En Hollandie, la routine était de mise. Chacun attendant que l'ennemi tire le premier, toute formation en ayant dans ses propres rangs, il était devenu habituel de disserter sur des sujets aussi incongrus que la question du sexe des anges à une époque où le mot laïcité n'existait pas.
On se battait à coup de chiffres qui dépassaient l'entendement des Tulipots dont les objectifs pouvaient être résumés par une formule latine Panem et Circenses, autrement dit : Du pain et des Jeux tandis qu'arrivaient de toutes parts des malheureux chassés de leur pays par la faim ou la guerre, parfois même les deux calamités à la fois...
De longues colonnes de migrants fuyant les anciens royaumes de Perse, des Hittites et de terroirs morcelés en mosaïques, s'écoulaient sur les routes qui menaient vers des pays réputés pour leur richesse.
Cependant, faute de vigilance, ces pays au nombre desquels on comptait notre Hollandie s'étaient peu à peu appauvris et croulaient sous les dettes.
Ces emprunts étaient au-dessus de nos têtes comme une véritable épée de Damoclès mais cela, les familles fuyant les horreurs de la guerre préféraient ne pas y penser.
La plupart des adultes s'exprimait dans la langue de Shakespeare mais ne comptant guère sur la générosité britannique appelaient au secours « Maman Hildegarde de la Baltique », prouvant ainsi que leur sens politique était aiguisé.
Ne voulant plus passer pour la méchante harpie qui présentait de mauvais bulletins de notes aux dirigeants des pays de l’Europe Unie, Hildegarde de la Baltique avait voulu surfer sur une vague de générosité en accueillant ces déshérités du monde, mettant ainsi un terme à la méchanceté fondamentale qu'on imputait à son pays en raison de la dernière guerre mondiale.
Tout le monde avait en tête « l'or des nazis » et Mute, alias Hildegarde de la Baltique voulait effacer ce souvenir et imposer au monde une notion de générosité.
Le monde reçut de plein fouet l'atrocité de ces errances car on diffusa la photographie d'un bel enfant échoué sur un rivage grec, la porte de l’Europe, Aylan Kurdi qui devint le symbole de toute cette douleur que nul ne pouvait plus supporter.
Les âmes sensibles versèrent des torrents de larmes, certains écrivirent des poèmes qu'ils enfermèrent dans une bouteille pour les jeter à la mer, cette cruelle qui avait pris la vie d'un petit innocent.
Puis ils passèrent à autre chose, le propre de la Hollandie consistant en une perpétuelle effervescence de bon ou de mauvais aloi. Du mouvement ! C'était le credo à la mode et de même qu'à l'époque des Lumières on écrivait : « Comment peut-on être Persan » ? Il se murmura sous le manteau tant cela paraissait immonde: « Comment peut-on être Syrien » ?
Heureusement l'âme du petit Aylan s'en était allée vers des cieux plus cléments, dans un univers céleste où le dédain, le mépris, l'indifférence et pire encore la cruauté n'étaient pas de mise !
Une fois les premiers émois passés, il fut de bon ton en Hollandie et ailleurs de passer à un autre sujet, s'en remettant au destin pour qu'une solution soit trouvée.
Chacun avait oublié qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, les flux migratoires n'avaient scandalisé personne et qu'ils constituaient même un chapitre des livres d'Histoire.
On se contentait de flécher leur parcours et nul n'y trouvait à redire.
Bon nombre de politiciens en Hollandie précisément avaient des ancêtres venus d'ailleurs et ils se drapaient de leurs origines comme dans une toge de pourpre, y voyant un signe de leur excellence.
Avoir survécu, vécu au quotidien en utilisant plus ou moins bien une langue qui ne leur était pas familière et avoir engendré des enfants qui faisaient preuve de réussite dans l'art oratoire, voilà de quoi oublier la nostalgie d'un monde perdu.
Mais pendant ce temps les flots de migrants qui fuyaient toutes sortes de calamités se heurtaient à des frontières nées spontanément près des royaumes dont les dirigeants fermaient les yeux sur leur propre passé.
On maniait la cravache avec beaucoup de facilité, à croire qu'une cravache d'or pouvait être décernée au peuple qui parviendrait à stopper ces foules en détresse.
Tandis que les royaumes et leurs leaders reniaient une à une les valeurs de leurs ancêtres, il régnait un peu partout une forme de déni concernant cette non-assistance à personne en danger et parmi tous ces royaumes, il en était un qui maniait les rudiments de l’égoïsme avec une maestria qui lui venait de son glorieux passé.
Drapé dans son insularité, le royaume des Angloys, fier du rituel du thé pris à dix-sept heures et de sa reine qui portait par un curieux hasard le prénom de la fille d' Henri VIII et d' Anne Boleyn, décapitée pour ne pas avoir donné, comme promis, un fils au Roi, tenait un rôle primordial.
Cette reine surnommée La Reine Vierge conduisit les affaires du royaume avec finesse, dureté et diplomatie.
Jeune, elle dansait à merveille la volte, danse acrobatique qui nécessitait un maintien et une endurance physiques remarquables.
Sa descendante ne possédait plus de réel pouvoir mais elle organisait de temps à autre des réceptions dans un château prestigieux, riant sous cape des bévues commises par des Béotiens qui connaissaient mal l'élégance et le protocole immuable de l’Empire.
Ce royaume en effet, vulgaire caillou planté au large de la Hollandie avait conquis le monde et il lui en restait des bribes de valeur, la porte de l'océan notamment et une main mise spirituelle sur de nombreux états qui lui étaient encore redevables de l'honneur incommensurable d'avoir été colonisés par des personnes de qualité.
Le rêve de nombreux migrants consistait donc avec une certaine logique à vouloir se rendre dans ce royaume mirifique mais voilà si de Douvres, par beau temps, on pouvait contempler la Hollandie, en particulier la ville de Calais, il existait un bras de mer nommé Channel qui refusait de s'ouvrir comme la mer rouge jadis pour les Hébreux.
Le royaume angloys veillait jalousement à préserver son intégrité et repoussait avec horreur les malheureux qui avaient parcouru tant de milles au péril de leur vie pour atteindre ce qu'ils prenaient pour un pays de cocagne.
De chaque côté du Channel, des remarques fusèrent .En Hollandie, le baron Emmanuel tança le premier ministre, menaçant de déverrouiller la ville de Calais si le royaume angloys ne se pliait pas à une certaine discipline. Le baron avait l’avantage de s’exprimer avec une rare élégance dans la langue de Shakespeare, ce qui lui laissait une certaine longueur sur son adversaire.
Le problème majeur résidait cependant sur le fait que les personnes désespérées au point d’accepter de vivre dans un bourbier, voire de se coudre les lèvres en signe de protestation étaient aux mains de vils aventuriers qui faisaient la navette d’un royaume à l’autre pour leur extorquer de l’argent.
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