samedi 16 octobre 2021

Le granit du rêve

 



Un nom s’imposait à Bernard comme le symbole familial d’un Paradis convoité par toute la fratrie au point de susciter des querelles sourdes et intimes, c’est celui du Pas Hamon.

Au terme d’une vie de labeur bien remplie, Henri Roze et Bernadette Letellier, son épouse, se sont retirés, renonçant aux travaux des champs du fait de leur âge.

Henri ne profita pas de sa retraite et ce fut Bernard, venu pour l’aider à présenter ses poireaux destinés à la vente au Marché des Lices de Rennes qui le découvrit mort, sa dernière tâche achevée.

Le Pas Hamon, j’y entrai pour la première fois lors d’une soirée où les douze frères et sœurs convinrent d’en attribuer la possession à l’unique personne de la famille célibataire.

C’était une décision prise par les enfants avec le consentement de leur mère qui était selon eux un moindre mal, les « pièces rapportées » dont je faisais partie apparaissant comme autant d’ennemis potentiels, capables de semer la zizanie dans un univers qui se voulait consensuel et conservateur.

Chacun partit ensuite en ayant vrillé au cœur sa parcelle de Pas Hamon, à la fois légendaire et concrète.

Outre cette ambiance digne d’une nouvelle de Guy de Maupassant, je retins du Pas Hamon l’immensité d’une salle où l’on remarquait une horloge comtoise, une grande photographie où apparaissaient le couple et ses sept premiers enfants, le huitième, Bernard, présent mais caché dans le ventre maternel et une gigantesque cheminée, à l’ancienne.

Bernard avait hérité de son père une carrure imposante, ce qui impliqua la confection de costumes sur mesure.

Il n’avait pas son pareil pour griller les châtaignes au feu de bois, les faisant danser dans l’arasoire d’un geste sûr.

Tout le monde l’admirait en ces moments car ce n’était pas une mince affaire de préparer ce délice automnal pour une cinquantaine de personnes.

Chez nous, à la Jalousie, c’est Jean- Noël qui fait danser les châtaignes avec la même détermination que son père et surtout, il faut bien le dire, le courage d’affronter la flamme sous le froid glacial du soir qui tombe.

Certains se sont demandé pourquoi Bernard avait quitté sa Bretagne natale pour s’installer en Nouvelle Aquitaine, si loin de son berceau familial, rompant avec les liens professionnels qui lui étaient chers et l’image perdue du Paradis, Le Pas Hamon.

Après avoir cherché en vain une propriété qui lui rendrait sa part d’enfance, c’est sur la route d’une station thermale qu’il trouva la perle rare nommée La Jalousie.

C’était un domaine viticole qui avait été géré de main de maître par «  Grand-Mère Julie » puis laissé en l’état par un fils tourné vers la ville, Aire-sur-Adour en l’occurrence et un petit-fils dont la fibre commerciale l’emportait sur l’amour de la terre.

Rennes, son musée, son parc du Thabor, ses quais, ses librairies, notamment Les Nourritures Terrestres où l’on trouvait toujours le livre que l’on cherchait, étaient au centre de mes pensées sans oublier la légendaire Brocéliande, son Val-sans-Retour et sa symbolique féerique mais je pliai face au désir d’un époux qui avait toujours eu un rêve vrillé au corps.

Comme tu as été heureux à La Jalousie, Bernard !

Tu y as retrouvé tes racines.

Tes mains fines d’intellectuel ont pris de la corne alors que tu maniais la faucille, la pelle et la pioche.

Ton jardin était une merveille  et Jean-Noël a ensuite pris la relève, ajoutant des roses et de l’amour en cage pour me faire plaisir.

Tu as également, Jean-Noël, planté de jolis arbres et entretenu un coin réservé aux cucurbitacées et aux piments en tout genre, notamment le piment d’Espelette que tu enfiles adroitement sur un fil après la récolte comme dans le village rendu célèbre pour ses productions.

Tu cuisines tous ces condiments et légumes automnaux, réalisant des veloutés délicieux et tu prépares aussi des conserves pour que nous retrouvions les joies de l’été en plein hiver.

Les récoltes n’ont jamais fait défaut à La Jalousie et, à présent, Jean-Noël s’est même fait une réputation de maître  jardinier, alternant, comme son père, les activités cérébrales et les travaux agricoles.

Jean-Bernard, quant à lui, préfère les activités commerciales.

Je le revois encore, à son retour d’Irlande, du Relais du Sheen Falls Lodge où il était sommelier, déposer sur le buffet de la cuisine,  une liasse de billets, un million de l’époque, toutes ses économies !

Cet apport inespéré nous fut précieux car nous avions emprunté de l’argent à la banque pour financer notre prêt-relais et l’achat des terres attenant à la propriété.

Tu as fixé le cap, mon cher Bernard, si courageux, si actif, servant de modèle à tes fils qui te rendent au centuple tout l’amour que tu leur as témoigné en entretenant magnifiquement ton tombeau et en faisant le maximum pour perpétuer ta mémoire.

Quant à moi, je joue le rôle de l’éléphante du troupeau qui retrouve les chemins perdus qui mènent aux sources du souvenir pour réactiver la mémoire d’un homme valeureux que nous n’oublierons jamais !

 

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