mardi 16 avril 2024

Un héros balzacien



Dans la maison du peuple qui ressemblait de plus en plus à un marigot tant les grenouilles qui s’y pressaient à l’occasion portaient toutes les couleurs, on voyait une grande diversité. De gauche à droite, les rainettes étaient rouges, vertes, roses, bleues et deux grenouilles se singularisaient en arborant une tunique bleu-marine. Et ça croassait à perte de vue, des hérons noirs apportant des nouvelles croquantes. Parfois certains s’endormaient sur les nénuphars et gobaient les mouches. C’est alors qu’apparut un héros romantique qui réveilla tout le monde et chacun reprit figure humaine et fut tenté de suivre à nouveau discours et projets.

Ce héros avait un point commun avec le baron de Nucingen, une fréquentation de la banque et on lui jetait à chaque instant cette origine comme une gifle bien qu’il ait décidé de rétablir les finances du royaume dans l’esprit de justice qui animait Tulipe d’Or, son père spirituel. Portant un prénom qui rappelait son appartenance à Dieu, il était jeune et beau et plaisait beaucoup aux habitants du royaume.

C’était un héros balzacien composite : du baron de Nucingen, il possédait l’art de la haute finance, de Lucien de Rubempré  il avait la plume poétique et la beauté et d’Eugène de Rastignac, il avait le goût de la conquête et l’ambition.

Il s’apprêtait à promulguer une loi composite, à son image, afin de moderniser le royaume et de l’asseoir dans une perspective conquérante. Alors forcément, comme tout héros romantique, il déchaînait les passions. À la maison du peuple, les grenouilles rouges s’apprêtaient à brandir le carton rouge comme leurs mortelles ennemies, les grenouilles bleues et bleu-marine, les grenouilles vertes se tâtaient mais penchaient plutôt vers un vote négatif car elles voulaient repousser coûte que coûte les idées du héros soutenu par Manolète qu’ils ne supportaient pas. Enfin les grenouilles roses portaient à leur flanc gauche des frondeuses qui suivaient une guerrière venue du Nord, une certaine Nicole Aumaroilles dont la parole ressemblait de plus en plus aux oukases des Tsars ou aux autodafés des grands inquisiteurs.

Elle détestait Tulipe d’Or, s’estimant lésée de la conquête du pouvoir. Grâce à des mots magiques que le tout-venant ne comprenait pas, le care par exemple et surtout par des proverbes venus de sa grand-mère « Quand il y a  un flou, c’est qu’il y a un loup » ou des affirmations péremptoires qui ne reposaient sur aucune argumentation «, ça ne marchera pas », elle régnait sur les frondeurs, avivant leur colère par des textes bien choisis, assortis d’onomatopées signifiant que le Parti était mort puisqu’elle n’en était pas le chef.

Afin de sortir vainqueur, il fut décidé que l’on bichonnerait les grenouilles indécises qui allaient de nénuphar en nénuphar proférant des paroles peu claires que seuls des prophètes pourraient décrypter.

Notre héros aux yeux clairs et au regard d’acier, tel l’Archange Saint Just faisait front face à toutes les attaques, glissant parfois une formule latine pour porter l’estocade aux béotiens qui osaient mépriser son travail mûrement pensé, son ensemble de lois reposant sur la balance de la Justice et donc de l’égalité chère à Tulipe d’Or et ayant reçu l’aval d’un mentor qui avait traversé de nombreuses présidences et dont les chemises asiatiques faites sur mesure faisaient les délices des élégantes.

Le héros, lui, n’avait pas besoin d’un signe particulier. Sa jeunesse et son charme étaient les atouts naturels d’un bretteur hors pair. Bref c’était un homme comme l’on en voit peu et s’il avait autant d’ennemis c’est que chacun reconnaissait sa fulgurante intelligence et en était jaloux..

Dans ce théâtre d’ombres où s’agitaient de nombreux pantins, des audacieux citaient à comparaître des femmes, s’en prenant souvent aux égéries de Tulipe d’Or, notamment une jeune femme, Nora, venue du Maghreb et qui du simple fait de ses origines et de son prénom, déchaînait les passions malsaines d’êtres pour qui la notion même d’origine était sacrée  avec ce paradoxe que les grenouilles bleues avaient jadis choisi pour chef un crapaud dont les ancêtres étaient hongrois, son propre père refusant la nationalité française, j’ai nommé Schtroumpf Nerveux. Et tous d’avoir hurlé au loup lors de la nomination de la talentueuse Nora au poste de Ministre des Études, sous prétexte que ses origines lui en barraient les portes dorées. Le château élyséen pour  Schtroumpf Nerveux, parfait mais un poste pour une jeune femme intelligente, s’exprimant dans la langue du royaume avec une netteté qui visait à la perfection, cent fois non !

