mercredi 12 février 2020

Au Roi Lear ( fin)


Ensuite, l’écriture devenait progressivement illisible. On distinguait une suite de mots :
3h30 Sommeil – C’est injuste. Je digère mal le cake. Roméo et Juliette – Ophélie, Ophélie. Des lys partout – Pourquoi tous ces lys ? Le manuscrit s’achevait sur ces mots.
Le Bihan détacha le feuillet et l’inséra dans une pochette plastifiée, se félicitant d’avoir mis ses gants. Une sacrée pièce à conviction ! Sous l’effet d’une drogue puissante, le réceptionniste de nuit avait étranglé la jeune fille qui reposait dans la chambre Ophélie. Mais, en ce cas, pourquoi une tierce personne, la perfide Sylviane, s’était-elle donné la peine de le droguer ? Ce malheureux jeune homme, loin d’être un criminel, avait peut-être assisté à la scène du crime sans en comprendre clairement le déroulement. « Du boulot pour le chef ! » pensa-t-il et il s’enquit avec un détachement simulé de l’heure du départ du réceptionniste, à huit heures comme d’habitude. « Vous semblait-il dans son état normal ? Il s’est plaint d’avoir ressenti de violents maux de tête dans la seconde partie de la nuit. Il était si pressé de rentrer chez lui qu’il a oublié ses notes. D’habitude, il les emporte pour en améliorer la présentation. Il est très pointilleux sur le chapitre du style. C’est un jeune homme qui suit des cours de philosophie à l’université. Il a pris cet emploi pour payer ses études. Comme il est très scrupuleux, nous avons confiance en lui. Sur ces mots, Sandrine qui dirigeait le pôle réception se replongea dans ses documents. Merci Mesdames » dit Le Bihan et il se demanda ce que faisait le chef
Croisant à nouveau Florian les bras chargés de serviettes de bain, il eut la réponse à sa question : « L’inspecteur vous commande de regagner le commissariat et de faire part au commissaire Dubost de l’ensemble des investigations. En ce qui le concerne, il va déjeuner au château en compagnie de Monsieur Béryl, notre directeur. Sans doute mettront-ils au point un modus vivendi. Le légiste en a terminé sur place. La pauvre demoiselle a rejoint une salle d’études où il achèvera de faire parler le corps. L’équipe s’affaire pour le relevé des empreintes. En sortant, ils ne manqueront pas d’apposer les scellés. Bonne journée !
Merci ; une question cependant : où étiez-vous cette nuit ? Mais au château naturellement, dans le couloir, près de la chambre Ophélie, guettant la venue d’une jeune fille pour l’étrangler ! Pensez-vous vraiment qu’après des journées aussi chargées, j’aurais pour loisir favori le crime gratuit ? Certes, je rencontre la fleuriste tous les jours. Demandez-lui donc si je lui ai demandé des lys. D’ailleurs, tout le monde vous le confirmera, j’ai quitté le château à vingt et une heures pour regagner ma chambre car j’ai loué un studio en ville. Bonne journée et fructueuses investigations ! Ces serviettes de bain commencent à peser et je dois me rendre à la piscine pour les y déposer. A plus tard, Inspecteur !
Agent Le Bihan, soyons précis. J’ai l’impression de vous avoir choqué. Je ne vous ai posé qu’une question de routine. Merci pour le conseil : j’irai voir la fleuriste afin de m’assurer qu’il n’y ait pas eu de commande de lys.
Sans vouloir vous froisser à mon tour, ce serait trop facile si votre recherche s’avérait positive. De plus, ce ne sont pas des fleurs que l’on trouve en abondance chez les fleuristes qui préfèrent les lys colorés.
Je vais donc enquêter côté jardin de curé. Kenavo ! »
Et Le Bihan partit d’un pas élastique, heureux d’avoir à enquêter sur le chemin du commissariat. Il ne se sentait pas à l’aise au château. Cet environnement lui rappelait qu’il avait porté son prénom comme un fardeau. Pour un enfant sans père, un prénom de prince, quelle ironie ! En arrivant au presbytère, il aperçut Maria, la fidèle servante du curé. « Sergent, l’apostropha-t-elle, on m’a volé mes beaux lys blancs ! Je les réservais pour le repas du pardon. Ma Doué ! mais qui a pu faire un pareil crime ?
