lundi 10 février 2020

Au roi Lear ( suite)


Nanti des multiples recommandations du chef, n’oubliez pas qu’il s’agit d’un Relais-Château et que des notables y descendent, Erwan le Dantec s’apprêtait à gravir les marches de l’escaler principal, ses deux acolytes sur les talons, lorsqu’un jeune homme se précipita à leur rencontre.
Portant élégamment une chemise fleurdelisée or et bleu nuit sur un pantalon de soie noire, il volait plus qu’il ne marchait. Il inclina légèrement la tête et tout en leur souhaitant de réaliser une enquête diligente, les entraîna dans un sentier bordé d’hibiscus en fleurs.
- Pardonnez-moi de vous faire entrer par la porte de service, dit-il avec beaucoup de courtoisie, mais notre devoir consiste à préserver le repos de nos clients tout en vous facilitant la tâche dans la mesure de nos possibilités.
- Certes, remarqua le jeune inspecteur quelque peu froissé d’être ainsi jaugé ; apparemment, l’une de vos clientes a trouvé un repos définitif.
- Cette personne n’est pas une cliente, rétorqua le jeune homme piqué au vif. Elle ne figure pas sur notre registre. Oserais-je la qualifier d’intruse ? Certes non car sa fin tragique m’interdit des propos outranciers.
Néanmoins sa présence au château est inexplicable.
Elle occupe la chambre Ophélie dont nous avions donné la clef, la semaine dernière, à un couple newyorkais. Il devait nous quitter ce matin après le petit déjeuner. Le réceptionniste de nuit consulté n’a constaté aucun mouvement. Or, les Evans ont disparu pour faire place à cette jeune inconnue, hélas décédée !
Pardon, je vous précède, ajouta cérémonieusement le jeune homme. Je préfère vous tenir lieu d’écran l’espace d’un instant entre vous qui êtes pourtant habitués à la mort et cette malheureuse.
Puis, avec infiniment de discrétion, le jeune homme les quitta, leur demandant d’appeler Florian, votre serviteur précisa-t-il, la main sur le cœur, s’ils avaient besoin du moindre service.
- Ça nous change du commissariat, chef ! dit Le Bihan sentencieusement. Quel luxe ! Le volume de la chambre est considérable. Un lit à baldaquin ! Ma femme aimerait tant en avoir un ! Mais y finir comme cette pauvre jeune fille, quelle misère !
Le Dantec approuva d’un signe de tête. Ne pas se disperser et noter le moindre détail utile à l’enquête.
- Bobosse, c’est le moment de faire des clichés, ordonna-t-il sobrement. Le Bihan, note les propos du jeune homme, chambre Ophélie, intruse  etc. … nous vérifierons, il va sans dire.
Il s’approcha de la jeune fille et écrivit à la volée ce qu’il remarquait à voix haute.
- Joli visage, yeux clos, qui les lui a fermés ? corps somptueux moulé dans une sorte de sari blanc, nous demanderons une analyse du tissu, lin en apparence, les chevilles sont jointes, attitude presque sacrificielle, bras le long du corps, mains fines d’oisive, ongles peints en mauve, je veux un moulage du visage. Bobosse, Le Bihan, voyez-vous quelque chose d’autre ?
- Les lys, chef ! dirent-ils en chœur.
- Bien sûr, les lys, je vais y venir. Mais en ce qui concerne le corps ?
- Les marques de strangulation sont peu profondes, un peu comme si on n’avait pas réellement voulu lui faire mal. Elle semble reposer en paix et n’avoir pas souffert, remarqua Bobosse. Puis il ajouta pensivement : les lys sont frais ; ils sont blancs, ce qui est rare, presque démodé ; ça me rappelle les messes de mon enfance ; j’étais enfant de chœur.
L’autel de la Vierge était toujours orné de ces fleurs en saison. C’est un emblème royal.

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