mardi 3 décembre 2019

La fée Morgane


La fée Morgane
La fureur de la fée Morgane ne connut pas de bornes lorsqu’elle constata l’évasion de sa servante favorite, Yveline aux mille talents.
Ses yeux d’émeraude qui auraient pu être si beaux lançaient des flammes et de petits dragons cracheurs de feu s’échappaient de ses prunelles ardentes, devenues brasiers, allumant çà et là des incendies qu’il fallait vite maîtriser pour ne pas mettre la forêt de Brocéliande en grand danger.
Des crapauds horribles, des serpents et des vipères s’échappaient de sa bouche lorsqu’elle éructait ses ordres et maint chevalier emprisonné dont la raison ne tenait plus qu’à un fil, devinrent irrémédiablement plongés dans une démence illimitée.
Le comble lui parvint par des rires sataniques émis par son fils Mordred venu constater par lui-même les dégâts dont on parlait sous cape dans les cours fréquentées par des seigneurs dénués de sagesse et dont l’unique idéal consistait à nuire à son voisin.
Elle chassa l’insolent en lui administrant des coups d’un balai de paille qu’elle maniait avec la dextérité des sorcières.
Pour se calmer, elle partit en forêt, accompagnée par ses lévriers dont elle appréciait l’élégance et le flair hors du commun.
C’est ainsi qu’elle se trouva nez à nez avec Laura la guerrière venue dans la forêt pour y trouver la saine méditation qui lui imposerait des choix pour rendre à Dame Yveline toute sa raison perdue.
Elle marchait d’un bon pas en s’appuyant sur une canne de marche au bout ferré.
Lorsqu’elle vit Morgane, elle reconnut d’emblée cet être malfaisant car son regard qui cherchait le sien afin de l’hypnotiser lançait de minuscules flammèches haineuses dont elle était coutumière.
Sans répondre à ses avances mielleuses, Laura traça autour d’elle un cercle magique destiné à la protéger et elle déposa des branches de houx et des perles de gui sur cet espace sacré.
Un buisson gigantesque et ardent grandit autour d’elle et Dame Laura fut bientôt hors de vue de la sorcière qui fulmina de rage.
Elle était à nouveau désavouée dans son entreprise maléfique et par comble de malchance, un chevalier à l’armure blanche se profila à l’horizon.
Inquiet de ne pas voir revenir sa mère, Dylan était parti à sa recherche et lorsqu’il vit cette femme qui essayait en vain de passer pour une paysanne cherchant son chemin, il n’eut aucune difficulté à l’identifier.
Afin d’échapper au courroux qu’elle lisait dans ses yeux, Morgane devint cours d’eau qui cascada en sauve-qui-peut jusqu’au val sans retour dont elle était l’abominable gardienne.
Ses lévriers, demeurés sans ordre de mission choisirent de rester auprès du beau chevalier qui sut leur parler avec tendresse.
En voyant le danger s’éloigner, Laura brisa le cercle magique pour se jeter dans les bras de ce fils d’adoption dont elle était si fière.
Ils revinrent tous les deux au château de Beauregard et convinrent qu’il serait bon de rappeler son passé à Dame Yveline en passant par la forme théâtrale et chorégraphique.
On fit venir des artistes et chacun apporta une touche pour la création d’un ballet opéra qui retraçait la vie de la châtelaine au destin brisé.
Ce travail tint tout le monde en haleine et lorsque tout fut prêt, une fête fut annoncée à la ronde pour toucher un large public qui assisterait à la révélation de ce destin hors du commun.
Ce qu’il advint des réactions de chacun, je vous en laisse la libre appréciation mais sachez qu’Yveline vit des pans de sa mémoire obstrués par des peurs et des oublis s’effondrer comme un château de cartes et c’est alors qu’elle reconnut en ce beau chevalier qui l’avait sauvée dans la forêt ce fils dont elle avait oublié les traits tant les philtres de la redoutable fée Morgane avaient détruit en elle tout souvenir personnel.
Elle l’embrassa avec une vive émotion, pleurant d’avoir pu le voir sans le reconnaître et elle remercia Laura d’avoir été pour lui une merveilleuse mère de substitution.
En attendant de revoir les ruines de son château et de rechercher toute trace de son époux, elle consentit, à la demande de ses hôtes, de retrouver vitalité et vigueur afin d’être capable de faire face à toute éventualité funeste.
Les jours se déroulèrent paisiblement et Dame Yveline troubla cette attente en cousant, brodant et lisant pour parfaire ce regain de vitalité apporté par le spectacle qui lui avait enfin dessillé la vue.

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