dimanche 30 octobre 2022

La princesse Etoile

 

C’est en voyant un chardonneret s’ébrouer dans un jacuzzi improvisé dans le rideau de bambous que Clémentine prit la décision de partir au-delà de la colline pour découvrir le monde. Elle revêtit une cape, chaussa des bottillons solides, prit sa canne et ferma la porte. En  route pour l’aventure ! Elle marcha jusqu’à ce que son corps se brise. Elle chercha en vain un abri pour la nuit. Comme Jean Valjean se dit-elle ! Mais y aura-t-il, pour moi, un évêque compatissant ? Toutes les églises sont fermées à présent, de crainte que des voleurs n’emportent les reliques et les présents des pèlerins.

Le porche du village où elle s’était arrêtée était curieusement accessible et elle entra dans la nef, sous la voûte dupliquée des cieux. Elle était en forme de carène et c’est sur ce voilier improvisé que Clémentine s’envola. Des oies formèrent le triangle pour l’accompagner et c’est ainsi escortée que Clémentine vogua à l’aventure, s’en remettant au destin.

Après des jours et des jours de voyage, elle découvrit au loin un immense scintillement. C’était un champ d’étoiles, un second Compostelle pensa-t-elle mais il n’y avait au milieu du champ qu’un gigantesque amandier. Elle ordonna à son équipage d’y faire halte. Bercée par le bruissement des feuilles, elle s’endormit. Au lever du jour, elle fut éveillée par des vagissements. Enveloppée dans des langes de laine et reposant dans un berceau d’osier, une ravissante petite fille criait sa détresse. Clémentine récolta des amandes, les concassa et se mit en devoir de les pilonner afin d’en récolter un liquide énergétique. Elle plaça le brouet obtenu dans un mouchoir de soie et concocta un simulacre de tétine que l’enfant suça avec appétit. Bientôt repue, elle s’endormit, laissant Clémentine dans l’expectative. Au terme de sa réflexion, sa décision était prise, elle élèverait l’enfant. Elle commença par lui donner un prénom, Capucine, puis elle observa le champ avec intérêt. Les étoiles aperçues la veille s’étaient  transformées en fleurs figées dans des matières précieuses, argent, or et pierres fines. Elle en ramassa à pleines poignées, se réjouissant de pouvoir mener son entreprise à bon terme. Les pieds de l’enfant étaient si petits, lui rappelant ceux de Cendrillon, qu’elle ne douta pas de devoir se rendre en Chine, pays originaire du conte. Pour ce faire, il lui fallait de l’argent et le champ lui en avait rapporté plus qu’elle ne l’aurait souhaité dans ses rêves les plus audacieux. Shanghaï, le nom de sa destination, lui vint aussitôt. C’était la ville à la mode. On y trouvait des restaurants gourmands à la française ; des tournois renommés, dont un consacré au tennis, attiraient les foules occidentales avides de plaisir et d’exotisme. Ce n’est pas pour ces raisons futiles que Clémentine choisit la ville. Elle pensa que l’éducation de Capucine serait simplifiée dans une ville cosmopolite et que, de cette manière, elle choisirait un métier qui la mettrait à l’abri des indiscrets et des êtres malfaisants. Elle indiqua le nom de la ville où elle souhaitait se rendre à son équipage mais les oies crièrent dans leur jargon qu’il leur était impossible d’aller si loin. Elles la déposèrent avec l’enfant dans une ville portuaire où elle pourrait embarquer. Après avoir remercié ses compagnes de voyage en les régalant de figues, Clémentine changea quelques fleurs en billets, fit des emplettes pour l’enfant sans omettre de choisir pour elle une tenue de voyage qui lui donnerait une allure respectable, resta le temps nécessaire pour obtenir papiers d’identité et visas. Il lui fut facile de prouver que Capucine était sa fille tant leur ressemblance était frappante. Elle invoqua le brigandage pour justifier la perte de ses papiers, ce qui, en ces temps troublés, parut plausible. Enfin elle put embarquer sur le Lotus Bleu. Craignant à la fois la mer démontée et les hypothétiques voleurs, elle préféra rester dans la cabine durant tout le trajet, faisant de courtes promenades quotidiennes avec l’enfant sur le pont pour la vivifier. Capucine aimait beaucoup observer les étoiles. Tu en es une, ma princesse, lui chuchotait sa mère de fortune, puis elles rentraient au chaud, dans la cabine qui leur servait de refuge. Clémentine lisait et dessinait. Sur un cahier relié, elle créa, sous forme de dessins, l’histoire de sa rencontre avec l’enfant, depuis le bain de l’oiseau jusqu’à leur embarquement. Elle se promit de donner une suite au jour le jour pour que Capucine connaisse plus tard le secret de leur rencontre. Le clapotis des vagues la tonifiait et elle souriait à chaque apparition des serveurs venus leur apporter les plats proposés par les cuisiniers du bateau.

