dimanche 17 octobre 2021

La maison de Bernard


Tant que je le pourrai, je resterai chez toi, Bernard, dans la maison que tu as désirée et remodelée pour la rendre agréable, La Jalousie. C’est là que tu as rendu le dernier soupir, partant vers des lieux inconnus où,  je l’espère,  tu retrouveras des êtres chers, tes parents en attendant ma venue.

Je l’avoue, je suis venue ici un peu à reculons car j’étais restée attachée à ta terre bretonne, son univers légendaire et notre maison conçue pour y vivre de manière moderne, avec de grandes ouvertures donnant sur un jardin que je ne cessais pas d’admirer en préparant mes cours ou en écrivant.

La Jalousie ne manquait pas de charme mais de nombreux défauts la rendaient difficile à vivre au quotidien : pas de moyen de chauffage, mis à part un poêle à bois dans la grande salle rebaptisée par ses propriétaires la salle des vendanges car on pouvait y mettre une immense table destinée à accueillir les vendangeurs. La cuisine était dotée d’une cuisinière fonctionnant au bois, ce qui était parfois problématique pour assurer une cuisson idéale : faute de tirage, le far breton n’en finissait plus de dorer !

Il fallut d’abord parer au plus pressé, équiper la maison de radiateurs de qualité, refaire les ouvertures en s’adressant au meilleur menuisier du coin. Des vitres à double vitrage furent posées dans un encadrement en bois exotique, le meilleur pour éviter l’attaque des insectes proliférant dans la région.

Ensuite, on se sépara de la cuisinière fonctionnant au feu de bois car elle me donnait la sensation de revivre les années difficiles de Cendrillon et on la remplaça par la Rolls des cuisinières, à mes yeux, une Rosières, de couleur bleue et si agréable en comparaison de cette cuisinière qu’à présent nous regrettons tant elle était symbolique et de fonctionnement irréprochable : une amie bretonne, Michèle Le Baut, me confia que c’est par le truchement de cette cuisinière qu’elle avait réussi le meilleur gâteau breton de sa vie, moelleux et doré à souhait.

Je me consolai rapidement d’avoir quitté la belle Bretagne en apercevant, dès que l’on quittait le village de Labastide d’Armagnac pour nous rendre chez nous, dans un quartier nommé Géou, difficilement prononçable pour qui n’est pas landais, une trouée d’arbres qui me rappelait les dessins de Gustave Doré et qui m’inspira immédiatement une suite de contes dont je devins un écrivain suffisamment aguerri pour attirer un éditeur.

Ses travaux de jardinage terminés, Bernard se mettait au clavier et écrivait ces histoires en maniant les touches du clavier avec l’adresse que je n’ai pas.

Il a même contribué à corriger des manuscrits d’amis burundais qui souhaitaient l’excellence pour leurs œuvres avant de les proposer à un éditeur : je corrigeais les épreuves à la main et Bernard transformait l’essai sur le clavier, colonne rouge pour l’erreur décelée et colonne verte pour la proposition d’amendement que je proposais.

Ce travail, nous l’accomplissions de gaieté de cœur car il nous rapprochait encore !

Puis malheureusement, tes yeux qui étaient ta fortune et qui selon une ophtalmologiste rennaise étaient les plus beaux qu’elle eût jamais vus, verts, étoilés de points d’or, se sont voilés et il fallut renoncer à tous ces jeux d’écriture.

De plus, d’autres pathologies se sont manifestées, te réduisant peu à peu à une forme d’impuissance que tu supportais difficilement dans la mesure où l’action avait toujours été ton principal ressort.

Nous avons essayé de rêver encore et toujours mais cela devenait d’autant plus difficile que je n’ai pas, non plus, été oubliée par les divinités infernales qui s’en prennent aux démunis.

Entourée et soutenue par nos fils qui me prodiguent à présent les soins qui me sont nécessaires et embellissent le cadre de notre maison en remaniant la décoration pour me redonner le goût de vivre, encore et toujours, dans ta maison, Bernard, qui est aussi la mienne et celle de nos fils et de notre petit-fils Eloan qui pense sans cesse à son Papi, sculptant un tombeau sur sa gomme pour l’avoir toujours près de lui !

Haut les cœurs, Bernard est toujours parmi nous, au plus profond de notre être et nous le chérissons en vivant dans sa maison, celle qu’il a tant aimée et que nous admirons, à l’unisson !

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