lundi 16 octobre 2023

Prof

 


Aujourd’hui, certaines personnes dévoyées s’en prennent à des professeurs en les tuant sauvagement : égorgement, décapitation, coup de couteau dans le cœur, tout leur est bon.

Et pourtant il arrive que certains d’entre eux se soient parfois trouvés dans les rangs de la classe dirigée avec humanisme par cet homme là même qui avait tenté de leur ouvrir les portes du savoir.

Ils s’en réfèrent à Dieu, imaginant que cette férocité puisse leur être agréable.

Je n’ai pas eu l’impression, à l’âge de huit ans, d’être en proie aux voies sataniques lorsque je m’efforçais, dans la petite rue où j’habitais, de corriger les erreurs de ma petite voisine Annie.

Annie avait des parents qui parlaient « chti » et cela lui faisait souvent dire «  à c’t’heure » pour maintenant.

Je traquais impitoyablement les « à c’t’heure » récurrents en martelant «  maintenant » .

Mes efforts furent récompensés. Un jour, Annie me dit fièrement : «  Maintenant je dis maintenant » !

Encouragée par ce résultat et apprenant qu’Annie avait de mauvaises notes en grammaire, je lui donnai des cours basiques sur l’utilisation de où sans accent et où avec accent en multipliant les exercices de mon invention.

Son ou sont faisaient également partie de ces exercices enfantins.

Paulette, la mère d’ Annie qui ne me portait pas dans son cœur et qui voulait éloigner sa fille de moi, craignant que je ne lui inculque des valeurs bourgeoises que je n’avais pas, nota  cependant avec satisfaction les progrès de sa fille en Français, au vu de ses notes.

Interrogée, Annie avoua que ces bons résultats provenaient de mes « cours » donnés sur un talus.

Paulette parla à ma mère et lui demanda comme un service que je continue à instruire Annie, ce que je fis bien volontiers.

Annie n’avait pas de livre, j’en avais quelques-uns, des cadeaux que l’on offrait à mon père.

Nous lisions et relisions les contes de Perrault, les fables de La Fontaine, Le petit Lord Fauntleroy, cachées dans les buissons de pivoines odorantes de notre jardin.

Les rédactions d’ Annie s’inspirèrent de ce beau langage que l’on n’utilisait pas dans notre rue et je ne fus pas étonnée, par la suite, d’apprendre qu’elle avait occupé un poste important dans une administration universitaire.

Elle m’avait rejointe et égalée sur la pente ascendante des Belles Lettres !

Nos retrouvailles, vers la cinquantaine, furent scellées par son apport à mes livres de contes.

Annie avait un don que je n’avais pas, celui du dessin. Elle fut d’ailleurs étudiante aux Beaux-Arts.

Elle peignit de beaux tableaux, notamment celui qui orne la première de couverture de Le Carrosse d’Or.

En gage d’amitié, elle m’offrit ce beau portrait qui orne un mur de ma chambre et que je regarde chaque jour.

Au terme de mes études universitaires, je me retrouvai, un jour de rentrée, face à trente paires d’yeux et je ressentis une grande émotion.

Mes premiers sixièmes, inoubliables et si proches de moi que je devais me garder de la tendresse qui m’envahissait à la suite d’une trouvaille inédite dont seuls les enfants ont le secret !

Je ne voulais pas ressembler aux professeurs terrifiants que j’avais connus dans ma jeunesse.

Ma réussite fut totale et en prenant de l’âge, je fus souvent qualifiée, au niveau de l’administration, d’originale : j’étais tout simplement humaine !

Une élève qui avait des dons d’humoriste, lors d’un repas élèves-profs, proposa des caricatures scéniques de certains professeurs.

Elle me montra, entrant dans la classe, disant un bonjour éclatant avec un beau sourire en prenant place au bureau.

Ensuite elle déambulait dans la classe, s’arrêtant parfois pour dire «  ce n’est pas tout à fait cela mais il y a du bon » ou proférer des encouragements.

Il est vrai que la sévérité et la manière forte n’étaient pas de mon goût.

Mes résultats professoraux n’en souffrirent pas et je pouvais sortir de l’école, le sourire aux lèvres, prête à travailler chez moi pour que la progression de mes élèves soit assurée.

Quel est donc notre crime ?

Je pose la question sans espérer obtenir de réponse car l’ignorance est un voile noir qui obscurcit les roses de la vie.

 

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