Clémentine se régalait de gâteaux de riz, de fruits et de pâtés de crabes. Lorsque la ville de Shanghaï apparut au petit matin, la voyageuse éprouva un choc émotionnel si fort qu’elle craignit l’évanouissement décrit par Stendhal.

C’était une ville pleine de surprises, très colorée, parfumée où chacun se sentait très curieusement à sa place. Clémentine trouva très rapidement un studio modeste où elle s’installa avec sa précieuse petite fille, le cadeau des étoiles. Les années passèrent ensuite à une rapidité vertigineuse.

Capucine grandissait et évoluait comme une jolie plante. Dotée d’une nounou chinoise, elle parlait sa langue avec beaucoup de facilité. Elle suivait les cours de son école en anglais et s’exprimait en français avec sa chère maman. Pour ne pas décevoir sa fille en menant une vie oisive, Clémentine s’était efforcée de trouver une activité. Elle avait approfondi l’art du dessin en s’inscrivant dans un atelier artistique et s’était rapidement investie dans la création d’un ouvrage personnel où apparaissaient les éléments de sa vie première avec la force d’un authentique folklore. Elle peignait inlassablement sa maison landaise nichée dans les pins et inventait des histoires dont les personnages principaux étaient des oiseaux. Un jour, un oiseau merveilleux naquit de son pinceau avec une telle dynamique qu’il en troua la page d’origine et vola dans le salon pour, finalement, se percher sur un bonzaï.

Crèvecœur, tel fut son nom désormais, devint le bon génie du foyer. Capucine qui chantait fort bien, se lançait dans des airs d’opéra avec son accompagnement miraculeux. Clémentine fit venir un professeur de musique et de chant qui conduisit si bien son élève qu’elle put se présenter au concours d’entrée de l’opéra. Ce n’était pas le seul talent de la jeune fille. Grâce à la bourse rebondie de sa mère, elle avait appris à coudre et à dessiner. L’art de la broderie n’avait plus de secrets pour elle et c’est fort joliment qu’elle portait les tailleurs entièrement faits de sa main. Dans le quartier, elle était admirée et plusieurs marieuses avaient offert des cadeaux d’introduction à Clémentine. Mère modèle, elle avait accepté ces cadeaux pour ne pas offenser ces dames qui seraient devenues hostiles et dangereuses mais elle avait courtoisement averti chacune d’elles que sa fille manquait encore de maturité et elle avait assorti chaque refus d’une étoile précieuse. Cette coutume avait valu à Capucine le surnom de Princesse Étoile.

Lorsqu’elle eut dix huit ans, le jour anniversaire étant celui de la découverte au pied de l’amandier, Clémentine la dota d’un magnifique collier fait de pierres serties empruntées au trésor et un bracelet de même facture. Mais ce qui marqua le plus la jeune fille fut l’accès au carnet de dessins racontant ses origines. Elle interrogeait inlassablement sa mère pour se faire préciser chaque détail. Sa présence mystérieuse dans le champ des étoiles était certes fabuleuse mais elle aurait aimé connaître le visage de ses parents et la raison profonde de son abandon en un lieu si extraordinaire.

Elle posa tant de questions que Clémentine prit la décision de retrouver les lieux et de se livrer à une enquête. De plus, elle ne voulait pas avouer à son adorable fille que sa maison et sa contrée lui manquaient un peu et qu’elle souhaitait les revoir une dernière fois. En outre, il était nécessaire de mettre de l’ordre dans ses affaires. Les étoiles ne seraient pas inépuisables. Il serait donc judicieux de rencontrer un notaire et de léguer ses biens à l‘enfant de son cœur.

Avant de quitter Shanghaï, elle fit ses adieux à son unique ami. C’était l’architecte qui avait conçu et réalisé un pont courbé à l’ancienne, en se basant sur les croquis d’un peintre de la période impériale. Le hasard avait conduit ses pas jusqu’à ce lieu où un être passionné livrait une bataille héroïque sur le temps et les vicissitudes humaines.

