vendredi 12 avril 2024

L'homme aux mocassins bleus

 

Lorsqu’il entra dans la salle de réception de la maison bourgeoise où il avait retenu une chambre , Philippe de Cassel eut l’impression de devenir aux yeux des autres pensionnaires l’homme aux mocassins bleus.

Contraint de prendre soin de ses pieds du fait de leur fragilité, Philippe avait trouvé les chaussures idéales, une paire de mocassins bleus qui avait appartenu à un légendaire chef sioux.

Après des recherches minutieuses sur la culture amérindienne, Philippe de Cassel avait décidé de s’établir à Paris pour s’y faire un nom.

Amoureux de l’univers balzacien, il avait tenu à vivre dans une pension de famille. Il avait trouvé une adresse et avait mis toute son énergie et son entregent pour se faire admettre dans La maison des écrivains.

Brodant un peu en digne émule d’Eugène de Rastignac, il avait prétendu écrire un roman retraçant l’itinéraire d’un gamin de Paris.

L’hôtesse, une sémillante quinquagénaire qui se piquait de littérature avait accepté sa candidature à condition qu’il lui lise des extraits de son roman.

La présentation terminée et le coup d’œil à sa chambre donné, Philippe rejoignit ses commensaux à la table de la salle à manger où les attendait un bon souper digne des grandes tables bourgeoises.

Nappe de lin, chemin de table brodé de pivoines et de paons, porcelaine fine, argenterie, cristal étincelant sous les lustres d’argent, Dame Flore, l’hôtesse apporta une soupière au contenu parfumé et servit chaque convive avec dextérité.

On mangea en silence puis avec l’arrivée du deuxième plat, un osso bucco généreux, les langues se délièrent.

Philippe échangea quelques généralités avec sa voisine, une jeune fille timide qui portait bien son prénom, Violette.

Violette était puéricultrice. Philippe songea qu’elle devait être plus à l’aise auprès des bébés et des jeunes enfants qu’avec les adultes.

Plateau de fromage et îles flottantes clôturèrent  ce bon repas où des eaux minérales et des vins de qualité avaient rafraîchi les gosiers échauffés.

Dame Flore proposa au choix café, thé ou tisane et des liqueurs puis chacun regagna sa chambre après un au revoir amical.

Satisfait de sa première soirée, Philippe fit une toilette sommaire et plongea rapidement dans un sommeil réparateur.

Sa nuit fut agrémentée par de fugitives apparitions féériques. Il crut reconnaître le doux visage de Violette dans un nuage doré où apparaissaient, au milieu de langues de feu, les visages des chefs sioux qui émaillaient sa thèse.

Il prit son petit déjeuner dans sa chambre, se vêtit soigneusement et partit à la conquête de Paris pour trouver le fil d’Ariane du roman qu’il était censé écrire et dont il devrait livrer quelques pages à Dame Flore, l’hôtesse de la Maison des écrivains.

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