jeudi 26 septembre 2019

La mer des souvenirs


La mer des souvenirs
Les cours se succédaient avec beaucoup de réussite dans l’école des enchanteurs et la direction se félicitait des résultats prometteurs engrangés par de nombreux candidats à des concours prestigieux.
Rien ne sert de plonger les adolescents dans une inquiétude folle pour en obtenir l’excellence se disait la fée des Lumières, initiatrice de la pédagogie souriante préconisée à l’école.
Mais soudain un fait brouilla cette vision lumineuse : une élève très douée, Marjolaine, qui remportait tous les suffrages professoraux, se désintéressa, sans raison apparente, des études qu’elle portait pourtant aux nues jusqu’à présent.
Elle ne se levait plus, ne voulait plus s’alimenter et les livres qu’elle chérissait avant tout, lui tombaient des mains. Elle dormait sans cesse mais paraissait de plus en plus fatiguée.
Avant de sombrer dans cette étrange léthargie, Marjolaine était pleine de vie et ses talents en matière théâtrale étaient si prodigieux que ses professeurs caressaient l’espoir de la voir entrer à la Comédie Française.
Son interprétation de Roxane avait été sublime au dire de tous et elle avait provoqué les larmes d’un nombre considérable de spectateurs dans la scène finale.
Elle avait été également une Rosine convaincante et tous les grands rôles dévolus aux ingénues qui, en définitive, s’avéraient être de maîtresses femmes, à l’intelligence vive, sous les rubans de l’époque avaient été revisités par ses interprétations toutes en finesse et originalité.
Toutes les fées se penchèrent sur son lit de souffrance mais rien n’y fit et la fée des Lumières décida de faire venir un médecin spécialiste des troubles de l’âme car c’était certainement le mal qui s’était attaqué à la brillante jeune fille.
Le médecin ne fut pas en mesure de guérir instantanément la patiente mais il suggéra que des séances d’hypnose dont il avait la maîtrise définiraient peut-être le terrain à circonscrire.
Les séances commencèrent et lors de quinze approches il ne se produisit rien de notable si ce n’est que la jeune fille prononça une expression qui méritait d’être éclaircie et approfondie : «  mer de Flines ».
La directrice remercia le médecin et elle entreprit sans plus tarder des recherches permettant d’éclairer la métaphore.
Il s’agissait d’un étang plus que d’une mer à proprement parler mais ses origines étaient si étranges et sa forme circulaire si particulière qu’on pouvait l’assimiler à un étang chimérique tel qu’il apparaît dans une merveilleuse chanson d’un compositeur local.
Marjolaine avait vécu une partie de son enfance sur ses berges et il suffisait de tirer le fil pour que toute la pelote de laine se déroule et révèle ses secrets.
On transcrivit le contenu de ses rêves : avec son amie Elsa, elle vivait dans une atmosphère féerique pour fuir un environnement malsain et c’est souvent Marjolaine qui avait l’initiative de jeux étranges et poétiques. Elle avait imaginé qu’elle pourrait commercialiser des pétales de roses et c’est, pleine de cet espoir déçu qu’elle rencontra la réticence de chacun à imaginer les métamorphoses féeriques.
Elsa la suivait dans ses folles conceptions et si elle parlait peu, elle dessinait des scènes de leur enfance, s’intéressant davantage à ce qui semblait digne d’esquisse.
Au fil des rêves de la jeune fille, la trame de son mal apparut avec clarté et il arriva enfin qu’elle se sente délivrée par le poids du passé.
L’étang chimérique reprit sa place dans le grimoire de ses rêves d’enfant et elle s’éveilla à nouveau dans la réalité qui reprit tout son poids avec ses centres d’intérêt.
Elle reprit goût au théâtre et s’illustra dans des rôles auxquels elle apporta une touche supplémentaire de profondeur et de charme.
Son entrée à la Comédie Française ne fit plus aucun doute et l’école des enchanteurs sortit renforcée de cette épreuve difficile qui avait mis à mal tout le poids de la féerie.

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