Pleine d’émotion face à ce courage peu commun, elle avait accepté la proposition amicale de Cheng. Buvant du thé et grignotant des gâteaux sucrés à ses côtés lorsqu’il prenait une pause, elle aimait jusqu’à son silence. Les oiseaux s’arrêtaient pour picorer les miettes et les deux amis rêvaient en leur compagnie. Le jour des adieux fut lumineux. Clémentine avait demandé à son joaillier de sertir une étoile diamant dans une chevalière en or et d’y graver deux oiseaux, turquoise et rubis.

Cheng lui offrit en retour la réplique miniature du pont de bois à présent achevé. En son centre, il avait ajouté une horloge en forme de cœur. Les deux amis se séparèrent avec beaucoup d’émotion. Au cas où Clémentine ne pourrait pas revenir dans un délai de trois mois, Cheng était chargé de veiller sur la jeune fille.

Clémentine prépara son voyage avec soin. Cette fois, elle prendrait l’avion. Elle attendait la réponse de l’opéra pour retenir une date. Lorsqu’il fut établi que Capucine intègrerait l’école de chant en qualité d’interne, Clémentine se sentit heureuse et soulagée. Elle pouvait partir sans se faire trop de souci. La chère enfant serait à l’abri dans cette école où elle apprendrait le métier de diva. La veille du départ, elles se rendirent dans un restaurant réputé. On y servait des mets raffinés issus de la Chine Impériale. Cheng était leur invité. Grâce à sa présence, elles purent manger  avec quelque plaisir. La soirée fut belle. Cheng leur conta des légendes. Capucine imaginait les héros cachés derrière les monticules de riz et souriait en les traquant de ses baguettes prestes.

Les amis se séparèrent, les larmes aux yeux. Cheng prendrait soin de la jeune fille lors des week-ends et des vacances.

« Je ne pars pas définitivement, affirma Clémentine. Je serai vite de retour. »

Ces paroles les hantèrent, six mois plus tard. Aucune nouvelle ne leur était parvenue. L’avion avait cependant atterri sans problème.

Que s’était-il donc passé ? Une fois parvenue dans sa maison natale, Clémentine s’était empressée de la remettre en état, dépoussiérant et nettoyant à longueur de journée. Elle fit venir un paysagiste pour restaurer le jardin et commanda quelques travaux qui s’imposaient. Lorsque la maison eut retrouvé son lustre d’antan, elle prépara ses documents afin de léguer ses biens à sa fille bien aimée. Une nuit, elle éprouva un étrange malaise. Au petit matin, elle s’éveilla, sans aucun souvenir. Tout un pan de sa vie avait disparu. Cheng, Capucine et Shanghaï avaient sombré dans un néant sans étoile.

Dès lors, Clémentine vécut en autarcie dans sa maison qui lui apparaissait comme un rempart contre le monde. Elle fit venir des éventails et des rouleaux de soie. Elle peignit inlassablement  le pont de bois de son ami Cheng sans le reconnaître. En son milieu se tenait une jeune fille qui avait l’apparence de Capucine. Elle regardait un oiseau qui n’était autre que Crèvecœur.

Incapable de renouer avec son passé, Clémentine en avait gardé des images et les reproduisait à l’infini. Une fois décorés, les éventails déployaient leurs dessins exotiques dans des magasins renommés. Clémentine livrait également des poupées qu’elle créait à l’image de Capucine.

C’est grâce à ces travaux que Capucine retrouva la trace de sa mère. Imaginez son émotion lorsqu’elle découvrit, dans une boutique, une poupée et un éventail qui portaient la signature de la fugitive. L’origine de ces témoins l’aida à établir un parcours qui devait la conduire à celle qu’elle aimait avec ferveur. Cheng fut mis dans la confidence. Il était heureux de constater, avec la présence du pont de bois, que son amie ne l’avait pas oublié.

Profitant d’une période de vacances, Capucine s’envola pour la France et s’établit dans les Landes, la région d’où provenaient les deux articles. Elle s’arrêta dans un ancien relais de poste transformé en hôtellerie de charme. Elle y prit pension, décidée à s’informer de la richesse touristique des alentours qui l’aiderait sans doute à localiser la maison de Clémentine. Faute d’adresse, elle se référait aux dessins qu’elle avait réalisés avec tant de passion. La jeune fille ne manqua pas de tenir Cheng informé de ses démarches.

En outre, le brave homme avait accepté de garder Crèvecœur, ce dont la jeune fille lui était très reconnaissante.