Une autre femme était aussi dans le viseur des troublions de la Maison du Peuple. Il s’agissait de Reine du Poitou qui avait été aimée par Tulipe d’Or au point d’en avoir eu quatre enfants. On ne lui avait pas confié une tâche facile car il s’agissait de réguler les rivières du royaume, d’étudier les ressorts de la circulation et le rejet des miasmes qui obscurcissaient parfois les territoires. Mais c’est de loin qu’on lui jetait des piques car dans sa région, elle apparaissait comme une Dame de Fer et se moquait du qu’en dira-t-on en apparaissant un jour de fête dans le costume féerique régional sans que personne ose en rire. Reine du Poitou était une figure et dans l’arène de la Maison du Peuple, elle usait de réparties mi- acerbes mi- amusées, conseillant à un adversaire de conserver une si belle énergie pour le bonheur du royaume.

Jadis elle avait affronté Schtroumpf Nerveux, déchaînant les passions du peuple. Elle usait de formules qui restèrent dans le vocabulaire du royaume, preuve qu’elles avaient marqué les esprits, l’ordre juste, la démocratie participative, le mot Sororité accolé à celui de la devise Liberté Égalité Fraternité afin d’offrir aux femmes la place qu’on leur avait souvent refusée. Son propre père estimait que la place d’une femme était à la maison et que l’on devait enseigner aux filles l’art de la cuisine, de la broderie, du tricot, de la gestion des comptes pour aider son mari, bref des valeurs d’antan.

Reine du Poitou dut lutter pour parvenir à la grande école fréquentée par Tulipe d’Or et celle qui n’avait à cette époque qu’une bourse octroyée par le Grand Schtroumpf pour subvenir à ses besoins, doucha fortement le rebelle qui osa lui proposer de mener une lutte pour moderniser la vieille maison. Elle usa d’une réponse cinglante comme fin non-recevoir car disait-elle, boursière et fière de l’être, elle tenait à réussir ses examens et renvoyait le petit bourgeois nanti à ses jeux. Naturellement, celui qui devint Tulipe d’Or fut charmé par les qualités de combattante de l’unique boursière de la Promotion Voltaire et usa de son charme pour la conquérir, ce qu’il obtint car aujourd’hui encore quelqu’un et quelqu’une s’interrogent sur la botte secrète de cet homme qui loin d’avoir la beauté conquérante de notre héros balzacien charmait des femmes différentes et parfois perverses comme ce fut le cas de la favorite à la plume empoisonnée.

Vêtue de blanc comme une vestale ou de rouge, la couleur du combat, Reine du Poitou avait beaucoup impressionné les habitants du royaume et si Schtroumpf Nerveux l’avait finalement emporté, c’est qu’il avait disposé d’une montagne d’argent et qu’il disposait de réseaux souterrains et qu’enfin les sujets d’habitude raisonnables s’étaient laissé emporter par la fougue de ce Fred Astaire en talonnettes. Par contre, Reine du Poitou, si elle était favorite des jeunes et des gens dans la peine, elle subissait les violences venues de son propre camp notamment des femmes qui n’avaient pas de mots assez durs pour la critiquer. Un héros romantique nommé BHL dont les cheveux faisaient des vagues d’un fort bel effet vola à son secours à la fin de la campagne mais il était trop tard : les dés avaient déjà été jetés et le royaume vécut au rythme des amours et des idées venues en prenant son bain de ce chef qui n’avait pour seule idée que celle de s’emparer du pouvoir puis de s’y cramponner.

Le royaume connut une triste période d’obscurantisme où les thèmes de réflexion étaient relatifs aux vêtements portés par les femmes, à l’abattage des animaux, à un idéal fictif déjà perdu et autres fredaines. Chacun s’éveillait le matin ave terreur en se demandant ce que le despote avait encore trouvé. De plus, il offrait de l’argent aux riches et faisait fructifier une formule stupide : Travailler plus pour gagner plus, passant ainsi pour le Socrate de la Ville Lumière.

Que pensait-il aujourd’hui de l’homme remarquable sorti de l’ombre du château pour éblouir la Maison du Peuple de ses formules argumentées et enrichies de citations littéraires, l’homme aux talonnettes qui avait voulu supprimer des manuscrits étudiés en classe un chef d’œuvre intitulé La Princesse de Clèves ? Sans doute étudiait-il dans l’ombre les moyens de contourner puis de pulvériser ce bel homme intelligent et compétent.

Peu satisfait du reflet de son miroir, il éprouvait de la haine pour les beaux hommes éloquents. Jadis il s’était déchaîné sur le bel orateur du nom de Gravilapente, pestant contre son habileté acquise au prétoire et son élégance naturelle.

