mercredi 26 octobre 2022

Don Juan poète



Gabriel était né poète et dans son cœur d’occitan, battaient les tambours de la révolte.

Ses ancêtres avaient péri dans les bûchers de Montségur et il lui en venait parfois des échos.

Alors sa grande voix s’élevait pour déraciner les cieux et ses grandes mains expertes en caresses formaient un ciboire en forme de Graal.

Il partait en croisade et parvenu dans la Jérusalem céleste des poètes, il devenait tour à tour chevalier de l’extrême, prêtre sans étoile et redresseur de torts.

Je l’ai cru immortel et lorsque j’ai appris son décès par la lecture d’un hebdomadaire, je suis restée sous le choc.

Il m’avait confié Liliane dans l’une de ses lettres. Il la qualifiait de « délicieuse femme-enfant » et j’ai agi avec détermination, brandissant son souvenir pour la tirer d’un mauvais pas.

Pour la poésie, il m’avait dit « Je te garde ta place » et lorsqu’il prit la direction d’un hebdomadaire poétique, l’un de mes textes-phare Pluie d’étoiles figurait au verso de son édito mais ce fut une première et une dernière car l’une des Parques coupa le fil de son existence.

Gabriel, on t’a connu sous le nom de Bernard Aurore et ce beau nom a fleuri pour constituer une anthologie.

Une centaine de prix littéraires, une distinction honorifique parmi tant d’autres, Chevalier des Arts et des Lettres ont sublimé tes armoiries mais, pour moi, tu seras toujours le petit Gabriel, l’enfant pauvre en proie aux quolibets de tes camarades de classe, à cause de tes vêtements rapiécés par une mère si pauvre qu’elle ne pouvait rien acheter et acceptait, tête baissée, les effets usagés que l’on donne aux démunis.

Docteur en géographie, inspecteur de l’Académie, poète reconnu, roi de l’Alexandrin, ami de Léopold Sédar Senghor, tous ces titres ont fait ta renommée mais il est resté dans ton âme un grand vide que tu as essayé de combler avec des conquêtes féminines sans cesse renouvelées.

Tu voyais en moi ce qui te manquait, une plume courant sur les parchemins pour conter ce qui échappe à l’entendement et tu m’envoyais tes récits maladroits pour que je les illumine de mes notes enchanteresses.

Mais en vérité, comme Jules César, je préférais être la première dans un village obscur, gaulois en l’occurrence dans La Guerre des Gaules plutôt que d’être la seconde à Rome, autrement dit le Paris des Poètes alors je suis partie, sans regret, vers un autre Bernard qui fut, lui, mon roi solitaire et merveilleux.

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