Lors d’une promenade découverte faite en voiture qu’elle avait louée avec chauffeur, elle aperçut une maison nichée au cœur de magnolias et de cèdres, une maison identique à celle que peignait sa mère. Elle pénétra dans la cour, au comble de l’émotion. Hélas ! un panneau indiquait que la demeure était à vendre. En se promenant dans le jardin, elle ne douta pas d’être à la bonne adresse. Elle reconnut sans peine le bosquet de bambous tant de fois dessiné par sa mère. Un orage récent avait creusé le petit bassin en forme de jacuzzi où le chardonneret avait fait ses ablutions, à l’origine du voyage entrepris par la chère Clémentine. De plus, une profusion de capucines serpentait dans le jardin d’agrément planté de rosiers et de pivoines en buissons, les fleurs préférées de la disparue. Ce mot, disparue, sonna comme un glas. La jeune fille se reprit. Il ne fallait plus employer ce mot mais chercher, par tous les moyens, à retrouver la chère âme. Elle rentra au relais où elle goûta un repas tout à fait salutaire. Elle avait besoin de mettre de l’ordre dans ses idées vagabondes et ce lieu était idéal pour se régénérer et trouver un équilibre. Chacun s’ingéniait, dans cette belle maison, à créer une atmosphère de paix et de bonheur. Capucine fut plus que jamais à l’écoute de toutes les ondes que distillait ce relais plus que centenaire.

Elle se promena dans le parc, appréciant la profusion des arbres fruitiers et le clos où s’ébattaient poules et coqs. Les oiseaux gazouillaient dans les feuilles. Crèvecœur se serait plu ici ! Elle l’imagina contant fleurette à quelques mésanges et cette vision fit naître un sourire sur ses lèvres. Se croyant à l’abri des regards indiscrets, elle chanta.

Les oiseaux l’accompagnèrent avec talent et, pour la première fois depuis le départ de Clémentine, elle versa des larmes de joie. Elle la retrouverait, il le fallait ! Leur histoire ne pouvait pas se terminer ainsi sur une énigme inachevée. A table, en souvenir de la soirée qu’ils avaient passée avant le départ de Clémentine, elle choisit un menu délicat. De « petites écrevisses du pays flambées à l’armagnac » furent une entrée de choix. Un « ragoût de homard aux châtaignes cassées » lui donna beaucoup d’émotion. Le dessert lui apporta une note originale. Il s’agissait d’un « gâteau Russe à la pistache à la façon de Dax. »  « Cette spécialité a été qualifiée de russe car au début du XXe siècle, les pistaches étaient importées de Russie » lut-elle sur la carte, ce qui l’incita à choisir ce dessert. Comme elle, il venait d’ailleurs. Ce choix s’avéra du reste excellent car cette délicate pâtisserie était absolument délicieuse et pouvait rivaliser, selon elle, avec son dessert préféré qui était le riz à l’impératrice. S’agissant de l’Impératrice Tseu-hi, il n’était pas étonnant qu’un plat évoquant sa personne fût parfait.

Dorénavant, pensa Capucine, je pourrai associer Tseu-hi et la Russie, son ennemie. La cuisine a cette force d’unir les gourmets sans arrière pensée. On devrait écouter son palais et ses sens au lieu d’échafauder des mécanismes compliqués conduisant à la guerre.

Elle revint enfin sur terre, après avoir vogué sur les effluves de la gourmandise. La maîtresse de maison lui souhaita le Bonsoir avec beaucoup de sympathie et s’enhardit à la féliciter pour la qualité de sa voix. Capucine rougit face à ce compliment et la remercia pour l’offre qui lui était faite, à savoir l’utilisation d’un piano.

Avant de s’endormir, elle se laissa envahir par une douce sensation de bien être et pensa fortement à sa famille, composée de Clémentine et de Cheng. De plus, l’école lui manquait infiniment. Elle décida de prendre le lendemain une option qui la conduirait à un dénouement.

Après un petit déjeuner qu’elle souhaita léger, elle feuilleta des revues locales et c’est ainsi que germa l’idée qui devait la conduire au terme de son voyage.

Le relais était une étape du fameux pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle.

Elle lut avec attention tout ce qui le concernait et découvrit, non sans intérêt, que Compostelle signifiait le champ des étoiles. Exactement comme le berceau de ses origines ! Elle ne douta plus de la mission qui s’offrait à elle, réclama sa note, fit ses bagages et prit la route après s’être débarrassée de sa malle dans une chambre d’hôtes qu’elle loua pour la durée d’un mois. Prudente, elle confiait à la poste une lettre dans laquelle elle relatait ses découvertes et donnait son dernier point de chute au fidèle Cheng.