Réprimant un sourire, Le Bihan demanda à la servante de venir au commissariat afin de signer sa déposition. Vous me croyez donc, dit-elle soulagée ! C’est que je craignais d’être moquée ! »
Détrompée par le sourire amical de Le Bihan, Maria parla de se rendre au presbytère car elle avait un Kig ha Fars sur le feu et il était temps de couper fars blanc et fars brun dans le plat des fêtes.
Monsieur le Curé avait besoin de réconfort ces temps ci car la proximité du pardon le rendait nerveux.
Je reviendrai après le café promit-elle.
Le Bihan se résigna à utiliser le téléphone portable et avertir le chef de ses dernières investigations. Il serait peut-être utile de faire des moulages dans le jardin. Le fleuriste y aurait peut-être laissé ses empreintes ?
Réconforté par les encouragements du chef, Le Bihan entra chez Brigitte où il s’envoya une cervoise pression Duchesse Anne, sa préférée puis il sortit en mâchant consciencieusement un sandwich au beurre et andouille de Guémené.
Après avoir serré la main au légiste et s’être assuré par contact téléphonique que Bobosse avait accompagné le peintre dans sa chambre, Le Bihan fit apposer les scellés et demanda à son adjoint de procéder à la vérification des emplois du temps du personnel avec discrétion. Ce travail achevé, Bobosse rejoindrait Le Bihan au commissariat afin d’informer le commissaire pressé d’être tenu au courant du déroulement de l’affaire. La question majeure étant celle de l’identité de la jeune fille, il convenait d’étudier le fichier « Disparus » et de consulter le quotidien local, Ouest-France, pour localiser une hypothétique petite annonce.
On attirait les jeunes filles dans de véritables souricières sous couvert de castings prometteurs. La tenue de la jeune fille, longue robe de lin, chaussons de satin, détail qui avait intrigué le légiste, les fleurs naturellement, tout cela les poussait vers cette piste. A moins qu’il ne s’agisse d’une macabre mise en scène des pseudos druides venus de la région parisienne à la suite d’une émission télévisée racoleuse, sous-titrée Mystères. On y affirmait que les lutins hantaient bien les sous bois de Brocéliande et l’on racontait avec beaucoup de sérieux des récits relevant de la paranoïa taxés de para psychologie.
L’inspecteur fut soulagé d’apercevoir la silhouette imposante du directeur Philippe Béryl qui s’était présenté à lui : il accompagnait une heure plus tôt l’équipe du légiste. Il leur fit part de son étonnement et de sa douleur face à cette inconnue et les informa du lien littéraire qu’il avait établi entre la position du corps et les vers de Rimbaud.
Le comble de la coïncidence provenait du fait que la chambre portait le nom d’Ophélie, en hommage à un personnage célèbre Hamlet, à la fin tragique.
Il s’était ensuite éclipsé pour régler un détail technique mais donnait rendez-vous à l’inspecteur pour qu’ils déjeunent ensemble dans la salle des Plaisirs Gourmands réservée aux invités de marque. Ne protestez pas assura-t-il nous y serons tranquilles. Je pourrai vous présenter, notre établissement dans être dérangé. Les deux hommes entrèrent de concert dans une salle décorée avec goût et sobriété.
Le menu était évocateur. Le Foie gras de canard des Landes, cuit en terrine, Pommes Acidulées.
La Poêlée de Langoustines du Guilvinec.
Cocos de Paimpol Lard et Truffe Fraîche.
Le Filet de Bœuf aux Pleurotes.
Le Brie Rôti à la Rhubarbe.
Le Parfait à la Bergamote et aux Agrumes.
Sans oublier les Amuses Bouches et les Mignardises et un excellent Champagne Veuve Clicquot 1995.
Commandez moi une bouteille de Badoit demanda l’inspecteur.
Je dois garder la tête froide pour raisonner.
Certes, j’allais vous le proposer. Mais ne dédaignez pas ce merveilleux champagne. Il vous mettra peut-être sur la voie en cette délicate affaire. Chez Simenon le commissaire Maigret boit de bonnes bières et du vin blanc.
Simenon était peut-être au régime car c’était lui qui résolvait les énigmes ! Dans l’affaire Ophélie, appelons la ainsi, il y a hélas ! une véritable victime et un meurtrier on ne peut plus réel d’après les constatations du légiste. La thèse de l’accident est absolument exclue. Avez-vous fait votre enquête interne au sujet du couple américain, les Evans ?
