lundi 30 novembre 2020

De Charybde en Scylla !

 



Au lycée Watteau de Valenciennes, ignorant L’embarquement pour Cythère du grand peintre, je naviguais à vue, tâchant d’éviter, comme Ulysse, mon modèle, les écueils de Charybde et Scylla.

J’alternais le pire et le meilleur, selon les hasards dus à la maladie à laquelle je finis par m’accoutumer.

Côté expression française, j’étais souvent devancée par Laurence qui avait un style particulier, prestigieux, coloré, tout en finesse.

Un jour, un professeur d’Histoire nous mit la même note mais classa Laurence première car dit-elle, avec un petit rire, quoique de valeur égale sur un plan purement historique, la copie de Laurence l’emportait sur la mienne d’un petit rien qu’elle ne pouvait expliquer.

Ce petit rien, c’était le brio et c’est avec cette qualité qu’elle devança Bruno Masure en Fac de Droit.

Il la détestait car elle représentait ce dont il avait horreur chez un autre que lui, l’indépendance d’esprit, la brillance et surtout ce qui était propre à Laurence seule, l’habitude du travail.

Pourtant je finis par avoir ma revanche en classe de seconde et suivantes.

Lorsqu’il fallut manier les éléments de rhétorique, je devins première sans qu’il y eût la moindre hésitation.

Un jour, notre professeur lut une de mes copies, s’arrêtant parfois pour signaler les imbrications d’un plan rigoureux.

Mes camarades voulurent connaître mon secret mais en réalité, je n’en avais pas puisque j’écrivais au fil de ma plume, trouvant spontanément les rouages de la pensée.

C’est d’ailleurs une technique si on peut la qualifier ainsi, qui m’est propre.

Lorsque je commence une histoire, je ne sais jamais comment elle va se terminer et je suis la première surprise du scénario qui se dessine sous les arabesques de ma plume.

«  Mais comment faites-vous pour écrire » ? me demanda un jour une dermatologue à qui j’avais offert un exemplaire de La Vallée des Songes.

Elle me demanda également si j’avais des ascendants russes, ce qui n’était pas le cas, si ce n’est mon admiration sans bornes pour Dostoïevski, Tolstoï, Pasternak et tant d’écrivains marqués par le génie comme Nicolas Gogol et Tchekhov.

Je lui répondis platement que je m’asseyais face à une page blanche et que j’empoignais mon stylo pour écrire.

Ce n’est pas une technique fascinante mais il y a beaucoup de vrai dans cette phrase banale.

Lorsque j’écris, c’est sous l’impulsion de milliers de moments imprégnés de lectures, de pensées, de méditations diverses et ce magma préalable jaillit avec la force du volcan qui se réveille.

Au lycée, sous une apparente facilité, se cachait un véritable bourreau de travail.

Je me revois, marchant de long en large chez moi, rabâchant à en perdre haleine les conjugaisons des verbes grecs auprès desquels les fameux verbes irréguliers anglais sont une broutille.

Une aide-ménagère dit à ma mère : «  Vraiment si votre fille n’a pas son bac, je ne vois pas qui peut l’avoir ».

C’est du reste ce que dit le nouveau proviseur du lycée à mon père, ajoutant que sur les 800 élèves du lycée, 8 sortaient du rang et j’en faisais partie.

J’évitai pourtant le désastre d’un cheveu car avec ma manie d’en vouloir toujours plus, j’enchaînais plusieurs crises, juste avant l’examen.

Je trouvai toutes les épreuves faciles et ce fut avec étonnement que j’appris que je devais passer l’oral de contrôle.

Le professeur de Français, à l’oral,  se refusait à consulter le livret scolaire qui nous accompagnait.

Elle me posa des questions littéraires et comme je répondais sans difficulté, elle ouvrit le livret, le consulta et, au comble de la stupéfaction, me dit : «  Mais que faites-vous ici » ? ce à quoi je répondis que j’avais été malade lors des écrits.

Elle me rassura en me disant qu’elle me donnait la note maximale.

En bavardant avec les assesseurs, mon père apprit que je n’avais pas obtenu les points nécessaires pour passer l’oral et que le jury avait délibéré pendant une heure après avoir consulté mon livret scolaire : mes notes catastrophiques aux épreuves écrites étant une énigme, on m’avait permis de passer l’oral.

Cette première partie de bac empochée, il fallut que je me prépare à la seconde partie, en Philosophie et cette fois, mon médecin me mit à l’arrêt pendant un mois par mesure de précaution.

Charybde et Scylla enfin passés, j’entrai alors en Faculté de Lettres pour préparer une licence de Lettres Classiques tandis que Laurence s’orientait vers le Droit, la voie royale et bourgeoise qui était l’apanage de sa famille !

 

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