Alors qu’il vivait aux creux de la vague, voilà qu’on lui en présentait un autre, plus talentueux encore et plus jeune. Loin de se livrer à des foucades comme le précédent, il avait un sourire fin et le sens de la répartie. À une grenouille rouge qui le poursuivait d’un tirade où abondaient les Pourquoi, il répondit « Je serais tenté de vous répondre Parce que » tant il trouvait déplacées ces questions enfantines dans l’enceinte des Sages. Puis il répondit de manière équilibrée et péremptoire en jaugeant la grenouille du regard froid dont il avait le secret. Multipliant les interventions pour familiariser des publics divers à son désir de réforme, le baron Emmanuel, tel le nommait Tulipe d’Or au château, affrontait parfois avant d’entrer en scène des personnes hostiles juste par principe et c’est sous les sifflets qu’il fendait la foule des excités, son fameux sourire au coin des lèvres et sa détermination augmentait sa popularité dans le royaume.

Soucieux de l’état de santé du Grand Schtroumpf, Tulipe d’Or lui envoya son pâtissier personnel. « Tous ces breuvages à base de plantes sont bons pour des convalescents mais ils ne donnent pas envie de repartir d’un bon pied. Rien ne vaut un bon gâteau crémeux quand on a des soucis, je suis bien placé pour le savoir » et c’est bardé de recettes, d’ingrédients rares dans un monastère que le pâtissier et ses marmitons prirent la route pour sortir le Grand Schtroumpf de sa torpeur.

À peine arrivés, ils envahirent la cuisine qui se mit à retentir du bruit des fouets battant les blancs en neige et donnant une consistance chantilly à de la crème double. Fruits confits, angélique et cerises en abondance ornèrent des gâteaux de Savoie et des génoises fourrées. Des choux à la crème s’empilèrent en pyramides et lorsque le Grand Schtroumpf eut goûté ces merveilles, il réclama du parchemin et se mit à écrire frénétiquement. Pour ne pas être en reste, les moines cuisiniers préparèrent des bouillons de volaille, de la poule au pot, bref de la nourriture revigorante. On mit de côté la salsepareille, se contentant d’en parsemer les bouillons. Apprenant que le Grand Schtroumpf, le véritable Maître du Royaume, avait besoin de retrouver toutes ses forces pour sauver le pays, les villageoises des alentours se mirent au travail et l’on apporta au monastère des pâtés en croûte, des grives et des ortolans cuisinés savamment, du lapin et du poulet en gelée, bref mille merveilles dont les recettes se transmettent de mère en fille. Des pots de confitures, de gelée, des desserts oubliés dans les châteaux, des pets de nonne, des merveilles, de la barbe à papa et de la guimauve sans oublier des barres de nougat et de la bonne fougasse accompagnaient les plats solides destinés à redonner de la vigueur à un vieil homme chargé de retrouver les secrets du grimoire. Cependant ceux qui lurent en cachette les extraits du parchemin furent déçus car le Grand Schtroumpf s’exprimait dans une langue inconnue et la traduction du grimoire devenait un contre-grimoire, tout aussi obscur.

On fit parvenir à Tulipe d’Or ces extraits. Il les confia au baron Emmanuel, comptant sur son intelligence hors du commun pour les décrypter mais ce dernier ne parvint pas à en extraire la substantifique moelle. Il sollicita son égérie et sa compagne dont les qualités littéraires étaient immenses, il avait été son élève mais cette dernière déclara que la Grand Schtroumpf avait livré un texte aussi obscur que celui des hiéroglyphes avant la traduction de Champollion.

Non seulement le Grand Schtroumpf avait subi le même syndrome que le savant de Figeac mais de plus, il avait régressé à son réveil et s’exprimait désormais dans un idiome incompréhensible.

Tulipe d’Or envoya le maître de la parole qui siégeait au palais afin d’obtenir quelques mots audibles qui lui permettraient de trouver un nouvel équilibre et ce dernier revint avec ces mots sibyllins : « À nous deux maintenant » !

Chacun resta pantois mais Tulipe d’Or regagna son bureau, un sourire fin dissimulé au coin des lèvres. Pour avoir étudié Balzac, contrairement à son inculte prédécesseur, il savait que ces paroles avaient été prêtées par le grand écrivain à Eugène de Rastignac, héros du Père Goriot.

Comme Rastignac était l’une des composantes du baron Emmanuel, il en déduisit que le salut du royaume était lié à la réussite de ce héros. Ce dernier ayant réussi le tour de force de plaire à un public versatile qui brûlait ceux qu’il avait adorés la veille, il suffisait, pensa Tulipe d’Or avec sagesse, de laisser les affaires se dérouler et pour sa part, il n’oublierait pas de faire sonner les tambours de guerre pour accompagner l’irrésistible ascension de son fils spirituel.          

 

    

 

 

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