dimanche 21 avril 2024

Le Prince au torque d'or

 

 


En ces temps-là, les rivières allaient par trois. Les flots tumultueux roulaient galets et pépites d'or avec une totale indifférence. Les rives mouvantes peuplées d'oiseaux et de petit gibier faisaient parfois l'objet de chasses fructueuses; les demeures retentissaient alors de rires et de chants puis chacun sombrait à nouveau dans une semi léthargie, les femmes cousant à la lueur du jour, les hommes peaufinant leurs armes. Les carquois devaient toujours être impeccables prêts à l'emploi car la ruse et la rapidité des proies étaient inégalées.

Un prince venu du Nord chevauchait avec une redoutable efficacité. Sa cuirasse dissimulait le torque d'or qui ornait son cou. Sa hache de guerre, affutée, épousait la courbe de son épaule. Il ne s'en séparait jamais, même pendant son sommeil. La nuit venue, il bivouaquait, mangeant dans de la vaisselle d'étain ce que lui réservait la chasse du soir. Quelques fruits secs complétaient les repas nécessaires à sa vitalité car cette chevauchée mettait à mal son énergie. Les premiers soins étaient destinés à son cheval, Phébus ! Avec la régularité d'un métronome, il engrangeait d'énormes distances, monts et vallées, neige et tornades.

Chaque soir, le prince bouchonnait sa fidèle monture puis, couché sur son flanc, il pensait à son aventure. La prêtresse du soleil avait prédit qu'il épouserait une jeune fille d'une rare beauté d'origine méridionale. Pour être certain de ne pas se tromper, le prince Gwendal devrait chevaucher vers le sud jusqu'à ce que le destin lui envoie un signe net.

Par ailleurs, il ne devrait jamais se séparer de son torque d'or, marque princière, faute de quoi il ne reviendrait plus dans son royaume.

Après mille et un jours de cette folle chevauchée, il arriva dans une contrée délimitée par trois belles rivières. C'était le printemps. De petits oiseaux s'affairaient, pressés de tresser leurs nids. L'un d'eux, semblable à une lyre, portait une aigrette en diamants. Il allait d'arbre en arbre. Brusquement, il se posa sur l'épaule du prince, à l'opposé de la hache. Etait-ce le signe annonciateur de la fin du voyage ? Gwendal mit pied à terre. L'herbe ruisselait de rosée. Çà et là, des fleurs embaumaient, procurant au promeneur des joies bucoliques. De grands arbres aux feuilles d'un vert étincelant arboraient d'énormes fleurs ivoire ou roses au parfum délicat. Jamais Gwendal n'avait été à pareille fête. Phébus lui-même hésitait à brouter une herbe si belle qu'elle en devenait irréelle. Des voix cristallines lui parvinrent. Guidé par ce chant semblable à des trilles d'oiseaux inconnus, l'oiseau lyre restant étrangement silencieux sur son épaule, le prince découvrit bientôt un charmant spectacle : des jeunes filles agenouillées dans l'herbe, munies d'un battoir, lavaient le linge à la source en s'interpellant gaiement. Le prince fasciné, ne pouvait les quitter des yeux : leur peau dorée, leurs dents, d'un blanc éclatant et leurs cheveux de jais lui offraient un autre aperçu de la beauté féminine. Il ne connaissait que des jeunes filles blondes, à la peau diaphane, au langage réservé. Les rires des jeunes beautés du sud et leurs roucoulades, la liberté gestuelle dont elles usaient éveillèrent en lui une foule de désirs qu'il refreina immédiatement car son père lui avait donné une solide éducation fondée sur le respect d'autrui. A la vue du prince, les jeunes filles se turent, intimidées par sa beauté. Le prince aurait souhaité s'attarder auprès de ce charmant groupe mais l'oiseau lyre quitta brusquement son épaule et s'envola vers l'horizon. Déterminé à ne pas perdre  ce témoin du destin, Gwendal enfourcha Phébus et, au grand dam des lavandières, galopa à sa poursuite. L'aigrette en diamants étincelait, faisant de l'oiseau une flèche de lumière. Le prince chevaucha longuement. A la tombée du soir, l'oiseau se percha sur un arbre au pied duquel Gwendal improvisa immédiatement un bivouac. La nuit se déroula sans incident. Le lendemain, l'oiseau prit son envol, suivi aussitôt par le prince qui était resté aux aguets durant son sommeil à la manière d'un félin. Phébus galopait allègrement. C'était une sorte de cheval- fée; Les difficultés n'émoussaient pas ses capacités. Il était bien le digne compagnon d'un prince aux vertus inégalées. L'oiseau lyre, de son côté, ne donnait aucun signe de fatigue et volait à tire d'aile. Dans le ciel parfaitement bleu, son aigrette constituait un point lumineux que le prince ne perdait pas de vue. Il aurait voulu savourer la beauté du paysage, une myriade de fleurs dans l'herbe si verte qu'elle en paraissait virtuelle, des ruisselets chantant sur des galets auxquels s'ajoutaient de belles pépites mais il ne pouvait risquer qu'un œil furtif. Faute de mieux, il se laissait griser par les parfums exhalés par toutes les fleurs de la prairie.

