mardi 1 décembre 2020

Trop tard !

 



Laurence trouvait que je manquais d’ambition et que je me réfugiais lascivement derrière ma maladie. Je lui pardonne bien volontiers cette pensée car elle ne savait pas, à l’époque, ce que signifie l’impression de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête !

Durant nos années universitaires, on se vit peu. La barrière sociale existait entre nos deux facs.

Un étudiant en Droit qui me courtisait me présenta ainsi à ses amis : «  Voici Marguerite ! Elle est en Lettres mais c’est une fille bien » !

Un soir, je le raccompagnai à la gare et jusqu’au train. Voulant m’associer à lui étroitement, il me confia un exemplaire des aventures de San Antonio pour me le reprendre ensuite, suivant ainsi les coutumes taurines qui veulent que le matador touche la chaussure d’une admiratrice pour la lui rendre, magnifiée par son contact.

Je me croyais amoureuse mais cet engouement pour des romans policiers, écrits certes magistralement mais essentiellement en argot phénoménal, fit éclater la bulle de douceur dans laquelle je me mouvais aux côtés de ce futur juge.

Moi qui lis Proust avec passion, je ne peux tout de même pas m’unir à quelqu’un, aussi brillant soit-il et promis à un bel avenir, qui lisait des romans de Frédéric Dard avec délectation, me dis-je, avec l’excès qui me caractérisait.

Par la suite, j’ai rendu justice à cet auteur en lisant La vieille qui marchait dans la mer et en voyant le beau film qui s’en inspirait dont Jeanne Moreau était l’âme.

Quant à Laurence, je la revois au restaurant universitaire créé pour les étudiants en Droit, l’U2 , souriante et détendue alors que de nombreuses étudiantes refoulaient leurs sanglots tandis que les garçons, très nombreux également, avaient la mine sombre des mauvais jours.

Un professeur avait suggéré à ses étudiants de faire l’impasse sur un thème, vu qu’il ne tomberait en aucun cas à l’examen.

Or ce fut précisément ce sujet qui fut présenté aux étudiants lors de l’examen partiel.

Fine mouche, Laurence n’avait pas suivi les recommandations orales du professeur, ce qui lui assurait le succès.

Elle vint me voir une fois dans ma résidence universitaire. Comme je partageais une chambre avec une étudiante et qu’elle était présente, on se contenta de banalités.

Je lui rendis sa visite dans un établissement tenu par des religieuses. Je vis avec surprise Laurence esquisser une révérence face à une abbesse tandis qu’elle lui adressait un «  Bonjour, ma mère » déférent, les yeux baissés.

Peu à l’aise, je me fendis d’un «  Bonjour Madame » un peu déplacé mais conforme à ma représentation de la religion.

J’ai longtemps oscillé entre Saint Paul et Trotski mais finalement je me ralliai à Rimbaud «  Il n’aimait pas Dieu mais les hommes, qu’au soir fauve, noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg ».

J’ai vu, un jour, Laurence dans une manifestation, brandissant le petit livre rouge de Mao avec exaltation, ce que je ne fis jamais, me méfiant de tous les excès.

Lorsque je lui demandai, trente ans plus tard, si elle avait toujours son petit livre rouge, j’ai bien cru qu’elle allait m’étrangler !

J’étais allée la chercher à la gare avec mon mari pour chauffeur vu que je n’ai jamais conduit, compte tenu de cette maladie qui se manifestait sans prévenir.

J’avais fendu la foule pour la « cueillir » à sa descente de train.

Avisant une brunette aux yeux vifs, je m’étais demandé si ce n’était pas elle pour me souvenir ensuite que c’était une quinquagénaire que je cherchais.

Bredouille, je revins sur mes pas et c’est alors que nous nous reconnûmes en disant en même temps : «  Tu n’as pas changé » !

Le repas se passa sans fait notable et je compris que Laurence attendait que nous soyons seules pour parler.

Elle m’avait offert, comme à son habitude, pour les grands événements, un livre.

Il s’agissait du Prix Goncourt ( Lycéens et Médicis en supplément) de l’année 1995, Le Testament Français d’ Andrei Makine.

C’était un beau livre et dorénavant, il est associé au souvenir de Laurence dans ma représentation.

En fait, si Laurence tenait tant à me voir, c’est qu’elle éprouvait, à présent, des malaises qui s’apparentaient aux miens.

Elle redoutait de plus qu’on l’écarte du poste important qui était le sien, se plaignant de jeunes aux dents longues qui voulaient la pousser dehors.

Trouvant alors des accents qui me rappelèrent ceux de son père, agrippé à l’argent jusqu’à l’avarice, elle me dit en reprenant d’ailleurs, selon ses dires, l’une de ses réflexions :  «  Je ferai pousser des cornichons sur mon balcon » !

Elle possédait pourtant un appartement dans le XVI à Paris et il n’était pas question qu’elle finisse dans la misère !

Elle aurait souhaité avoir des détails sur mon état de santé mais je restai évasive.

Le simple fait d’en parler me semblait nocif et je détournai la conversation.

Par la suite, nous échangeâmes de courtes lettres et lorsque j’écrivis un livre Les Nuits bleues du Rossignol qui fit dire à Liliane, auteur de mes premières de couverture « Marguerite, que c’est beau » ! j’envoyai une lettre enthousiaste à Laurence pour l’informer de la parution du livre.

Dans l’une des nouvelles, épistolaire en l’occurrence, intitulée On vous écrit de Bagdad, j’imaginais une conversation entre deux lycéennes, à l’image de celles que nous avions à Valenciennes.

Egéries de Simone de Beauvoir, nous discutions de l’actualité en tenant des propos à la fois littéraires et extravagants.

Je pensais que Laurence allait enfin reconnaître la qualité de son amie : elle avait écrit un livre original et des personnes l’admiraient pour ses talents dans l’art d’écrire !

Or ma lettre revint avec la mention «  inconnu à l’adresse » !

J’appris ainsi en consultant sa sœur Françoise que Laurence était morte !

Elle ne saurait jamais que son amie avait enfin atteint son but de jeunesse : écrire et être reconnue pour la finesse de sa plume !

 

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