mardi 11 février 2020

Au Roi Lear ( suite II)


L’autel de la Vierge était toujours orné de ces fleurs en saison. C’est un emblème royal. En Bretagne, on ne l’aime pas, on lui préfère l’hermine. Le lys, c’était la fleur de l’ennemi, du Roi de France. Ils semblent avoir été posés sur le lit avec délicatesse. Est-ce l’assassin ou une personne qui pleure la mort de la jeune fille qui a organisé cette mise en scène ?
De plus, ils n’ont pas été mis au hasard ; ils épousent les courbes de la belle morte, un peu comme si on avait voulu composer un tableau.
Vous demandez un moulage, chef, c’est une bonne idée mais je ferais plus, je demanderais à un artiste de réaliser une esquisse du tableau mortuaire avant qu’on n’enlève le corps. Il faut agir vite.
Appeler ce jeune homme efficace, Florian ?
- Soit ! dit Le Dantec partagé entre la reconnaissance envers son subordonné et son dépit de ne pas avoir eu cette judicieuse réflexion.
Beau joueur, il remercia Bobosse et appela la réception pour qu’on lui envoie Florian. Le jeune homme apparut très vite comme s’il était doté des ailes de Mercure. Mis au fait, il n’eut aucune hésitation pour disparaître et revenir en compagnie d’un homme jeune et élégant muni d’un chevalet, de pinceaux et de crayons.
Florian sourit et expliqua :
- Nous avons la chance de compter parmi nous Jean de Casteljaloux dont le loisir majeur est la peinture. Permettez-moi de me retirer à présent et de veiller au confort de nos hôtes.
Il s’éclipsa, laissant en pleine lumière son compagnon qui prit aussitôt la parole, après avoir observé attentivement la morte.
- Je loge sur le même palier que cette jeune fille, chambre Au Roi Arthur et je peux vous assurer que je ne l’ai jamais vue. Il y a quinze jours que j’ai pris pension. Je peins surtout des paysages.
- Pardonnez-moi de troubler votre quiétude dit Le Dantec mais voyez-vous, dois-je dire Monsieur le Comte ? Oui ? je vous félicite en ce cas de vouloir aider le roturier que je suis, voyez-vous, disais-je, nous avons l’impression que la clef du mystère réside dans la présentation morbide et artistique du corps.
Nous vous serions infiniment reconnaissants de réaliser plusieurs esquisses.
J’aimerais que vous puissiez nous restituer une image vivante si j’ose dire. Un détail qui nous a échappé dans l’investigation classique nous frappera peut-être lorsque nous contemplerons le résultat de votre interprétation de la scène.
- Fascinant ! dit le Comte. Vous avez de la chance puisque je suis un peintre figuratif. Ce qui m’intrigue, en premier lieu, c’est que cette magnifique jeune fille ne porte aucun bijou. Le légiste pourra sans doute déceler, en examinant son épiderme, si on lui a retiré des bijoux post mortem ou si, effectivement, elle n’en portait pas. La disposition des lys est intéressante. Je crois y lire le dessin d’un sarcophage, à la manière égyptienne. Sa main gauche est posée sur quelque chose.
- Un caillou rose, dit Bobosse, et il le fit glisser de ses mains gantées dans un sachet qu’il étiqueta.
- De plus en plus étrange, concéda le Comte et il ajouta : on trouve ces cailloux sur les sentiers de randonnée qui mènent aux sites de Brocéliande.
- Merci infiniment de votre collaboration, insista L’inspecteur et, se tournant vers Bobosse, il lui signifia, à mots couverts, l’ordre de ne pas quitter du regard le dessinateur et de l’accompagner à sa chambre, la tâche accomplie.
Il poursuivit à voix haute :
- mon adjoint Le Bihan et moi-même allons à la rencontre du légiste et de son équipe. Toutes les empreintes seront relevées. Veillez donc à ne pas les multiplier.
Après un clin d’œil complice à Bobosse, Erwan Le Dantec et Le Bihan sortirent de la chambre Orphélie où reposait un angoissant mystère.
- Vous avez bien un prénom, Le Bihan ?
- Oui, chef, mais je ne tiens pas à ce qu’il soit utilisé, surtout au commissariat. Josselin ! Vous rendez-vous compte chef ? Josselin ! Une tare pour un policier ! Ma pauvre mère a rendu l’âme en me mettant au monde, de père inconnu.
C’est la voisine qui m’a déclaré à l’état civil. Comme ma mère n’avait dit à personne quel prénom elle me destinait, en passant près du château de Josselin, la voisine eut cette idée lumineuse.
Le prénom de Rohan ! Moi qui n’aime ni les ducs ni les princes, je suis gâté !
- Je respecte votre point de vue, Le Bihan ; cependant, je pense que tous les nobles ne sont pas nécessairement des monstres. Le Comte de Casteljaloux s’est plié de bonne grâce à ma requête.
- Sauf votre respect, chef, il y allait de son intérêt. Il figure, comme tous les clients et les membres du personnel sur la liste des criminels potentiels.