 Le troisième jour de cette course poursuite, l'oiseau lyre se percha enfin sur un saule. Le prince, épuisé, détela Phébus et s'endormit au pied de l'arbre. A son réveil, le soleil brillait à nouveau. L'oiseau reprit sa place sur son épaule. Après de brèves ablutions au bord d'un ruisseau, le prince foula l'herbe de la prairie, Phébus à ses côtés. Ils avancèrent ainsi en silence puis ils furent escortés par de magnifiques oiseaux aux ailes bleutées. L'étrange cortège découvrit alors un immense palais blanc au dôme jaune d'or. Gwendal sonna de la corne, le cœur battant. Etait-ce  la demeure de sa princesse ? L'énorme porte de chêne s'ouvrit toute grande. L'oiseau lyre quitta l'épaule du prince, s'envola, suivi de près par les oiseaux bleus. Le ciel se couvrit d'ailes, formant un tapis volant du plus bel effet

. Le prince franchit le seuil et se trouva dans une grande salle dont la surface s'ornait de colonnes en marbre rose. Phébus s'ébrouait dans l'herbe en hennissant de plaisir, annonçant ainsi à son maître qu'il prenait un peu de bon temps mais se tenait à sa disposition si besoin était. Gwendal avança, foulant un sol pavé d'or fin. Tout en marchant, il rêvait de la princesse merveilleuse qu'il était venu chercher. C'est pourquoi il fut surpris en découvrant au fond de la salle royale un dragon endormi. Retrouvant ses réflexes de guerrier, Gwendal fit glisser doucement sa hache tout en observant les lieux avec précision. Le dragon reposait sur un énorme coussin, et obstruait totalement une ouverture qui conduisait peut-être à l'ineffable princesse. Cette vision féerique l'incita à combattre. Au moment précis où il lançait sa hache, visant la tête, le dragon cracha du feu qu'il esquiva d'un saut acrobatique. Par contre, la hache entailla les écailles du dragon qui hurla de douleur et riposta par un nouveau jet incandescent. Exécutant quelques salto avec une rapidité prodigieuse, le prince évita les brûlures et récupéra sa hache qu'il brandit avec force, décapitant le monstre dont les yeux verts se voilèrent puis moururent. Il déplaça alors le corps de l'ennemi vaincu, s'empara d'un rubis incrusté dans l'épine dorsale du monstre et ouvrit la porte.

