mercredi 18 octobre 2023

Mes premiers élèves

 


C’est dans la petite commune d’ Onnaing située près de Valenciennes, devenue célèbre par la suite grâce au choix japonais pour l’installation de son usine Toyota, que je fis la connaissance de mes premiers élèves.

Béatrice, Jean-Michel, Francis et tant d’autres, je ne vous ai pas oubliés.

Catapultée dans l’enseignement sans formation spécifique, je suivis tant bien que mal les conseils de notre directrice tout en me référant à mes souvenirs scolaires, à des ouvrages pédagogiques et en suivant les conseils d’une amie et collègue, Anne-Marie, titulaire de son poste contrairement à moi.

La directrice nous avait dit que pour la première matinée, il n’était pas nécessaire de préparer des cours à proprement parler, les professeurs principaux devant remettre aux élèves livres et manuels usuels.

La coutume voulait qu’ils parlent aux élèves en leur donnant une multitude de consignes.

Or, le mien mena les affaires rondement et me laissa seule face à des élèves pressés de me découvrir.

Après la présentation de ma discipline Lettres-Latin, j’enchaînai avec un poème que je connaissais par cœur et que j’écrivis au tableau.

Les heures passèrent sous les ailes de la féerie et lorsque la cloche sonna la fin de la matinée, chacun se retira.

Le professeur principal, leur professeur d’Histoire et Géographie, vint chercher les élèves pour les conduire, en rang, à la cantine.

J’appris, par la suite, que cette classe, destinée à Valenciennes, avait été subtilisée par notre directrice.

C’est l’un des rares bons points que je peux lui donner car elle se montra machiavélique et redoutable vis-à-vis des novices.

Elle nous détestait parce que nous avions des diplômes supérieurs aux siens et à ceux des autres professeurs.

Ma camarade de lycée, Nicole qui provenait d’un milieu aisé et bourgeois, avait un cabriolet et de jolies tenues qui mettaient en valeur sa beauté.

Elle devint son souffre-douleur et malgré nos efforts pour la contrer parvint à lui faire connaître une sévère dépression nerveuse. Nicole avait tant souffert qu’elle quitta définitivement l’enseignement.

En ce qui me concerne, elle écoutait à la porte, allant même jusqu’à regarder par le trou de la serrure : elle surgit un jour, en alpaguant deux élèves, au fond de la classe qui selon ses dires jouaient avec une gomme au lieu de m’écouter.

En fait, l’un de ces deux élèves fut tellement passionné par ma présentation théâtrale de l’ Iliade qu’il demanda à ses parents de lui acheter le livre. Il me le montra et m’assura qu’il le lisait.

Je n’étais pas peu fière de cet exploit car j’étais toujours habitée par l’amour hellénistique. Je pensais en outre qu’il était de bon ton, pour un professeur de Latin, de laisser entrevoir le monde d’Homère qui s’ouvrirait à eux si ces élèves choisissaient le Grec en troisième langue.

Fidèle à ses habitudes intempestives, la directrice fit une intrusion dans la salle où je donnais un cours : c’était la sixième B sans latin.

Elle me demanda à brûle-pourpoint, devant mes élèves, si je connaissais le procédé Lamartinière. Je dus avouer mon ignorance et elle me laissa quelque peu abasourdie.

L’une de mes élèves me dit après son départ : «  Oh, Mademoiselle, on a eu peur pour vous ».

Tenant ces menaces à peine voilées pur négligeables, je m’informai sur le procédé Lamartinière, l’appliquai et poursuivis mon chemin en croyant à mon étoile.

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