- Certes - D’ailleurs, dès que nous aurons croisé l’équipe du légiste, nous interrogerons les responsables de la réception et insisterons pour que personne ne prenne le départ avant de signer une déposition. Mais voilà l’équipe ! Prenez les devants. J’ai deux mots à dire au légiste au sujet du moulage.
Le Bihan se dirigea vers la réception avec soulagement.
Enfin de l’action !
Au détour d’un couloir dallé de faïence ancienne d’une telle beauté qu’on hésitait à y faire résonner ses pas, il aperçut l’inévitable Florian.
Debout, près d’une desserte, il composait des bouquets. Pas de lys nota-t-il machinalement. Il sourit au jeune homme tout en lui faisant part de son étonnement :
- Quelle est votre affectation exacte ?
- Je suis réceptionniste, mais comme vous le voyez, je suis polyvalent. Je compose les bouquets, je chasse les papillons près de la piscine, je porte les bagages, je réponds au téléphone en plusieurs langues car je suis polyglotte : je parle l’anglais, l’allemand, l’italien, le russe, le portugais et je possède des rudiments en arabe classique ; j’assure les saisies à l’ordinateur, j’expédie les factures, je suis aussi convoyeur de fonds. Lorsque le château reçoit les hôtes de marque, on me les confie.
Le couple Ewans n’était donc pas considéré comme tels, je présume ?
- Exact - Par hôtes de marque, nous entendons de grands noms de France et d’ailleurs. S’y adjoignent les célébrités.
- Etes-vous actuellement en mission spéciale ?
- Oui, auprès du prince Youssef de Jordanie. Il occupe la chambre Othello. Si je suis aussi peu stressé ce matin, c’est qu’il n’a pas passé la nuit dernière au château. Il se rendait dans un haras pour négocier l’achat d’un pur sang qu’il convoite depuis longtemps. Il a quitté le château hier vers dix huit heures et ne rentrera que demain matin inch ! Allah !
Ne vous donnez pas de peine pour moi ; je ne suis que l’agent Le Bihan. Mais, dites-moi, comment se fait-il que vous deviez assumer tant de responsabilités ?
- De la même manière que vous obéissez à votre chef répondit laconiquement le jeune homme.
Ses bouquets terminés, il devait à présent en fleurir les chambres.
Le Bihan le quitta à regret. Il avait la nette impression que ce jeune homme surprenant aurait pu lui donner des renseignements précieux.
A la réception, deux femmes s’affairaient. Elles avaient le nez rivé sur des documents. Le Bihan les aborda de façon policée, au double sens du terme.
Impressionnées par la carte officielle de l’agent, elles se plièrent de bonne grâce à ses multiples demandes et lui remirent la liste du personnel et des hôtes du château. Elles promirent de ne laisser personne quitter Au Roi Lear.
Le réceptionniste de nuit, Alan Ma, d’origine Sino américaine, s’était retiré pour se reposer. Le Bihan demanda à consulter son bloc notes personnel.
Les jeunes femmes lui avaient révélé qu’il avait l’habitude de noter tous les détails qui lui semblaient intéressants. Elles lui remirent un classeur. Sur la page consacrée à la nuit du crime le 25 mai, il lut ceci :
22h – 1ère ronde R.A.S.
22h30 Du bruit du côté de la piscine. J’y cours – Rien Il m’avait semblé cependant que quelqu’un se baignait.
23h – 2ème ronde R.A.S.
23h30 La romancière Lydie Herlem, chambre Blue Devil, me commande un sorbet au gingembre. Elle exige que je le lui monte sur un plateau d’argent avec un soliflore garni d’une orchidée. Elle demande aussi un jus d’oranges et des gâteaux. Elle est en panne d’inspiration et souhaite fouetter son imaginaire.
J’appelle Sophie à l’office qui m’apporte le tout. Pas d’orchidée, une rose fera l’affaire, m’assure-t-elle. Voire ! Je monte et la sers prestement. Visiblement de bonne humeur, elle pardonne l’absence d’orchidée et me souhaite une bonne nuit. « Ouvrez bien l’œil, jeune homme ! dit-elle avec malice. Les deux, Madame, il le faut ! » Je me retire.
Minuit quinze 3ème  ronde.
J’aperçois une chauve souris à la piscine. Est-ce le bruit que j’ai entendu précédemment ?
1 heure 4ème ronde R.A.S.
1h30 La romancière m’appelle à nouveau. Elle a entendu du bruit dans le couloir. J’y cours – Rien  Je la rassure sans ouvrir la porte.
2h – 5ème ronde Des éclats de voix à l’office. Ceci ne me concerne pas. Le chef redoute constamment de perdre son étoile et devient nerveux.
3h Sylviane, cette peste, habituellement acharnée à me nuire, m’apporte un plateau chargé de yaourts bulgares, spécialité du chef pâtissier, mes préférés, et des tranches d’un cake aux arômes orientaux.
Je ne sais comment la remercier car je luttais contre le sommeil. Une carafe de sirop à la rose pour couronner le tout. « C’est mon anniversaire, me dit-elle en guise d’explication, et je veux que tout le monde soit heureux.» . Elle m’ébouriffe, histoire de m’exciter et part comme une ballerine.

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