Un flamboiement le saisit aussitôt. Des divans profonds couleur de feu couvraient un péristyle aux colonnes turquoise. Des teintures chamarrées partaient en volutes du centre de la pièce à partir d'un dais pourpre. Un ruissellement de jets d'eau chantait au milieu d'une vasque. Subjugué par le murmure de l'eau, Gwendal s'approcha de cette œuvre d'art, se courbant pour ne pas être prisonnier de cette mouvance soyeuse. Brusquement il se sentit captivé par un regard. Sur la face sud de la vasque, une sirène aux yeux d'émeraude, nonchalamment allongée, sa queue de poisson ornée de diamants, l'observait avec un sourire enchanteur. Sur ses gardes, Gwendal palpa dans son escarcelle l'anneau d'ambre porte-bonheur qu'il destinait à sa princesse mais cela ne lui fut d'aucun secours. La sirène se mit à chanter, enserrant le pauvre prince dans une nasse invisible. Ses muscles ne lui répondirent plus et il s'effondra sur le sol, la main crispée sur la hache qu'il n'avait pu lancer à temps. Ses rêves furent habités d'éclairs et de lances et lorsqu'il se réveilla, il gisait auprès de Phébus qui le réconfortait d'une langue miséricordieuse. Le palais avait disparu. Il ne lui restait de l'aventure que le rubis du dragon. L'anneau d'ambre lui avait sans doute sauvé la vie. Les muscles endoloris, il se mit debout et chercha un point d'eau pour se rafraîchir. La présence de Phébus le réconfortait grandement. Ils trouvèrent enfin un joli ruisseau. Gwendal ôta ses vêtements et se laissa inonder par cette eau vive. Phébus se déliait les jambes, poussant des hennissements de plaisir. Leur joie fut totale lorsqu'au détour d'un nuage, l'oiseau lyre piqua des deux et fondit sur le prince, retrouvant sa place initiale avec beaucoup de naturel. Notre trio s'engagea alors plus avant vers le sud, plus loin, toujours plus loin, avec le désir secret de trouver l'ineffable princesse.

Le prince était si heureux que tout semblait lui sourire. Tout en se laissant aller à de voluptueuses pensées, il porta la main à son torque pour constater avec effroi qu'il avait disparu. Il ne l'avait pas perdu dans la rivière, il en était certain. Mal remis de son aventure, il ne s'était sans doute pas rendu compte du désastre en se déshabillant. Seule, la sirène avait pu le lui substituer durant son sommeil. Sa disparition et celle du palais prenaient un sens. Le maléfice s'était accompli. Il pensa qu'il serait inutile de revenir sur ses pas. Un enchantement ne pouvait se rompre de manière humaine. Plus déterminé que jamais à aller vers le sud, il puisa des forces nouvelles dans son désespoir et transmit cette énergie à Phébus qui allongea le pas. L'oiseau lyre caressait son épaule de ses plumes légères, voletant vers le ciel où des nuées d'oiseaux lui faisaient un cortège. Ils parvinrent enfin au bord de la mer. Les vagues venaient mourir sur une plage de sable fin. L'oiseau lyre s'envola résolument, montrant ainsi au prince que le voyage ne s'arrêtait pas sur la grève. Gwendal longea la plage, cherchant une issue. Elle lui apparut sous la forme d'un voilier. Un marin l'attendait visiblement car il sourit et se précipita à sa rencontre. Le prince était indécis : abandonner Phébus lui semblait criminel. C'est alors qu'une jeune femme quitta sa hutte de roseaux et lui fit comprendre par signes qu'elle prendrait soin du cheval. Gwendal embrassa les naseaux de son compagnon et sauta légèrement dans le frêle esquif qui prit rapidement de la vitesse. Ce n'était pas un voilier ordinaire. Sa voile carrée luisait au soleil et ruisselait d'or brun. Le tisserand avait trempé la toile de lin dans un liquide moucheté d'or avant de la confier à une carène de bois précieux. Gwendal se laissait aller au gré de la nacelle, rêvant aux contes de son enfance. Le retour de l'oiseau lyre sur son épaule le ramena à la réalité. Une île se dessina à l'horizon. Aux dires du marin, elle se nommait Bellerive et servait souvent de havre de repos pour les pêcheurs harassés qui revenaient d'Orient, chargés de poissons fabuleux. Un château aux lignes pures et à encorbellement sculpté de fleurs de lys s'offrit bientôt à leur vue. Le marin indiqua par signes qu'il resterait sur le rivage. Par ailleurs, il invitait le prince à se restaurer dans ce lieu magique. Préoccupé par la perte de son torque d'or, le prince décida de se méfier.

