lundi 31 octobre 2022

Lettre à Petit Jour

 


 

Mon cher fils, j’ai éprouvé de véritables moments de bonheur en concevant les contes. Je les ai écrits pour toi. J’espère que tu les liras avec plaisir et qu’ils compenseront mon absence. J’aimerais rester toujours à tes côtés et te voir grandir jusqu’à l’âge d’homme en compagnie de ta maman que je chéris fortement mais je sais qu’un jour je devrai assumer mon destin et vous quitter, pour mon plus grand chagrin.

Je suis né sous une étrange étoile. Ma mère, la reine Diamant a dû me confier aux flots. Je suis arrivé dans une nacelle, richement vêtu de dentelles et de la laine la plus fine, sur un nid de rubis en un lointain rivage où régnait le terrible Griffe d’Argent, une créature qui tenait de l’homme et de l’ours, sans nom. Griffe d’Argent, sensible à l’éclat des rubis et à mon teint frais me nomma Flamboyant et sans rien savoir des circonstances de ma naissance, me fit donner la meilleure éducation de son royaume.

J’appris à monter à cheval, à tenir une épée et à combattre mais aussi à lire, écrire, compter et étudier les langues anciennes et modernes, à philosopher également.

Puis lorsqu’il estima que je savais tout ce qu’il était possible d’apprendre dans les livres et dans une salle d’armes, il m’envoya à la recherche de mon destin. Je finis par faire la connaissance de ma mère, la reine Diamant, belle et sage et apprendre le secret de ma naissance. Je t’épargne les détails, cher enfant mais sache que ma mère ne m’avait éloigné que pour mon bien. Quant à mon père, il s’agissait hélas ! d’un monstre humain sans cœur nommé Malforza. La rencontre de ma mère et de cet être maudit n’était pas de nature amoureuse mais bien le résultat d’un fait de guerre. J’appris peu à peu que ma route semblait tracée et que l’on attendait de moi l’exécution du tyran. Dès lors, tous mes efforts consistèrent à ourdir des plans guerriers pour que le royaume de ma mère retrouve la sérénité.

Les rubis de mon berceau provenaient du sang de ma grand-mère, exécutée par un tyran sanguinaire de la lignée des Malforza. Ils possèdent des vertus magiques. J’en ai déjà fait usage avec discernement. J’en laisserai une poignée à ta mère lorsque je partirai. De cette manière, vous pourrez lutter contre les forces du mal. Après avoir exécuté des plans guerriers, j’ai eu l’impression de devenir aussi nuisible que le tyran dont je voulais me défaire. C’est pourquoi j’ai fui la cour de la reine afin de retrouver le jeune homme pur que j’étais autrefois. C’est ainsi que j’ai rencontré ta chère maman et qu’elle m’est apparue comme le cadeau le plus précieux de ma vie. Ensuite tu es venu au monde, si beau, si charmant que nous n’avons pas pu te nommer. Nous t’avons appelé Petit Jour en attendant le nom définitif.

Dans la mesure où je suis à présent contraint de repartir au combat, j’ai décidé de te donner deux noms en espérant que tu n’en porteras qu’un, le second. Le premier est Soleil d’Or. J’ai choisi ce nom pour être celui que tu porteras dans les batailles, si tu es contraint de passer par cette pénible épreuve. Porté par mille poitrines haletantes, ce nom éclatera comme un chant de victoire et te donnera la force nécessaire de tailler sans merci les monstres venus troubler la quiétude d’un royaume aux valeurs éprouvées.

Aussi beau qu’il soit, je souhaite ardemment que tu ne portes jamais ce nom et qu’il te suffise d’être nommé Aymery, prénom que je trouve aimable et avenant, bon pour un temps de paix.

Tu te demanderas sans doute en lisant cette lettre pourquoi j’ai tant guerroyé puisque je prétends ne pas aimer la guerre. C’est très simple, mon fils. La guerre est la pire invention humaine. Souvent, on s’y laisse prendre parce que votre entourage vous y pousse. On prétend qu’il n’y a pas d’autre issue, que cette guerre est juste et qu’il faut la conduire jusqu’à la victoire. Mais une fois qu’on arrive sur le champ de bataille, on est écœuré par l’odeur du sang et la vue des cadavres. Néanmoins on n’a pas le temps de philosopher. Devant soi, il y a des êtres venimeux qui ne pensent qu’à vous abattre. On est donc obligé d’agir de la même façon si on veut rester en vie. Bien sûr, il y a tout un décorum propice à vous donner du courage, des oriflammes brodées par les dames, une belle armure, des armes affûtées et les fameux vivats exprimés pour donner courage aux princes. Me concernant, c’était « Flamboyant le Magnifique » et tous ces cris poussés avec ferveur donnaient des ailes. Ensuite, lorsqu’on revenait à la nuit tombée sur le champ de bataille, on entendait le murmure des mourants et l’on voyait, à la lueur du soleil couchant, un amoncellement de cadavres, hommes et chevaux réunis dans la mort et je peux t’assurer que le souvenir glorieux d’un nom prononcé avec ferveur pour conduire à la victoire se désagrégeait pour flotter sur la terre comme un chant de malheur.

La guerre n’est jamais juste, mon cher enfant, puisqu’elle conduit irrémédiablement des êtres à mourir avant leur heure. Néanmoins que faire lorsque des êtres féroces décident de tuer des innocents pour le plaisir ou pour s’emparer de leurs richesses ? Je te laisse ce paradoxe pour la méditation.

Comme j’aimerais rester à tes côtés pour débattre de tous les mystères du monde. Mais le temps m’est compté. La reine m’a fait parvenir un destrier, preuve que je dois rejoindre son royaume pour en finir avec le tyran qui, m’a-t-on dit, fait tuer çà et là de pauvres familles travaillant dans les forêts et dans les champs.

Je dois partir, laissant derrière moi les amours de ma vie.

Adieu, cher enfant, je t’emporte dans mon cœur !

            Ton père Flamboyant, dit le Magnifique.



 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire