mercredi 30 décembre 2020

De Swann à Modigliani

 



Laurence a joué un rôle prépondérant dans mon évolution adolescente et si je n’ai pas de photographie présentable qui puisse lui rendre hommage, tant les blouses portées à l’époque étaient disgracieuses, je peux néanmoins offrir un aperçu de sa personne grâce à Modigliani.

La ressemblance de cette unique amie avec les portraits du grand peintre était frappante : on aurait juré que Laurence lui avait servi de modèle.

Quand je le lui disais, elle était très fière. Cette assimilation lui donnait un peu de baume au cœur, chassant les ombres projetées par sa marâtre sur sa personne.

De même, plus tard, j’appris par un étudiant en journalisme que je lui évoquais La jeune fille à la perle de Vermeer de Delft. Il avait installé une reproduction du tableau sur le manteau de sa cheminée et il passait fièrement devant elle comme s’il se fût agi d’un trophée.

Je me contentais de hausser les épaules et je brisais toute conversation me ramenant au tableau.

Je souffrais à l’époque d’un féminisme exacerbé. Malheur à celui qui aurait voulu parler d’une supposée beauté, je ne voulais être appréciée que pour mon esprit et mes connaissances !

Dans sa Recherche du Temps Perdu, Marcel Proust dénoue avec délicatesse les fils ténus et subtils de l’amour.

Un amour de Swann, incise de Du Côté de chez Swann, décrit les rouages d’une passion qu’un esthète éprouve pour une jeune femme, Odette de Crécy qui n’est pas apparentée aux jeunes femmes qu’il apprécie habituellement mais qui lui semble être d’une beauté incomparable le jour où il s’aperçoit qu’elle ressemble au portrait de l’un de ses tableaux préférés.

Alors Charles Swann, l’esthète séducteur invétéré devient un amant jaloux et éperdu.

Odette appartenant à ce que l’on nommait à l’époque le demi-monde, c’est-à-dire qu’elle vivait de ses charmes de manière policée, Charles déposait en la quittant une liasse de billets dans une potiche chinoise. Cependant, l’amant développa un supplément d’âme en associant le supposé amour qu’il éprouvait pour la volage Odette à une sonate, dite de Vinteuil, dont chaque note provoquait un précipité passionnel.

Enfin, à bout de souffrances, il finit, lui, le célibataire endurci qui tenait avant tout à sa liberté, par épouser Odette et devenir le père d’une délicieuse petite fille, Gilberte, qui franchirait un jour le portail de l’hôtel de la Duchesse de Guermantes, la célèbre Oriane, arbitre des élégances.

Concernant Laurence et la touche picturale chère à Modigliani, c’était une revanche sur la vie.

Elle avait besoin d’être sublimée pour pulvériser l’enveloppe de vilain petit canard dont on l’avait affublée.

Je fus heureuse d’avoir eu cette illumination qui lui permit d’appréhender la vie avec une note d’espérance.

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