Il fit le tour du château, la main gauche prête à  asséner un coup mortel de sa hache car il était ambidextre. Il ne voulait pas déranger l'oiseau lyre toujours posé sur son épaule droite. Cependant son porte bonheur s'envola brusquement aux abords du château et partit sans un cri. Déconcerté, le prince hésita à franchir une porte secondaire. Un ennemi le guettait peut-être derrière la porte principale. Le prendre à revers serait de bon augure. Il entra donc pour découvrir une réplique du patio qui lui avait été funeste. Cette fois il n'y avait pas la moindre trace de sirène. Il s'assit sur une chaise haute sculptée de dragons et prit un verre en cristal de bohème disposé sur une table de marbre. Une carafe pleine d'un liquide odorant, de couleur pourpre, tentait le visiteur assoiffé. Il se servit et goûta prudemment le breuvage qui s'avéra être absolument délicieux.

Un jeune homme vêtu sobrement, aux yeux bleus et au teint clair, s'inclina devant lui. Il portait un plateau où reposait une assiette dont le contenu était dissimulé par une cloche argentée. Il disposa méticuleusement l'assiette sur la table et ajouta des couverts, puis il souleva la cloche, libérant un bouquet de parfums exquis. Le jeune homme prononça ces mots mystérieux : Couscous d'agneau aux légumes et quitta la pièce avec infiniment de tact. Gwendal goûta ce plat inconnu et le trouva succulent. Le jeune serveur revint pour servir le breuvage qu'il qualifia de vin. Il le versait dans le verre avec une telle ferveur que Gwendal en déduisit qu'il s'agissait d'une boisson précieuse et qu'il fallait en user modérément. Le jeune homme portait un prénom porteur d'espoir, Bonaventure. Il desservit et revint avec une crème légère où flottait un iceberg de pralines et de roses. Il accompagna ce délice d'un vin pétillant qui s'harmonisait avec ce dessert de rêve. Bonaventure allait et venait avec la souplesse d'un chat. Le dernier service consista en un thé à la menthe chaleureuse qui facilita la digestion de notre prince peu habitué à de tels festins. Il ressentait une impression de bien être tout à fait nouvelle. La perte de son torque d'or lui semblait anodine à présent. C'est à peine s'il fut surpris de voir Bonaventure revenir avec un plateau où brillait le collier princier. Le jeune homme s'inclina avec grâce, posa le plateau et se mit en devoir de lui ajuster le précieux bijou. L'opération achevée, il disparut totalement. Intrigué, Gwendal partit à sa recherche.

Le patio regorgeait de trésors; des malles entrouvertes offraient un scintillement fabuleux: colliers de perles, bracelets d'or ciselé, bagues serties de pierreries, probablement le butin de guerre de pirates. Des figures de proue, sirènes, naïades apparaissaient ça et là, confirmant son hypothèse.

Près de la vasque, dans une perspective d'outre-miroir, un chat aux yeux bleus, la réincarnation de Bonaventure ? le fixait avec un calme olympien. Avec un imperceptible sourire, il lui montra de sa patte persane une enveloppe libellée à son nom. Gwendal la décacheta et lut l'énigme :   « Une princesse renaîtra d'un soupir de sirène au cœur de pierre. »

Déconcerté, le prince décida de s'endormir pour réfléchir le lendemain. Un sofa s'offrait précisément à lui. Il s'y allongea et s'endormit aussitôt.

Au réveil, il évita soigneusement les breuvages préparés par Bonaventure et se contenta de mordre dans un pain frais aux raisins.          Il but de l'eau, se rafraîchit auprès de la vasque et résolument tourna les talons.

Il quitta le château sans regrets. Son torque n'avait pas disparu :         il était temps de repartir dans son pays. La recherche de la princesse prenait fin dans ces lointains rivages. Il croyait, d'ailleurs avoir trouvé la solution de l'énigme. C'est pourquoi il embarqua avec soulagement, offrit au marin des pièces d'or du trésor paternel pour paiement de ses services, retrouva Phévus avec infiniment d'émotion et reprit la route, pressé de rentrer chez lui. L'oiseau lyre reprit sa place sur son épaule droite et escorté de sa nuée d'oiseaux bleus, se laissa emporter par la fougue du prince.

Sans un regard sur les fleurs, l'herbe verte et les beautés brunes apparues çà et là, le prince pressa sa monture qui, du reste, s'en donnait à cœur joie. Phébus, comprenant que l'on rentrait à la maison, galopait avec fougue. Le voyage parut au prince infiniment long car il avait hâte de connaître la minute de vérité. Toutes ces aventures lui apparaissaient dénuées de sens. A moins que …!!! Tout à ses pensées, il remarquait à peine que le ciel était moins bleu et qu'il se chargeait de nuages. L'air était plus vif.