C’est la première démarche que j’ai entreprise. Nous avons téléphoné à leur domicile new yorkais. La jeune sœur de Mrs Evans m’assuré qu’ils se trouvaient à Saint Tropez. J’ai pu les joindre par portable. Le soir du meurtre, vers 20h30 des amis leur ont envoyé un hélicoptère pour qu’ils quittent le château au plus vite. Une surprise les attendait à Saint Tropez. Ils ont averti la réception, payé la note, décommandé leur petit déjeuner et sont partis. Or j’ai interrogé mes employés. Personne ne se souvient d’une telle démarche et je n’en ai trouvé aucune trace.
Voilà donc des suspects potentiels. Rassurez-vous. Vous n’aurez aucune peine à vous comporter avec délicatesse car le couple a proposé de revenir au château pour témoigner de sa bonne foi. S’ils tiennent parole, nous prendrons le café avec eux au bord de la piscine.
Mais savourez ce foie gras en terrine. Le chef le prépare à merveille. Le plat lui a valu d’être meilleur ouvrier de France. Nous prendrons un doigt de pacherenc du Vic Bilh qui se marie bien avec ce mets digne d’un grand chef. Par courtoisie et aussi, il faut bien le dire, par gourmandise pure et simple, les deux hommes firent honneur au repas remarquable en tous points. Le sommelier, grave et attentif, se comportait comme les échansons d’autrefois. A la demande du directeur il analysa des vins avec infiniment de minutie et de talent. Ce jeune homme a été formé dans un lycée hôtelier breton, école très sérieuse d’où sortent des jeunes gens à l’avenir prometteur.
Lorsqu’il était encore élève, Aurélien tel est son prénom, a effectué un stage de formation chez nous. Il nous a semblé tellement digne de confiance. Une perle dans un établissement ! disaient de lui ses professeurs, que nous l’avons embauché avant même qu’il n’obtienne son diplôme. Un bon sommelier c’est un peu comme la diva d’un opéra. Sans lui, nous n’aurions jamais obtenu notre étoile au guide Michelin. Le chef y est pour beaucoup également mais lorsqu’un relais-châteaux est récompensé chacun y a sa part.
Florian n’y est sans doute pas étranger.
Certes ; lui, c’est un peu notre mascotte. Ce garçon semble secondé par les dieux. D’ailleurs le voici. Avec sa grâce coutumière, Florian semblait fouler une allée de pétales de roses tant sa démarche aisée démentait le perpétuel va et vient de sa vie professionnelle. Un autre que lui aurait acquis des automatismes, au contraire il semblait toujours prendre plaisir à sa tâche, si ingrate fût-elle.
Mrs et Mr Evans vous attendent dans le salon bleu. Je leur ai fait servir du champagne afin de les faire patienter.
Parfait, Florian ; vous pourrez bientôt prendre ma place si j’ai quelques défaillances.
Allons, voulez-vous ?
L’inspecteur tint à remercier le chef pour le mémorable déjeuner qu’il venait de connaître. Coiffé de sa toque immaculée, portant le cordon bleu blanc rouge, insigne du meilleur ouvrier de France, sa veste de cuisinier portant son nom, récompense d’une maison, à un chef étoilé, le chef apparut, timide et embarrassé. Il fleurait bon la cannelle. Tout rougissant, il accepta les compliments de l’inspecteur, promit de régaler un soir ces messieurs du commissariat et soulagé d’avoir trouvé une formule qui lui permettait de se retirer, s’enfuit dans sa cuisine qui était son seul domaine.
Rassurez-vous dit Béryl en souriant, il n’est pas toujours timide. Parfois, les coups de torchon et de spatules pleuvent sur les cuisiniers dolents ou maladroits. Il a une vivacité de tous les diables lorsqu’il est au piano. Mais voici nos hôtes dit-il en découvrant le couple Evans confortablement installé sur une ottomane. En choisissant, ce terme d’hôtes, il rappelait ainsi à l’inspecteur qu’il lui fallait aborder le sujet avec délicatesse.
La conversation, habilement menée par un Béryl mondain voire snob méandra sur la beauté de la France et de son attrait touristique et du confort plus ou moins réel des relais-châteaux. Pressé d’en venir au but, Mr Evans mit fin aux mondanités et répéta mot pour mot ce qu’il avait dit au téléphone. Il ponctua sa tirade d’un « pouvons-nous nous retirer ? » qui se voulait péremptoire.
