’habilla prestement et s’élança dans le jardin, espérant se joindre à ce trio fabuleux mais lorsqu’il arriva, ils avaient disparu, laissant de leur passage un témoin, la flûte et quelques joyaux opales en forme de croissant de lune.
Erwan prit ces objets avec délicatesse en les enveloppant dans une écharpe de soie abandonnée par le musicien. Il rentra dans sa chambre pour mettre ces précieux témoins en lieu sûr, dans une armoire qu’il ferma à clef et dont il garda le sésame puis il se rendormit, rêvant que sa princesse était à ses côtés, gardée par une licorne au regard humain et tendre.
Le lendemain, pensant avoir rêvé la scène nocturne, il vérifia le contenu de l’armoire pour conclure qu’elle avait bien eu lieu puisque les objets étaient toujours là.
Le petit déjeuner était servi dans une pièce agréable et lumineuse puisque les rayons du soleil traversaient une véranda pour offrir chaleur et confort. Thé, café, chocolat, boissons chaudes à base de fruits, de fleurs et de plantes aromatiques étaient à la disposition des chevaliers ainsi que toasts grillés, gâteaux divers dont un au citron qui fit fureur et brioches à la fleur d’oranger.
Ainsi prêts à affronter les dangers, les chevaliers eurent le plaisir supplémentaire de se voir adjoindre une escouade de cuisiniers, marmitons, commis en tous genres veillant jalousement sur des denrées précieuses soigneusement emballées pour la suite du voyage.
Le prince avait pris soin de demander un petit coffret destiné aux pièces magiques de nuit. Une première dame lui en apporta un, précieux, en or massif serti de rubis. Erwan eut beau protester et réclamer un coffret plus modeste, la dame résista à tous ses arguments et le pria d’emporter également une grande boite cadeau dans laquelle on avait placé une robe d’apparat destinée à la princesse. Toutes les couturières et les brodeuses de la région y ont participé, dit-elle fièrement et les orfèvres n’avaient pas voulu être en reste, assemblant diamants nés de leur travail et pierres précieuses avec pour relais l’or, l’argent et le vermeil.
« Voici pour te protéger, Prince, ajouta-t-elle en lui présentant un objet merveilleux, une croix en or sertie de grenats, attachée à un collier d’or torsadé, à mailles fines. Nous pensons que ce bijou te sauvera de mille et un maléfices. Lorsque tu te sentiras en danger, face à un être malfaisant, n’hésite pas à brandir cette croix en prononçant cette formule magique : la rose percera la neige. Tu n’auras pas à le regretter ! ».
Erwan remercia la première dame, l’assurant qu’elle n’aurait pas affaire à un ingrat s’il survivait à tous les dangers qu’il devrait certainement affronter. Muni des objets précieux récoltés dans le jardin à médianoche, il donna à son escorte augmentée d’un groupe chargé de la logistique bien sympathique, l’ordre d’avancer.

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