L'oiseau lyre changeait souvent de position pour se réchauffer. La nuée d'oiseaux bleus frémissait. Néanmoins, tous se maintenaient courageusement à leur poste. Au terme de cette folle chevauchée, ils arrivèrent enfin dans la plaine immense qui miroitait comme un lac au pied du château paternel.

Le guetteur ressentit une vive émotion en voyant au loin le prince héritier escorté par des oiseaux. Il décocha une flèche à pointe d'or, le signal convenu, dans la cour du château. La reine qui avait connu de bien mauvais moments durant l'absence de son fils, convoqua ses servantes et leur commanda de réparer les outrages du temps et du désespoir. Le roi fit sonner les hérauts et ordonna les apprêts d'un festin royal. Soucieux car il n'avait pas vu la flèche à pointe double prévue pour l'arrivée de la princesse, mais heureux du retour de son fils, il remettait à plus tard les désagréments d'un présage non accompli. L'heure était à la liesse et il fit savoir à tous ses sujets qu'il fallait sortir le chaudron festif et y faire bouillir force viandes. La bière de printemps coulerait à flots, il s'en portait garant.

La herse se leva. Gwendal mit pied à terre, un peu étourdi. Des palefreniers s'empressèrent autour de l'incroyable Phébus, assurément un cheval-fée. L'oiseau lyre demeura immobile sur son épaule ; son aigrette de diamants fascinait les serviteurs qui s'interpellaient loin du prince en clamant qu'il était digne de succéder à son père : au lieu de s'embarrasser d'une femme, il avait ramené des pays lointains un oiseau fabuleux porteur de richesses. Les oiseaux bleus s'étaient posés sur les toits du château formant une couverture bleue qui ondulait sous le vent. Mal remis de son émotion, le guetteur faisait une pause dans les cuisines destinées au service. Il avait l'impression d'avoir été foudroyé en apercevant le prince. On eût dit que la plaine galopait avec lui et que le pas du cheval s'accordait avec les battements d'ailes de milliers d'oiseaux formant le cortège le plus insolite du monde. La  cuisinière lui apporta un bol de bouillon chaud et un plat de viande épicée, ce qui le ramena sur terre.

Ignorant les remous que son retour suscitait, le prince attendait qu'on l'invite à entrer. Il voulait respecter le protocole, conscient par ailleurs de n'avoir pas rempli le contrat. Une vieille femme se précipita dans la cour et l'embrassa fougueusement. Gwendal reconnut sa nourrice avec effroi. Elle était encore d'une grande beauté lors de son départ. La nourrice s'agenouilla et pria son seigneur de la suivre. Un bain parfumé était préparé à son intention. Elle déshabilla elle-même son nourrisson, s'émerveillant de sa beauté et de sa force, le lava avec beaucoup de soin puis le massa en utilisant des huiles essentielles. Le prince aurait souhaité dormir après un tel traitement mais Nounou lui fit savoir qu'un banquet d'honneur l'attendait. Le roi et la reine marquaient ainsi à leur fils le renouvellement de leur affection.

L'oiseau lyre avait dormi d'un œil durant la toilette du prince juché sur un perchoir de fortune. Il retrouva sa place avec beaucoup de naturel, marquant à peine la chemise de lin portée par son compagnon.

Des chevaliers formaient une haie d'honneur à l'entrée de la grande salle où flambait un bon feu.

La reine rompit le protocole et se précipita sur le cœur de son fils ainé. Le prince l'embrassa avec émotion, caressa ses cheveux où couraient des fils d'argent puis lui offrit le rubis saisi sur la dépouille du dragon.

La reine s'en empara avec ravissement et aussitôt retrouva jeunesse et beauté. Le maquillage savant que ses dames d'honneur avaient appliqué sur son visage pour gommer rides et verrues disgracieuses tomba comme un vulgaire plâtre et se volatilisa en poudre d'or. La reine avait retrouvé ses vingt ans.