Chers amis, vous êtes libres ! Minauda Béryl. Néanmoins, l’inspecteur Le Bihan qui est à mes côtés, a besoin du nom de la personne qui a été avertie au château de votre départ et qui vous a établi une facture.
Bien sûr, c’est pour son rapport, nous comprenons. Eh bien, c’est très simple. Ma femme a un faible pour Florian et fait toujours appel à lui lorsqu’elle descend au château. C’est toi qui as réglé tous les petits détails, chérie n’est-ce-pas ?
Exactly ! J’ai bien fait appel à Florian.
En ce cas, je suggère qu’on le fasse venir ici pour confirmation. Sophie, interpella-t-il, servez nous cafés et petits gâteaux et demandez à Florian de venir ici même.
Le jeune homme fut bientôt en leur présence.
Béryl l’interrogea avec beaucoup de doigté et s’entendit répondre.
Si Monsieur souhaite qu’il en soit ainsi, j’en endosse la responsabilité.
Que voulez-vous dire Florian ? Avez-vous, oui ou non reçu l’ordre de faire partir les bagages de Mrs et Mr Evans hier soir et avez-vous préparé la note de nos hôtes ? En ce cas, comment se fait-il qu’il n’y ait aucune trace ?
John il faut avouer dit Mrs et Mr Evans.
Ce n’était qu’un jeu après tout.
Un jeu ! s’écrièrent Béryl et Le Dantec dans un ensemble parfait !
Nous avons parié avec des amis qu’il nous serait facile de quitter le château sans payer. Nous avons inventé de toutes pièces l’ordre donné au réceptionniste.
En réalité nous sommes partis à 4h du matin. Nous avons tenu quelques heures, suffisamment pour que notre pari soit gagné. Allons, souriez ! Nous serions revenus payer les frais de séjour quoi qu’il arrive. Je croyais que les Français avaient de l’humour ! Un inspecteur de police pour une simple note non réglée !
Rassurez-vous, les français ont toujours de l’humour y compris les inspecteurs de police dit Le Dantec avec une certaine gravité. Mais en l’occurrence, il s’agit d’un meurtre et vous comprendrez aisément, j’imagine, que l’on ne puisse pas badiner à ce propos, d’autant plus que la victime reposait dans une chambre où vous auriez dû vous trouver si vous n’aviez pas engagé ce pari. Vous comprendrez aisément, j’imagine, que votre séjour dans ce château d’où l’on peut s’échapper si facilement va se prolonger.
Médusé le couple resta sans voix quelques minutes puis le directeur reprit la parole sur un ton conciliant.
Vous serez nos invités, il va sans dire. Sont-ils libres de leurs mouvements, inspecteur ?
Bien entendu. Prolongez vos vacances. Cela durera le temps des vérifications nécessaires.
L’inspecteur quitta son auditoire pour regagner le commissariat. Il prit à part le Directeur pour lui demander de le seconder juste le temps qu’il envoie une équipe, en civil comme il se doit afin de ne pas effaroucher les clients.
Personne ne devait quitter le château. Tandis qu’ils préparaient une souricière bon chic bon genre, le téléphone portable retentit. Le réceptionniste de nuit Alan Man avertissait qu’il ne pourrait pas prendre ses fonctions car il était malade et le médecin lui avait prescrit le repos pour quelques nuits.
Je n’ai personne pour le remplacer ! Gémit Philippe Béryl.
Qu’à cela ne tienne ! L’un de nos agents, je pense à Véronique Le Guen, sera parfaite dans ce rôle. Elle a suivi plusieurs formations qui lui permettent à présent de s’infiltrer avec beaucoup de tact et de réussite. Vous verrez, elle fera merveille.
Je vous l’envoie tout de suite afin qu’elle se familiarise avec les lieux et ses collègues.
Le Dantec, sur ces mots, partit d’un pas décidé, croisa Florian qui conversait en anglais avec un jeune homme de belle prestance, le prince pensa-t-il, car cet homme de haute stature portait des bottes munies d’éperons.
Il avait hâte de faire le point avec le chef, conscient d’avoir bien conduit l’enquête.
Il fallait à présent engranger les informations collectées séparément et tâcher de trouver quelques pistes. C’est donc gaiement qu’il franchit la grille. Quoi qu’il en soit, on ne pourrait pas l’accuser d’avoir commis des impairs. !











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