Au hasard des rencontres, elle prit la mesure de la ferveur et de l’attente mystique qui guidaient les pèlerins. Ils appartenaient généralement à la bourgeoisie aisée et se donnaient ainsi une occasion d’affronter ce qu’ils croyaient être le monde et qui n’était en réalité que la projection de leurs rêves. Capucine se faisait aussi petite que possible lors des haltes. Des maisons d’hôtes spécialisées s’offraient aux voyageurs fatigués.

Après un repas le plus souvent excellent, les voyageurs redevenaient des êtres sociaux et devisaient aimablement, renouant avec les coutumes ancestrales qui impliquaient des récits vécus.

Chacun rivalisait dans l’art oratoire, Capucine se contentant d’écouter toutes ces histoires, bien souvent des morceaux de bravoure pillés dans les livres. Indulgente, elle souriait et applaudissait, refusant de prendre son tour.

Un soir, poussée à bout par ses compagnons, elle leur offrit un récital de sa voix d’or. Médusés par le génie de la soprano, les voyageurs se montrèrent déférents, ce qui gêna considérablement la jeune fille dont la modestie était sans égale. Le jour suivant, elle préféra leur fausser compagnie, prétextant une fatigue subite qui nécessitait l’interruption de son voyage. Enfin seule, elle chemina à son rythme, un peu inquiète car elle connaissait mal l’itinéraire mais déterminée à poursuivre sa quête en solitaire. Elle planta sa tente au bord d’un plateau et s’endormit, bercée par le chant de la nuit. Durant plusieurs jours, elle progressa ainsi, achetant dans les villages la nourriture qui lui était nécessaire. A l’approche de la grande ville, elle sentit son cœur battre à tout rompre. Au moment où il lui apparaissait impossible de ne pas se joindre à ses anciens compagnons car ils étaient dans sa ligne de mire, un oiseau, le frère jumeau de Crèvecœur pensa-t-elle, apparut dans le ciel et prit une direction qu’elle se résolut à suivre.

Guidée par l’oiseau, elle découvrit enfin, avec émerveillement, ce qui était l’objet réel de sa quête, c’est-à-dire le lieu géographique de ses origines. Elle le devina, au scintillement prodigieux du champ d’étoiles, elle avait atteint le véritable Compostelle, celui qui échappait aux pèlerins aveuglés par la tradition et une dose de snobisme. Un pont de bois, réplique de l’œuvre de Cheng, l’empêcha de se brûler les pieds sur les pierres incandescentes. Au milieu du champ, l’amandier en fleurs embaumait la plaine. Le pont s’étirait en fonction de sa progression vers l’arbre magique dont elle avait tant rêvé.

Parvenue au but, elle effleura doucement le visage de Clémentine, allongée sur la mousse. Son décès était récent. Ses doigts tenaient encore le portrait de sa fille bien aimée inséré dans un médaillon qui ne la quittait jamais. Le message était clair. Il ne servait à rien de se livrer à des enquêtes conduisant aux secrets de sa naissance. Clémentine l’avait aimée et lui avait servi de mère, pardon, elle était sa mère, lui souffla une petite voix intérieure qui était celle de sa conscience.

Les fleurs de l’amandier furent entraînées dans un tourbillon et jonchèrent le sol, recouvrant le corps fragile de Clémentine, parvenue au terme de son voyage. L’oiseau chanta, occasionnant un prodige.

Capucine se retrouva couchée sur le lit douillet de la chambre d’hôtes qu’elle avait louée avant son départ pour Compostelle. Désormais sereine, elle fit ses préparatifs et regagna Shanghaï avec joie. C’est là qu’était sa vie dorénavant. Cheng l’accueillit à bras ouverts, préférant taire les questions qui l’obsédaient. Elle lui conta ses aventures au fil de leurs rencontres qui s’égrenaient avec les rares jours de congé que l’école de chant lui laissait. Elle intrigua beaucoup Cheng avec le fameux gâteau russe mais ils se consolèrent en dégustant le riz à l’impératrice. « Un jour, nous irons tous les deux dans ce relais magique, » dit Capucine en souriant. Afin de ne pas perdre le contact avec le champ sacré, elle prit pour nom de scène celui de Princesse Etoile et parcourut le monde en chantant.

 

 

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