Réalisant que son fils avait accompli un véritable miracle et que son voyage n'avait pas été vain, le roi vint embrasser son fils, lui serra les mains avec tant de fougue qu'il ressentit un choc émotionnel sans précédent. Il ne retrouva pas sa jeunesse; par contre, il sentit son cœur battre dans sa poitrine comme autrefois. Il couva la reine d'un regard amoureux et invita le prince à prendre place à ses côtés à la table du festin. On servit de copieux plats de viandes rôties ou mijotées. Le pain était en abondance, la bière coulait généreusement. Les dames de la cour buvaient de l'eau tandis que leurs époux, leurs fiancés ou leurs pages faisaient honneur aux hanaps de bière servis par les échansons. Le roi buvait peu, tout à la joie de revoir son fils. De plus, la reine était si belle qu'il avait hâte de se retrouver à ses côtés dans le lit conjugal. Quant au prince, il avait l'esprit ailleurs mais il se gardait bien de le montrer. L'oiseau lyre fascinait les convives. L'aigrette en diamants retenait toute leur attention mais lorsque l'oiseau se mit à chanter, chacun fut émerveillé. C'était la première fois que le prince entendait ce chant c'est pourquoi il crut que le temps était suspendu. Lorsque l'oiseau se tut, certain d'avoir trouvé une réponse à l'énigme, le prince sourit et embrassa délicatement l'oiseau qui, en retour, lui caressa la joue de ses plumes chatoyantes.

Après le dessert qui consistait en de belles galettes dorées au miel, le prince s'inclina devant ses parents puis devant la cour et demanda l'autorisation de se retirer dans ses appartements, ce qui lui fut accordé. Sa chambre de jeune homme n'avait pas changé. Il s'allongea avec délices sur le lit couvert de fourrures et s'endormit promptement, l'oiseau près de son épaule. Le lendemain, il s'éveilla avec le jour, fit quelques ablution, mangea des galettes au miel et but du lait chaud, ordonna que l'on selle Phébus puis laissa un message à ses parents, les informant qu'il reviendrait en compagnie de la princesse et qu'il convenait de lui préparer de magnifiques appartements fleuris et parfumés.

Outre la précieuse hache de guerre, il emporta  sa harpe et partit en compagnie de l'oiseau lyre.

Il alla loin, bien loin et parvint enfin enfin au bord de la mer qui roulait des flots houleux. Il mit pied à terre, laissa carte blanche à Phébus et partit en jouant de la harpe. Le prince avait appris cet art tout enfant et était un virtuose. L'oiseau lyre chanta et ce fut un moment qu'apprécièrent les anges. Ils arrivèrent au pied d'une falaise sculptée par les vagues déferlantes. On y distinguait nettement une sirène. Elle se détachait sur un glacis de roses. De sa voix chaude, le prince entonna un chant d'amour qu'il avait composé sur la route du sud. Le miracle espéré se produisit: le rocher de la sirène éclata, l'oiseau lyre fut pris dans une tourmente et soudain apparut une princesse d'une grande beauté dont le corps souple était drapé dans un manteau d'hermine. Elle se jeta dans les bras du prince qui reconnut sa compagne à son aigrette de diamants. Le sortilège avait pris fin: un beau prince l'en avait délivrée.

Phébus vola jusqu'au palais en emportant le couple enlacé.

A leur arrivée, ils furent accueillis par un cortège de dames d'honneur vêtues de bleu, en l'occurrence la suite princière qui avait subi le même sortilège. : « Comment as-tu deviné ? demanda la princesse. C'est simple mon amour; à ta façon de te poser sur mon épaule, j'ai deviné que tu étais plus qu'un oiseau ; je t'aimais déjà sous ta forme ailée et c'est grâce à toi que j'ai pu composer le chant d'amour qui a fait soupirer la sirène et éclater son cœur de pierre pour te libérer ainsi que ton cortège princier. »

La cour et le royal couple présents sur le perron de marbre applaudirent avec enthousiasme. La future épousée fut félicitée. Elle était si belle qu'on pressentait des noces inoubliables. Elle fut conduite à ses appartements en grande solennité. Le prince rejoignit sa chambre et s'endormit dans un bruissement d'ailes.    

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